Syrie : il ne suffit pas de protester – par Paul Quilès

Article  •  Publié sur Souria Houria le 6 mars 2012

par Paul Quilès, ancien ministre de la défense

La Russie et la Chine ont bloqué la condamnation des massacres d’Etat par le régime syrien. Il faut certes s’en émouvoir, condamner ces deux pays, mais cela ne suffit pas, car aucune condamnation n’arrête les chars ou les balles des fusils. Il faut arrêter de se lamenter de ne rien pouvoir faire et envisager le peu de possibilités qu’il reste pour agir.

La réunion de Tunis a marqué une étape importante, celle de la division. D’un côté se trouvent les « amis de la Syrie », c’est-à-dire les Occidentaux et la Ligue arabe, qui soutiennent l’insurrection, et de l’autre ceux qu’on pourrait nommer les « amis du régime », c’est-à-dire la Russie, la Chine et l’Iran, qui semblent vouloir coûte que coûte le maintenir en place. Le constat est amer : la « communauté internationale » est radicalement divisée, l’ONU bloqué, et le nombre des civils syriens tués augmente jour après jour.

Mais à Tunis, au-delà du soutien politique au Conseil national syrien (CNS), la Ligue arabe a envisagé deux options.

La solution de l’Arabie saoudite : armer les opposants. En pleine exacerbation de sa rivalité avec l’Iran dont elle redoute les ambitions nucléaires, l’Arabie saoudite souhaite que la Syrie rompe avec « l’axe chiite ». Si l’Iran et le Hezbollah soutiennent le pouvoir de Damas, alors l’Arabie saoudite armera les rebelles, et possiblement en armes lourdes. C’est en substance le message qu’elle a fait passer lors de la conférence.

Sur le terrain, cela signifierait que l’Armée syrienne libre (ASL), dont une partie est hébergée par la Turquie, pourrait disposer de moyens militaires tels qu’armes antichars et antiaériennes, bien plus puissants que l’armement léger qu’elle possède actuellement. Cela déboucherait sans aucun doute sur l’intensification du conflit, et peut-être sur la division de l’ASL en commandements autonomes, alors que des groupes de francs-tireurs existent déjà et que des combattants djihadistes semblent s’infiltrer en Syrie, notamment à partir des zones sunnites de l’Irak.

Des milices armées et autonomes se constitueraient alors, avec des risques évidents d’affrontements communautaires, dans un pays composite religieusement (sunnites, alaouites, druzes, ismaéliens, chrétiens) et ethniquement (arabes, kurdes, arméniens, circassiens, turkmènes). Par ailleurs, les soutiens internationaux de Damas en profiteraient sûrement pour armer plus amplement le régime, le Hezbollah et les milices locales qui le soutiennent.

Derrière cette tentation flotte donc le spectre d’une guerre civile sans fin, aux répercussions inquiétantes pour la stabilité de la région, par ailleurs toujours menacée par les équilibres communautaires précaires du Liban et la persistance du conflit israélo-arabe.

La solution du Qatar : une force arabe de dissuasion Une force d’interposition a été très vite envisagée. Mais les Occidentaux sont – avec juste raison – réticents à l’idée d’intervenir militairement, dans une zone de graves tensions internationales, où l’on ne veut d’ailleurs pas vraiment d’eux. Il s’agirait donc d’une force d’interposition arabe, à l’instar de ce qui s’est fait au Liban, avec la Force arabe de dissuasion (FAD).

Cette solution présenterait cependant deux inconvénients. Premièrement, pour faireintervenir une telle force, il est indispensable d’avoir l’autorisation bon gré mal gré du régime, ce qui est aujourd’hui inenvisageable, car cette force serait composée de pays qui lui sont majoritairement hostiles.

Deuxièmement, le précédent libanais n’a pas porté ses fruits, loin de là. La FAD, mise en place par la Ligue arabe en 1976, n’avait aucunement empêché la guerre civile, provoquant au contraire, par l’afflux de troupes essentiellement syriennes, l’entrée d’un nouvel acteur dans les combats. Et ces troupes sont restées après la dissolution officielle de la FAD… jusqu’en 2005.

Et dans ce cas, même cause, même effet : un appui capacitaire de l’opposition armée ou considéré comme tel entraînerait un renforcement militaire automatique des forces loyalistes.

Une option plus crédible : une force neutre de maintien de la paix Les massacres de civils ne s’arrêteront que s’il existe une forme de protection militaire, mais, pourêtre efficiente et stabilisatrice, celle-ci ne peut pas être assurée par des acteurs régionaux ou internationaux ayant des intérêts directs dans la gestion de la crise. Il est clair qu’il s’agit là d’une condition à l’acceptation de troupes étrangères par le régime et à l’autorisation de leur déploiement par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Il n’est pas irréaliste d’espérer une telle décision du Conseil de sécurité, surtout après la fin, en Russie, des débordements nationalistes liés à la période électorale.

On peut en effet raisonnablement penser que les risques de chaos généralisé qu’entraînerait une dérive de la crise syrienne vers la guerre civile conduiront tôt ou tard la Russie et la Chine à infléchir leur attitude.

Bien entendu, la décision de déployer une force neutre de maintien de la paix ne pourrait être prise qu’après un cessez-le-feu et la mise en route d’un processus politique. Cela suppose en particulier l’unification de l’opposition et l’acceptation par le régime de véritables négociations sous la pression du Conseil de sécurité.

Les casques bleus auraient une mission d’interposition, qui n’exclurait pas l’utilisation de la force armée pour faire respecter le mandat de l’ONU. Ils seraient recrutés exclusivement dans des pays non impliqués dans le conflit (des Latino-américains, des Asiatiques, des Africains). Ils seraient autorisés à se déployerdans tout le pays et surtout dans les villes particulièrement touchées depuis un an. Il serait alors possible d’envisager une issue pacifique, qui ne peut se concevoirsans un transfert de pouvoir progressif assurant une pleine garantie de sécurité aux minorités, avant des élections libres et l’établissement d’un gouvernement démocratique.

source: http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/06/syrie-il-ne-suffit-pas-de-protester_1652168_3232.html