Syrie : J’ai un mauvais pressentiment – Damien Isoard

Article  •  Publié sur Souria Houria le 19 avril 2012

drapeau-syrie

16/04/2012

Depuis maintenant un an, la Syrie a sombré dans un conflit qui se durcit. Entre un gouvernement déconnecté et une opposition qui se politise, l’euphorie des printemps arabes a laissé la place aux divisions et à l’inquiétude d’une impasse. Des violences qui durent et qui, selon les ONG, portent le bilan à une dizaine de milliers de victimes. A Marseille vivent entre 3000 et 4000 Syriens. Nous sommes allés rencontrer l’un d’eux, très préoccupé par les événements qui secouent son pays.

Georges, 34 ans, est un chrétien. Il est arrivé en France en 1998 pour y suivre des études. Aujourd’hui, il est comédien et prépare parallèlement un master en sciences sociales.

Nous nous sommes rencontrés dans un café de la place Castellane. Il devait venir accompagné d’un ami syrien mais c’est seul que je l’ai vu arriver. Pourquoi ? Son ami venait d’apprendre que dix des siens dont sa copine avaient été arrêtés par le régime de Bachar. Le décor est planté…

Source lefigaro.fr

 

Georges vient de Hama, l’une des villes rebelles au nord de Homs. Il m’explique que sa ville est très active dans la révolte car elle a été détruite par le père de Bachar El-Assad, il y a plusieurs années*. « J’appelle ma famille tous les dix jours environ mais on ne peut pas vraiment parler, car on se sait surveillé », m’explique t-il.

* En 1980, un Frère Musulman a tenté d’assassiner Hafez El-Assad à Hama. Deux ans plus tard, la ville s’est révoltée suite à l’arrestation de plusieurs imams du mouvement islamiste. En réaction, Assad a assiégé et bombardé la ville à l’artillerie lourde durant 27 jours. On estime entre 7 000 et 35 000 le nombre de victimes.

Quand je lui demande quelle est la situation dans son pays, Georges me parle de mouvements très pacifiques à Damas depuis quelques jours. « Par exemple, une jeune fille est allée seule devant le parlement avec une pancarte – Arrêtez de nous massacrer -, les passants l’ont applaudie mais elle a été arrêtée par le régime. » Puis, il ajoute que la situation est très différente selon les quartiers et les villes. Certains vivent normalement, d’autres survivent terrés dans des champs de ruines.

Pour lui, le régime de Bachar est une mafia et lorsque certains tentent d’atténuer la responsabilité du gouvernement dans les violences actuelles, il sourit. « En 40 ans, les El-Assad père et fils ont fait leur preuves en termes de cruauté », dit-il.

Critique à vis-à-vis de Bachar El-Assad, il ne l’est pas moins à l’égard de l’Occident. «L’Europe, si elle le voulait, pourrait faire d’avantage. Les sanctions qui ont été décidés ne seront appliquées qu’au mois de juin. Il y a un décalage entre les exactions du régime et la réponse extérieure. Des sanctions économiques, ça fait rire quand on voit le massacre qui se passe en Syrie.

Il s’agace aussi des exigences de l’Occident : « On reproche à l’opposition d’être divisée, mais c’est normale. Il y a différents courants, des laïques de la première heure comme des islamistes. Il faut la soutenir telle qu’elle est. Les différentes factions de l’opposition sont unies sur une chose : la fin du régime. »

J’ai demandé à Georges s’il n’avait pas envie de retourner en Syrie aujourd’hui. Son regard s’est perdu dans le vide, il était très pensif puis il m’a répondu : « Je ne sais pas… je ne veux pas retourner dans la Syrie de Bachar, arriver à l’aéroport et voir son portrait en grand. Mais j’ai dit l’autre fois à des amis que si la crise continuait, nous serions obligés d’aller nous battre contre la bande de Bachar. »

Et la crise syrienne, rien n’indique qu’elle va cesser dans l’immédiat. Alors je lui demande si, en tant que chrétien, il n’a pas peur lorsque le régime tombera, de voir son pays se déchirer dans un conflit ethnique ou religieux. « En Europe, vous avez un regard trop binaire, trop idéaliste », me répond t-il.

Bien sûr, il est inquiet de l’après Bachar et pense que la situation en Syrie sera pire en 2015 qu’en 2010. Mais il est aussi pragmatique. Quoi qu’il arrive, il faudra passer par là : « Aujourd’hui, le peuple syrien vomit 40 ans d’oppression et d’humiliation, il doit apprendre la liberté et surtout l’idée de l’autre. »

Et alors qu’aujourd’hui, un cessez-le-feu qui n’en a que le nom est en vigueur et que les premiers observateurs de l’ONU sont entrés en Syrie, est-ce le début d’une sortie de crise ? Rien n’est moins sûr. Georges estime que l’envoi d’observateurs, comme l’avait fait la ligue arabe est insuffisant. « Si les bombardements ont diminués, les arrestations, elles, continuent… »

« J’ai un mauvais pressentiment, le cessez-le-feu, les observateurs,  n’est-ce pas le signe que l’on commence à accepter le régime pour la Syrie de demain ? », conclue t-il.

 

Damien Isoard

http://www.newsofmarseille.com/syrie-j-ai-un-mauvais-pressentiment/