Syrie : face à la répression, le rude choix d’une révolution pacifique – Hala Kodmani

Article  •  Publié sur Souria Houria le 9 août 2011

Une crainte grandit ces derniers jours au sein de la révolte syrienne.«On a de plus en plus de mal à contenir les plus jeunes pour qu’ils ne recourent pas aux armes !» confie dans un message sur un site internet un militant de Midan, le quartier le plus chaud dans le sud de Damas, qui écrit sous le pseudo de Nabil.

Le déchaînement meurtrier des forces armées du régime contre Hama, Deir el-Zor et d’autres villes, et surtout les exactions menées par les redoutables chabiha – ces miliciens en civil qui sèment la terreur -, ébranlent le consensus fondateur du mouvement de protestation autodésigné «révolution pacifique».

«Je passe la moitié de mon temps à expliquer aux uns et aux autres que le premier coup de feu tiré de nos mains serait un cadeau pour le pouvoir et braquerait contre nous cette majorité silencieuse que nous commençons à gagner à notre combat», précise Nabil, ingénieur de 38 ans, qui est l’un des coordinateurs de la contestation dans son quartier. Des activistes de terrain aux intellectuels en exil, des jeunes manifestants aux imams des mosquées, des laïcs affirmés aux Frères musulmans, tous ceux qui participent ou appuient le mouvement contre le pouvoir de Bachar al-Assad adhèrent à un triple rejet : celui de la violence, celui du confessionnalisme (la confrontation intercommunautaire) et celui de l’intervention étrangère.

Pièges. «Ce sont les trois non de la révolte du peuple syrien», a rappelé Haytham Manna, porte-parole de la Commission arabe des droits de l’homme, lors d’une conférence qui a réuni à Doha, au Qatar, les 30 et 31 juillet, une vingtaine d’intellectuels syriens. Chacune des réunions organisées par les différentes composantes de l’opposition, comme celles d’Antalya (Turquie) en mai, et d’Istanbul, le 16 juillet, a réaffirmé ce principe. En considérant que «la stratégie de confrontation du régime est de briser les trois non», Manna souligne sans le vouloir combien la position consensuelle de l’opposition est défensive. Car ces refus se sont constitués en réponse aux accusations du régime, qui prétend depuis le début que la protestation est une tentative de «sédition» confessionnelle menée par des bandes armées soutenues par l’étranger. Le mouvement s’est efforcé de résister à la propagande et aux pièges tendus par le pouvoir sur le terrain.

Le non au confessionnalisme, exprimé par l’un des tout premiers slogans des manifestants, «uni, le peuple syrien est uni», est devenu un combat vigilant sur Internet comme dans la rue. A Homs, mosaïque de communautés et point chaud de la contestation puis de la répression, on a retrouvé dans les rues aussi bien des cadavres de sunnites que d’alaouites tandis que des commerces appartenant à des chrétiens comme à des musulmans ont été incendiés. Des graffitis attisant la haine ont été écrits sur les murs. «L’écriture était la même», souligne un habitant de la ville, qui fait le récit de ces violences sur Internet, accusant les sbires du régime d’attiser les conflits confessionnels.

Le non à la violence pour prévenir une guerre civile est néanmoins de plus en plus difficile, d’autant que les armes circulent. Même les services de sécurité du régime en vendent. Leur nombre augmente aussi avec les défections qui progressent parmi l’armée régulière. Mais les «officiers libres», qui ont déclaré le 5 juillet sur Al-Jezira rejoindre la révolution, ont été désapprouvés par le mouvement quand ils ont réclamé de quoi se battre contre les forces de répression.

Quant au non à l’intervention militaire étrangère, probablement le plus ferme et également le plus consensuel dans la population, il s’appuie sur l’épouvantail de la guerre américaine en Irak comme sur le repoussoir d’un scénario libyen qui conforterait le régime de Bachar al-Assad. Et surtout sur la nécessité d’éviter une régionalisation de la crise syrienne.

Résilience. La révolte peut-elle survivre en conservant ces principes face à la machine de guerre et l’escalade de la répression ? L’étonnante résilience des contestataires syriens, qui leur a permis depuis plus de quatre mois d’éviter le piège d’une guerre civile tout en poursuivant leur révolution pacifique, vient aussi de la conviction d’une certaine supériorité par rapport au reste du monde arabe. «Pas question de courir le risque de voir la Syrie se transformer en Libye», écrit dans un article l’économiste Aref Dalila, grande figure de l’opposition à l’intérieur du pays, assurant qu’«aucun Syrien ne voudrait voir le berceau de la civilisation depuis huit mille ans détruit». Pour éviter «une intervention étrangère qui transformerait la Syrie en Irak ou en Somalie», l’espoir réside selon lui dans un retournement «des hommes libres de l’armée nationale»qui se rallieraient au peuple. Un scénario qui tarde à se dessiner.

source: http://www.liberation.fr/monde/01012353152-syrie-face-a-la-repression-le-rude-choix-d-une-revolution-pacifique