Syrie: «Daesh et le régime Assad s’entendent parfaitement»

Article  •  Publié sur Souria Houria le 28 novembre 2014

Syrie: «Daesh et le régime Assad s’entendent parfaitement»

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Frappes sur Kobane, le 15 novembre 2014 (photo prise depuis le côté turc de la frontière avec la Syrie, ndlr)

 

source : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20141126-syrie-bachar-el-assad-raqqa-alep-diplomatie-action-politique/

Chaque jour, on compte des bilans humains dramatiques en Syrie: 95 morts dans les frappes du régime sur Raqqa, bastion des jihadistes. Raqqa, Alep, Homs, Deir ez-Zor, Kobané, ces villes sont devenues tristement célèbres depuis 48 mois. Cela représente environ 1400 jours de combats incessants entre d’un côté, l’armée syrienne, et de l’autre, tous ses ennemis qui parfois s’entretuent eux-mêmes. Le professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po, Jean-Pierre Filiu, connait bien la Syrie pour y être allé à de nombreuses reprises. Il répond aux questions de Bruno Faure.

RFI: Sans être spécialiste, on se demande comment cette guerre peut continuer. Les belligérants ne sont-ils pas à bout de force ? Plus assez d’hommes, plus de nourriture, avec une activité économique qui est complètement à l’arrêt… 

Jean-Pierre Filiu : L’horreur continuera tant que Bachar el-Assad sera au pouvoir ! Il avait dit dès le premier jour et fait dire par ses partisans : « Assad ou nous brûlons le pays ». Il est en train de mettre ses menaces et son programme à exécution.

Comment fait-on la guerre dans ces conditions ? Quand on n’a plus de moyens finalement, de survivre ? On se dit que tout le monde va mourir, faute de nourriture, faute d’eau, faute d’armes ?

Je pense que Bachar el-Assad est prêt à faire la guerre jusqu’au dernier Syrien ! Lui, il vit très bien dans son palais, sous protection iranienne. Il a littéralement un pont aérien d’armes russes qui ne cessent de remplir ses arsenaux. Il a réussi à éviter en août 2013 des frappes, malgré l’utilisation massive d’armes chimiques. Et depuis, il a recours aux barils. C’est-à-dire des containers de TNT chargés de grenaille qui ont un effet absolument dévastateur. Et comme s’il n’était pas assez protégé par la lâcheté ou la complicité internationale, depuis deux mois on ne parle plus que de Daesh, le soi-disant Etat islamique. Et on a complètement oublié ou feint d’oublier, qu’en Syrie il y a une révolution et que Assad a tué cent fois plus de Syriens que Daesh.

Précisément, on parlait de ces frappes sur Raqqa. Est-ce que cette ville est un objectif prioritaire pour les forces de Bachar el-Assad ?

Il faut bien comprendre qu’on est dans un théâtre d’ombres absolument sinistre. Daesh, donc l’Etat islamique autoproclamé, et le régime Assad, s’entendent parfaitement pour se répartir le pays aux dépens d’adversaires communs qui sont les forces révolutionnaires, qui combattent encore malgré tout, malgré leur rapport de force extrêmement désastreux, et qui tiennent bon encore aujourd’hui à Alep, malgré les risques d’encerclement.

Donc de temps en temps Bachar el-Assad fait des frappes qui – et on l’entend par ce bilan – sont surtout dévastatrices pour les civils qui vivent à Raqqa. Les jihadistes on sait parfaitement où ils sont et ce ne sont pas eux que les gouvernementaux frappent, ça lui permet ainsi de se mettre dans le bon camp, si j’ose dire, celui qui lutte contre le jihad international. Mais la réalité c’est qu’il ne fait que combattre, hier comme aujourd’hui, les révolutionnaires.

Laurent Fabius dit qu’il faut sauver Alep, à la fois des jihadistes et des forces du régime. Il parle de conséquences humaines terribles. Cette initiative de la France, de créer des zones de sécurité qui seraient interdites au régime et aux jihadistes, qu’en pensez-vous ? Est-ce que c’est réaliste ?

Plus on attend et plus il sera difficile de mettre en œuvre la moindre solution. Ceux qui disaient qu’on ne pouvait pas intervenir il y a six mois, sont les mêmes qui disent qu’aujourd’hui c’est encore plus compliqué, c’est vrai.

Je suis convaincu que le monstre qu’on a alimenté en Syrie, en ne faisant rien ou en faisant moins que rien, c’est-à-dire en parlant sans être suivi d’action – ce monstre qui a deux faces ; le dictateur Assad et le jihadiste Bagdadi – ce monstre, il ne va pas rester éternellement en Syrie. Donc de toute façon nous serons obligés d’intervenir. Mais il vaudrait mieux le faire tant qu’il y aura sur place des révolutionnaires qui sont musulmans, arabes et sunnites et qui sont donc les seuls qui puissent s’opposer à la fois au régime et aux jihadistes.

Et c’est pourquoi Laurent Fabius a mille fois raison de mettre l’accent sur Alep. Si nous ne sauvons pas Alep, je pense que l’Europe connaîtra des tragédies que nous ne pouvons pas encore anticiper parce qu’on sera rentré dans autre chose. Donc je dis simplement qu’il faut agir en Syrie non plus pour eux parce que nous avons déjà beaucoup trop tardé, mais pour nous.

Une zone tampon c’est ce que veut l’opposition syrienne, des zones d’exclusion aérienne, ça c’est encore possible ?

Tout est toujours possible si on se donne les moyens de le faire ! Mais c’est évidemment plus compliqué aujourd’hui qu’hier ! Mais ce sera plus facile aujourd’hui que demain.

Le changement de ministre de la Défense aux Etats-Unis, la démission de Chuck Hagel, est-ce que ça peut modifier quelque chose dans ce conflit ?

Ah ! Modifier en pire ! Chuck Hagel a quitté son poste parce qu’il était en désaccord profond avec Barack Obama sur la non-politique menée en Syrie. Et je crains qu’Obama se soit déjà mis en tête de léguer la guerre contre Daesh à son successeur et n’ait aucune envie de prendre les mesures qui s’imposent, surtout depuis le report des négociations sur le nucléaire iranien.