Syrie : la communauté internationale face au blocage russe – par Luc Vinogradoff

Article  •  Publié sur Souria Houria le 31 janvier 2012

Une nouvelle étape diplomatique de la crise syrienne aura lieu, mardi 31 janvier, à New York, alors que le conflit armé s’est encore amplifié sur le terrain. Le premier secrétaire de la Ligue arabe, Nabil El-Arabi, présentera un plan de sortie de crise devant le Conseil de sécurité de l’ONU, qui se prononcera ensuite sur une nouvelle résolution directement inspirée de ce plan. A l’heure actuelle, l’adoption de cette résolution dépend presque entièrement de la Russie et de la Chine, membres permanents du Conseil disposant du droit de veto et fermement opposés à toute intervention étrangère.

Un précédent projet de résolution condamnant la répression en Syrie avait ainsi déjà été rejeté en octobre par Moscou et Pékin. Mais si la Chine est quelque peu effacée diplomatiquement sur ce dossier, Moscou n’hésite pas à dire publiquement son opposition aux solutions défendues par les Européens, quitte à proposer des alternatives qui servent davantage ses intérêts.

Selon un diplomate, cité anonymement par Reuters, le projet de résolution est actuellement « soutenu par au moins dix des quinze membres du Conseil de sécurité des Nations », a fortiori par certains des nouveaux membres temporaires (Maroc, Togo, Guatemala, Pakistan et Azerbaïdjan). Mais comme le rappelle le ministre des affaires étrangères français, Alain Juppé, qui fera le déplacement mardi, « les conditions pour adopter une résolution ne sont pas encore réunies, puisque la Russie continue à faire de la résistance ».

Le retour du dossier syrien à l’ONU a été précipité par la suspension de la mission d’observation de la Ligue arabe et le départ de ses inspecteurs, samedi, alors même que le régime de Bachar Al-Assad avait accepté de la prolonger pendant un mois. M. El-Arabi avait justifié cette décision par « la détérioration significative de la situation » sur place, accusant Damas d’avoir « opté pour l’escalade sécuritaire ».

Le nouveau projet, présenté officiellement par le Maroc, reprend presque mot pour mot le plan élaboré par la Ligue arabe en demandant un soutien international :

– Il appelle le régime de Bachar Al-Assad à mettre « immédiatement un terme à toutes les attaques et violations des droits de l’homme » contre la population civile. Selon un bilan des Nations unies, au moins 5 400 personnes on été tuées depuis le début de la contestation en mars. Les responsables des Nations unies ont reconnu la semaine dernière ne plus être en mesure de donner un bilan fiable, laissant entendre que celui-ci pourrait être beaucoup plus important.

– Il propose une « transition politique » d’une durée de deux mois, avec un transfert du pouvoir du président Bachar Al-Assad au profit de son vice-président et la formation d’un gouvernement d’union nationale, chargé de préparer des élections. L’aboutissement serait « un départ pacifique » de l’actuel régime.

– Il ne propose pas explicitement la mise en place de sanctions contre Damas, mais prévient que le Conseil de sécurité pourrait « prendre des mesures supplémentaires » si le régime syrien ne respecte pas ses décisions dans les deux semaines.

« LIGNES ROUGES »

Or, à peine l’annonce de cette résolution était rendue publique, vendredi, que la Russie prévenait haut et fort qu’elle était « vouée à l’échec ». Moscou avait déjà proposé son propre projet de résolution à l’ONU, qui fait porter la responsabilité des violences aussi bien sur Bachar Al-Assad que sur l’opposition, une option rejetée par les pays occidentaux.

Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a évoqué le franchissement d’un certain nombre de « lignes rouges » qui étaient inacceptables pour son gouvernement. En premier lieu desquelles figure le départ de Bachar Al-Assad comme condition préalable à toute négociation, que les Russes considèrent comme très risqué au vu de l’équilibre régional. Est-ce à dire que le nouveau projet de résolution est mort-né ?

Pour Peter Harling, spécialiste de la Syrie à l’International Crisis Group, la Russie ne cherche pas à bloquer coûte que coûte le processus diplomatique, mais bien à le contrôler pour défendre ses intérêts. « Il faut rassurer les Russes sur les perspectives d’une transition qui se ferait sans précipiter l’effondrement de l’Etat et bouleverser les équilibres régionaux, explique-t-il. Pour l’instant, ils craignent les ambitions stratégiques des Occidentaux, les orientations islamistes de l’opposition en exil, et les risques de chaos sur le terrain. » « Les Russes haussent le ton pour la forme, mais ils sont clairement dans une logique de négociation », confirme un diplomate au Monde.

La diplomatie russe, qui se dit prête à « négocier », défend un processus politique conduit uniquement par les Syriens et non « une issue imposée par la Ligue arabe à un processus politique qui n’a même pas encore commencé ». Elle refuse également toute référence à un « changement de régime », selon son ambassadeur à l’ONU, Vitali Tchourkine. Une allusion directe à la Libye, où la résolution de l’ONU ayant autorisé l’intervention militaire internationale avait été adoptée avec les voix russes et chinoises.

LA RUSSIE N’A PAS À « ROUGIR »

Pour éviter de passer par l’ONU, Moscou propose des négociations bilatérales sur son propre sol entre l’opposition syrienne et le régime. « Les Russes cherchent à jouer un rôle dans cette transition négociée », souligne Peter Harling, rappelant que Moscou possède une certaine légitimité en tant que « seul acteur à entretenir des liens avec le régime syrien et avec le reste du monde, contrairement à l’Iran ». Le ministère des affaires étrangères russe a confirmé, lundi, que Damas avait donné son accord pour participer à de telles négociations.

Burhan Ghalioun, chef du Conseil national syrien, organisme réunissant la quasi-totalité des courants de l’opposition, a exclu catégoriquement la présence de son organisation à de telles négociations, répétant que « la démission d’Assad est une condition pour toute négociation ». « Si les Russes veulent une solution négociée à la situation dramatique dans le pays, ils doivent admettre qu’Assad doit partir car un assassin du peuple ne doit pas superviser une transition vers la démocratie », a-t-il ajouté avant de se rendre à New York.

Une autre « ligne rouge » critiquée par la diplomatie russe est « l’imposition [par la résolution] d’un quelconque embargo sur les armes », comme l’a rappelé Vitali Tchourkine. Alors même que la répression armée monte en intensité, le commerce d’armes entre Damas et Moscou se poursuit, provoquant la colère de plusieurs diplomates européens. « Je ne vois pas pourquoi nous devrions nous justifier pour cela, a récemment déclaré le vice-ministre des affaires étrangères, Sergueï Ryabkov, à la radio Ekho Moskvy. Je ne vois pas pourquoi nous devrions constamment rougir, devenir blêmes ou suer abondamment. Nous sommes dans notre droit. »

En effet, la Russie ne cherche même pas à cacher ce commerce. Elle a récemment vendu 36 avions de chasse Yak-130 au régime syrien pour 550 millions de dollars. Auparavant, un navire transportant jusqu’à 60 tonnes d’armes et d’équipements militaires a pu transiter par Chypre à destination de la Syrie, selon des médias russes. En 2010, la Syrie a acheté pour 700 millions de dollars d’armement à la Russie, ce qui représente 7 % des ventes russes à l’étranger dans ce secteur, selon le cercle de réflexion russe CAST. Mais il faut relativiser ces chiffres, comme le note Peter Harling. « Le volume actuel des contrats d’armement n’est pas très important, explique-t-il. Ces dernières années, la Russie s’est toujours abstenue d’accorder au régime syrien un quelconque avantage dans le rapport de force avec Israël. »

source: http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/01/30/syrie-la-communaute-internationale-face-au-blocage-russe_1636393_3218.html