Syrie et Irak: vérités et illusions – par Michel Kilo

Article  •  Publié sur Souria Houria le 16 juillet 2014

À la lumière de la récente attaque lancée contre les institutions gouvernementales et l’armée en Irak, l’Occident évoque de plus en plus l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL) et son combat unilatéral contre le régime irakien.

Les conjectures et les estimations varient entre une intervention américaine directe et limitée dans ce pays d’une part et, d’autre part, un simple soutien à distance des institutions gouvernementales et de leurs services de sécurité afin de contrer le terrorisme, de préserver la sécurité et la stabilité de l’Irak et d’éviter une guerre régionale.

Bizarrement, personne n’a évoqué l’une ou l’autre de ces deux options après les attaques variées de l’EIIL en Syrie et personne n’a pris l’initiative de soutenir l’Armée Syrienne Libre (ASL) face à l’EIIL même lorsque l’ASL a entamé combats et poursuites, expulsant l’EIIL de vastes régions du nord de la Syrie, laquelle a aussitôt compensé leur perte en occupant d’autres régions syriennes sans que le monde ne s’en offusque bien que tout ceci ait eu lieu au vu et au su de l’Occident en général, et des États-Unis en particulier. Plus bizarrement encore, cette organisation terroriste n’est pas considérée comme dangereuse chez nous bien que sa situation en Syrie soit liée à sa situation en Irak. Elle y est même similaire, sinon meilleure. Loin de se mobiliser contre l’EIIL en Irak, le monde a inclu sous cette étiquette quiconque a pris les armes contre la bande et les assassins d’Al-Maliki, tels:

  • Les clans de l’ouest de l’Irak qui subissent les agressions du régime depuis 2003 et qui sont privés de leurs droits naturels et politiques. En effet, l’armée d’Al-Maliki a mené plusieurs guerres successives contre ces clans, les tuant, les abusant, insultant leurs notables, violant leurs libertés individuelles, investissant leurs villages et leurs villes, volant, mettant en prison et déchirant les corps de milliers d’entre eux. Il n’est donc pas surprenant que la majorité de ceux qui combattent Al-Maliki fasse partie de ces clans et qu’ils ne l’aient combattu qu’après l’avoir averti maintes fois que leur riposte serait violente s’il n’arrêtait pas de les bombarder et de les tuer et s’il continuait à remettre leurs villages et leurs villes aux mains de l’EIIL, les accusant à tort de fondamentalisme et de terrorisme.
  • L’organisation Baath irakienne dont le combat dure depuis plus de dix ans, qui ne fait certainement pas partie de l’EIIL et pour qui il est impensable de brandir les photos de Saddam Hussein en masse sur les routes retraçant le retrait de l’armée d’Al-Maliki. Cette organisation puissante s’est entraînée au combat sous l’occupation et après la chute de son président et de son régime. Elle ne présente aucune lacune sur le plan de la capacité de planification et d’exécution et ne manque pas de combattants sachant qu’elle avait été seule à combattre pour une certaine période tandis que les autres gardaient l’œil sur les développements en cours avant de s’engager.
  • Les officiers et les troupes de l’armée et des forces de sécurité qui n’approuvent pas les politiques sectaires et discriminatoires d’Al-Maliki et qui n’entendent pas prendre sa défense. Ces derniers ont été vus par milliers, luttant aux côtés des combattants des clans, du Baath et autres.
  • L’EIIL qui s’est déployée dans la zone désertique à l’ouest de l’Irak et qui est prise par la guerre entre deux États. Il est improbable qu’elle ait occupé à elle seule une ville aussi importante que Mossoul avec ses installations militaires et gouvernementales en faisant usage -selon la rumeur- de 500 à 600 de ses combattants seulement. Il est tout aussi improbable que ces mêmes combattants aient continué leur attaque vers Baghdâd et ravagé plusieurs gouvernorats et provinces. Ceci ne signifie pas pour autant que l’EIIL est inexistante. En effet, cela veut plutôt dire qu’elle n’est pas à l’origine de l’attaque et qu’elle n’est pas capable de poursuivre la guerre à elle seule contrairement à de multiples allusions occidentales qui en exagèrent la puissance conformément à leurs théories et à celles d’Al-Maliki pour qui le régime mène un combat contre des fondamentalistes et des terroristes.

Ces forces ont été obligées à combattre le régime d’Al-Maliki dû à sa violence excessive à leur égard bien qu’elles l’aient maintes fois averti qu’une vaste offensive serait lancée contre son armée en usant d’armes équivalentes aux siennes. Ces forces tâchaient d’éviter d’impliquer leur pays dans une guerre qui approfondirait les divisions sectaires et mènerait à une destruction à grande échelle de ses villes et villages, affichant même leur volonté de parvenir à un compromis politique équilibré qui préserverait leurs droits. Cependant, Maliki a refusé avec entêtement tout compromis pacifique avec ces forces, en se basant sur des calculs sectaires et autoritaires et sur sa relation avec l’Iran qui l’avait encouragé à engager sa vaste armée d’un million de soldats dans une intervention militaire en Syrie et à lutter contre ses adversaires confessionnels en Irak.

Il est encore temps de parvenir à une solution politique qui mettrait Al-Maliki hors du pouvoir et qui ferait des Irakiens des citoyens égaux en droits et en devoirs au regard de la loi et qui jouiraient de la justice. Il est encore temps de former un gouvernement d’union nationale qui reverrait la constitution, les stratégies de pouvoir et les relations internationales de Baghdad, et qui reprendrait les rênes de la prise de décision nationale irakienne indépendante des mains de l’Iran. Le peuple irakien serait alors soulagé et la région éviterait une guerre sans fin dont nul ne connaît l’issue. En effet, le modèle syrien prouve qu’une telle guerre ne serait qu’un désastre terrible sans précédent dans l’histoire de nos États et de nos peuples.

 

source : http://www.huffingtonpost.fr/michel-kilo/syrie-irak-risque-dembrasement-regional_b_5566646.html

date : 08/07/2014