Syrie. Du « Harem du Sultan » à la cour du président – par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 18 novembre 2013

Un événement mondain, dans tous les sens du terme, est venu récemment rappeler que le mur de séparation dont certains redoutent la réalisation à l’intérieur de la Syrie, entre la partie nécessaire à la survie du régime et le reste du pays dont il pourrait se dispenser, est malheureusement déjà une réalité… au moins dans certains esprits. Pendant que dans des banlieues de Damas des dizaines de milliers de Syriens, des femmes et des enfants, mais aussi des hommes n’ayant jamais pris les armes, sontcondamnés à une mort lente faute de nourriture et de soin sur ordre de Bachar al-Assad, quelques autres dépensent sans compter, dans des quartiers chics, à l’occasion de fêtes qui leur permettent de se retrouver entre eux… ou plus exactement entre elles.

Le sultan du Harem

Organisée par la famille al-Dabbas, une fête a récemment réunie, autour du thème du « Harem du Sultan », des membres féminins de « grandes familles » damascènes. Parmi les jeunes femmes et jeunes filles invitées figuraient des représentantes des familles Haffar, al-Cheykh Ghazal, al-Lahham, al-Tajer, Sinjab, al-Jaafari, Dawoudi… Le rôle de la sultane avait échu à Chadha al-Moallem, fille du ministre des Affaires étrangères Walid al-Moallem. A eux seuls, dessinés et réalisés par les couturiers Elie Saab et Zuhair Murad, réalisés en Europe et transportés en Syrie, les costumes de cette fête tenue à Yafour, la localité la plus huppée de la périphérie de la capitale, auraient coûté la bagatelle de 18 millions de livres syriennes.

Sur les réseaux sociaux, les Syriens ont multiplié les commentaires sarcastiques sur cet événement, inspiré par la série turque « Le Siècle magnifique« . Traduite en arabe et dans de nombreuses autres langues, elle raconte en détail la vie et les amours du grand sultan ottoman Soliman le législateur, que l’Occident qualifie de « magnifique ». Une telle fête ne pouvait intervenir à un meilleur moment, au moins pour une partie de la population syrienne, ravie d’avoir vu le pays échapper aux frappes militaires destinées à sanctionner le recours de Bachar al-Assad aux armes chimiques contre une autre partie, sans doute elle aussi la partie inutile, de sa population.

Une partie du buffet destiné au harem du sultan

Certains ont tenu à souligner que les jeunes femmes réunies pour l’occasion ne représentaient pas davantage les « authentiques familles damascènes » que ne représentaient la ville de Daraa ou la région du Hauran le vice-président Farouq al-Chareh, le vice-ministre des Affaires étrangères Faysal Miqdad, le député et secrétaire général de l’Assemblée du Peuple Khaled al-Abboud ou l’analyste politique Ahmed al-Hajj Ali. Selon Samir Matini, journaliste vedette de la chaîne Syria al-Gad, originaire du quartier de Rukneddin, « la plupart des vrais Damascènes ont quitté le pays et ceux qui ne l’ont pu ont trouvé refuge dans leurs fermes, dans les campagnes environnantes. Ceux qui ont choisi de rester sur place ne sont pas des « grandes familles » mais des « familles et des partenaires du pouvoir ». Les vrais Damascènes ne sont guère plus nombreux aujourd’hui à Damas que les peaux-rouges à Washington ».

D’autres ont fait le rapprochement entre cet éphémère « harem du Sultan » et le cercle plus pérenne des jeunes femmes composant la cour du président. Le piratage de la boîte de courrier électronique de Bachar al-Assad, au mois de février 2012, avait révélé que leur présence autour d’al-Batta, le « petit canard » de Hadil al-Ali, et l’influence qu’elles exerçaient sur lui via les conseils qu’elles lui prodiguaient dans tous les domaines, ne tenaient pas, cette fois-ci, à la splendeur et au coût de leur déguisement, mais au contraire à des charmes d’une toute autre nature.

Bachar al-Assad et son fils aîné Hafez

La fête de Yaafour est malheureusement venu remettre dans les mémoires cet épisode peu glorieux pour l’image de bon époux et de bon père de famille, que, à défaut de bon président, Bachar al-Assad s’efforce de cultiver.

source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2013/11/15/syrie-du-harem-du-sultan-a-la-cour-du-president/

date : 15/11/2013