Syrie: Damas la gourmande a perdu son goût pour les douceurs

Article  •  Publié sur Souria Houria le 24 janvier 2013

DAMAS – Au péril de sa vie, Abou Iyad se rend secrètement chaque vendredi dans son usine de Mouadamiya al-Cham à la périphérie de Damas, pour confectionner des barazeks, ces biscuits aux pistaches et aux graines de sésame qui ont fait la réputation de la Syrie, paradis des gourmands.

Syrie: Damas la gourmande a perdu son goût pour les douceurs

« Chaque périple est une aventure car je risque d’être enlevé ou tué« , confie le propriétaire de la pâtisserie Mhanna à Mazzé, un quartier huppé de Damas.

Et il ne s’agit pas de propos en l’air. Mouadamiya est une localité au sud-ouest de la capitale régulièrement bombardée, où soldats et rebelles se livrent une guerre sans merci.

Connus pour leur gourmandise, les Damascènes ne peuvent plus satisfaire leur péché mignon depuis que la révolte s’est transformée en lutte armée, car la majorité des usines fabriquant chocolats ou autres douceurs se trouvent dans la banlieue de la capitale, devenue un champ de bataille. Les prix ont augmenté, et les préoccupations sont d’abord de se nourrir et se chauffer.

Le plus célèbre et le plus cher des chocolatiers de Damas, « Ghraoui« , a réduit sa gamme de produits et remplacé les abricots de ses « mlouki« , savoureuses mignardises à la pâte de pistaches, par des oranges.

Il a dû fermer son usine de Hammouria (sud-est), ravagée par la guerre, pour concentrer sa production dans un petit atelier de la capitale. « Nous fournissons quand même (nos clients). Les ventes ont baissé, mais Damas ne serait pas Damas sans les douceurs« , estime un employé.

Les prix sont exorbitants. Le kilo de chocolat noir atteint les 3.800 livres syriennes (38 dollars), un prix au-dessus des moyens de la majorité des Syriens, dont le pouvoir d’achat a été réduit d’un tiers par une inflation qui a atteint 65% en 2012.

Un ingénieur rencontré chez Ghraoui avoue avoir « réduit quand même les achats de chocolat et de pâtisseries » à cause de la crise qui dure depuis 22 mois dans le pays.

Dans la pâtisserie Semiramis, dans le quartier commerçant de Chaalane, connue pour ses friandises arabes, les étagères sont vides: l’atelier en banlieue « est fermé depuis cinq jours. La farine de maïs et le fuel manquent« , dit un employé à l’AFP.

« Le travail devrait redémarrer dans une dizaine de jours si les matières premières sont de nouveau disponibles« , précise-t-il.

La capitale syrienne a été toujours réputée pour ses douceurs. Les Croisés y ont découvert en arrivant le « charab« , une boisson glacée dont le nom est à l’origine du mot français « sorbet« . Le livre des Milles et une nuit ne tarit pas de descriptions des sucreries variées qui satisfont le palais des habitants.

« Depuis le début de la révolte, j’ai réduit de 90% ma production car je vendais la quasi-totalité de mes gâteaux aux étrangers, et il n’y en a plus« , se lamente Abou Salah, propriétaire du magasin Saddik dans le centre-ville.

Dans le quartier populaire de Marjé, les nombreuses pâtisseries font grise mine, même si elles offrent des barazeks. « Cette année et en 2012, la production a bien baissé en raison de la situation politique et de la hausse des matières premières comme les graines de sésame et la graisse végétale« , se plaint Mouatez Baroudi dans son magasin, Amina.

La ville est à l’image de ses pâtisseries: elle n’a pas le moral. Elle s’est appauvrie car beaucoup d’usines ont fermé, elle s’est assombrie car l’électricité se fait de plus en plus rare, et elle grelotte faute de mazout.

Le tailleur Hicham affirme qu’il n’achète plus de fruits ni de douceurs car ses priorités ont changé. « Je passe mon temps à chercher du mazout, du gaz, du riz et du sucre« .

Les autorités ont annoncé vendredi une augmentation de 40% du prix du litre de fioul, désormais fixé à 35 livres syriennes (0,3 USD). Le prix de cette denrée précieuse face à l’hiver glacial que traverse la Syrie peut atteindre jusqu’à 115 livres syriennes, soit 1,15 USD, sur le marché noir.

source: http://www.lexpress.fr/actualites/1/culture/syrie-damas-la-gourmande-a-perdu-son-gout-pour-les-douceurs_1213174.html