Syrie : Gilles Jacquier a-t-il été assassiné ? – Par ARMIN AREFI

Article  •  Publié sur Souria Houria le 15 janvier 2012

Qu’est-il arrivé, mercredi après-midi à Homs, au journaliste français Gilles Jacquier ? Deux jours après sa mort, alors que le corps du Français a été rapatrié à Paris, les circonstances du décès du journaliste de France 2 demeurent inexpliquées. Si le régime syrien, qui a imputé le décès à une « attaque » menée par un « groupe terroriste », a annoncé la création d’une commission d’enquête, France 2 a déclaré, de son côté, qu’elle allait saisir le procureur de la République à Paris.

« Nous portons plainte, car nous disposons d’assez d’éléments pour poser certaines questions aux autorités syriennes », confie au Point.fr Thierry Thuillier, directeur de l’information de France Télévisions, de retour d’un voyage express en Syrie. « Pourquoi l’escorte militaire censée protéger les journalistes a-t-elle reculé au moment des tirs ? Pourquoi les journalistes ont-ils subi des pressions pour aller à Homs, alors qu’ils devaient couvrir les villes de Damas et de Deraa ? Pourquoi des civils pro-Assad, et non des officiels du régime, ont-ils guidé les équipes des journalistes vers les points d’impact ? » s’interroge-t-il.

« Manipulation » de Damas (Élysée)

Le chef de l’information de France 2 refuse pour autant de parler de manipulation orchestrée par Damas. Ce n’est pas le cas de l’Élysée. Selon Le Figaro, qui cite une « source proche du président français », Paris soupçonne « une manipulation » des autorités syriennes qui les impliquerait dans la mort du journaliste. « Les responsables syriens étaient seuls à savoir qu’un groupe de journalistes occidentaux visitait Homs ce jour-là, et dans quel quartier il se trouvait », indique la source dans Le Figaro, avant de poursuivre : « On peut croire à un malheureux accident. Mais il tombe plutôt bien pour un régime qui cherche à décourager les journalistes étrangers et à diaboliser la rébellion. »

Rare journaliste occidental à être autorisé à entrer en Syrie, Gilles Jacquier, âgé de 43 ans, avait couvert de nombreux conflits. Lauréat du prix Albert Londres 2003, il avait obtenu son visa grâce à l’angle spécifique de son reportage. « Sa déontologie lui dictait de montrer le point de vue du régime », raconte Loïc de la Mornais, président de la Société des journalistes de France 2. À ceux qui accuseraient la chaîne France 2 d’avoir collaboré à une opération de relations publiques de Damas, Loïc de La Mornais répond : « Notre mission est d’aller toujours voir des deux côtés. Une éthique se mesure à l’ensemble de la couverture de la crise syrienne » par la chaîne. En effet, fin novembre dernier, la journaliste Martine Laroche-Joubert a été l’un des premiers reporters à entrer, cette fois clandestinement, dans la ville rebelle de Homs.
« Opération de propagande »

Arrivé en Syrie samedi, le grand reporter français est vite confronté à la réalité du terrain. « Malgré sa couverture des événements pro-régime, on lui refusait quasiment de tourner, sous de multiples prétextes », raconte un journaliste de France Télévisions. Comble de la situation, Gilles Jacquier n’est même pas autorisé à couvrir un meeting officiel de Bachar el-Assad, rappelle Thierry Thuillier. Alors qu’il est fortement limité dans ses déplacements, le journaliste se fait signifier mardi soir qu’il part pour Homs… pourtant bastion de la contestation. Se sentant « otage d’une opération de propagande », le journaliste se résout tout de même à suivre l’équipe de journalistes francophones, escortée par soeur Marie-Agnès, une religieuse libanaise favorable au régime.

Une fois sur place, les douze journalistes sont conduits mercredi dans le faubourg de Nouzha, quartier de la minorité alaouite (la confession du président Bachar el-Assad), l’une des zones quadrillées par l’armée syrienne. « On nous a baladés dans la ville », raconte Christophe Kenck, cameraman de Gilles Jacquier, sur le site de France Télévisions. « On est tombés sur une micro-manif sur une avenue, on est sortis, on a commencé à faire des plans. Et là, un premier mortier est tombé à 500 mètres de la manifestation. Ça a été la panique à bord. Après, il y a eu un deuxième coup de mortier qui est tombé sur une école, mais qui était vide. Et il y a eu un troisième coup de mortier. J’ai senti le souffle, parce que c’était à 10 mètres de moi. J’ai été légèrement blessé, mais tout va bien. Et puis le quatrième coup de mortier est tombé sur un immeuble où Gilles Jacquier s’était réfugié. (…) On a sorti Gilles dans un taxi pour l’emmener à l’hôpital. Mais quand j’ai vu Gilles sortir, avec sa femme en pleurs, j’ai compris qu’il était mort sur le coup. »

Des frappes trop précises

D’autres témoins présents sur les lieux font état pour leur part de tirs de roquette RPG. Contacté par le Point.fr, Rami Abdul Rahmane, chef de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, l’une des rares sources d’information fiables sur la Syrie, confirme qu’il s’agit bien de tirs de mortier. Une version corroborée par Thierry Thuillier. Et ce détail a son importance : les obus de mortier, armes lourdes, sont surtout utilisés par l’armée régulière syrienne. De leur côté, les militaires dissidents de l’Armée syrienne libre, qui combattent à Homs, utilisent davantage des lance-roquettes, équipement bien plus mobile. Difficile enfin d’imaginer que les dissidents syriens sont assez équipés pour lancer quatre obus avec une telle précision sur la même cible.

Dernier détail troublant : à la mort du journaliste, sa compagne, la photographe Caroline Poiron, a refusé de remettre son corps aux services de renseignements syriens, qui souhaitaient s’en emparer, comme c’est le cas pour chaque manifestant tué. « Il existe des scénarios logiques pour expliquer la mort de Gilles Jacquier », estime Loïc de La Mornais. « Soit des éléments de l’Armée syrienne libre ont aperçu un convoi officiel entouré de militaires, et ont attaqué, en ignorant la présence de journalistes occidentaux. Soit il s’agit d’un coup monté par les services syriens, qui ont fait venir des journalistes pour organiser un attentat visant à faire peur. Le régime syrien en est largement capable. »

Source: http://www.lepoint.fr/monde/syrie-gilles-jacquier-a-t-il-ete-assassine-13-01-2012-1418806_24.php