Syrie: la fuite en avant sanglante d’un régime totalitaire – par Monique Mas

Article  •  Publié sur Souria Houria le 22 novembre 2011

C’est l’impasse en Syrie où depuis la mi-mars le régime de Bachar el-Assad poursuit sa répression, au mépris de la Ligue arabe qui a suspendu Damas de ses rangs mercredi dernier. Les condamnations internationales pleuvent, les désertions dans l’armée se multiplient, l’opposition s’organise. Mais rien de déterminant n’a encore modifié le rapport des forces.

La France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne veulent prendre le relais de la Ligue arabe, dont Bachar el-Assad a ignoré le plan de sortie de crise et les menaces de sanctions. Une initiative inédite de la part de l’organisation panarabe où le régime syrien comptait, jusqu’à récemment, de solides soutiens.

En particulier, parmi les Etats membres les plus soucieux de battre en brèche le mouvement de contestation qui les menace tous en fin de compte. C’est ainsi que le Qatar s’est voulu le fer de lance de la Ligue arabe pour amener Alger en particulier à entrer dans le rang des 18 pays qui se sont prononcés en faveur d’un vote condamnant la répression en Syrie.

Un système incapable de se réformer

« Ne défendez pas trop la Syrie car vous devrez compter sur nous quand votre tour viendra », a lancé le représentant du Qatar à celui de l’Algérie jusqu’ici adepte d’un soutien sans faille au régime baasiste de Syrie. Mais force est de constater que jusqu’à présent, le président Bachar el-Assad n’a semblé réagir à aucune pression extérieure. Il a, au contraire, menacé de se battre jusqu’à la mort, en continuant de prétendre que ses opposants sont des terroristes manipulés de l’extérieur. Une fuite en avant qui témoigne surtout de l’incapacité du régime à se réformer sans risquer de s’effondrer.

Comme le rappelle le représentant de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, le docteur Moussab Azzawi, Bachar el-Assad n’a pas changé sa politique d’un iota au cours de ces neuf mois de sang. Et avant le début du mouvement de mars, il avait disposé de onze ans, depuis son arrivée au pouvoir, pour manifester une éventuelle volonté d’assouplir le régime légué par son père Hafez el-Assad. C’est au contraire la politique du bâton qu’el-Assad fils à privilégiée à chaque fois qu’une tête est sortie du rang pour contester le monopole de son clan.

Le régime s’enferre dans le déni, souligne Moussab Azzawi, parce qu’il « n’a aucune vision politique de la crise. Il essaie d’entrainer le pays dans la guerre civile. Plus de 4 000 civils ont déjà été tués depuis le début des manifestations. Au moins 290 enfants de moins de 12 ans sont morts. C’est un Etat totalitaire dirigé par un petit groupe de gens ». Pour eux, accepter la moindre réforme, cela voudrait dire relâcher leur emprise sur le pays au risque de voir tomber le régime qui ne tient que par la force.

La stratégie du déni

Une fuite en avant répressive tient lieu de stratégie au régime syrien. Et pour l’opposition, c’est une course d’endurance qu’il s’agit de mener, pour tenir le cap de la ligne pacifiste qu’elle s’est fixée. Pour le moment, cette stratégie non-violente n’a rien obtenu en retour du régime. Mais elle constitue en quelque sorte, une épreuve d’initiation à la démocratie pour l’opposition. Celle-ci a commencé à s’organiser au sein notamment d’un Conseil national Syrien assez représentatif de la diversité communautaire, confessionnelle et d’opinions qui traverse la Syrie.

Jour après jour, le mouvement de contestation paie le prix du sang au régime qui ne s’en émeut pas comme l’a signifié ce week-end Bachar el-Assad dans un entretien avec l’hebdomadaire britannique, The Sunday Times. Adoptant le ton docte de l’ophtalmologue qu’il avait voulu être avant de succéder à son père, Bachar el-Assad a expliqué au Sunday Times que malgré le nombre de morts, l’heure n’est pas à l’émotion mais à l’action sécuritaire.

« Concernant les tueries, vous feriez mieux de demander qui a tué 800 officiers, soldats et policiers dans les rues. Ce ne sont pas des manifestants pacifiques. Ce sont des activistes, affirme Bachar el-Assad en sous-entendant que ce sont là les terroristes qu’il accuse en permanence de troubler son règne. Là où se trouvent ces activistes, il y a des tueries, poursuit-il. Le rôle du gouvernement c’est de combattre ces activistes pour restaurer la stabilité … Nous devons empêcher que des armes arrivent en contrebande en Syrie à travers les frontières des pays voisins et que de l’argent parviennent à ces activistes… »

Le scénario libyen comme repoussoir

En neuf mois, les désertions se sont accrues, renforçant un premier carré d’officiers « libres » et les armes ont commencé à circuler comme en témoigne par exemple l’attaque à la roquette dimanche 20 novembre du local du parti Baas, au pouvoir à Damas. Mais si le basculement vers la lutte armée est engagé, le rapport des forces ne paraît pas encore avoir commencé à changer. Reste que la manifestation d’une résistance armée, même embryonnaire, sert d’argument à Moscou et à Pékin qui se disent soucieux de tenir bien close la boîte de Pandore régionale. Pour la Chine et la Russie, l’apparition d’une rébellion armée risque de catalyser des tentations d’ingérences extérieures qui pourraient prendre forme d’appui militaire ou financier.

La Chine et la Russie invoquent la menace d’une guerre civile aux conséquences régionales pour refuser leur voix au Conseil de sécurité. Et cela même s’il s’agit seulement de voter une condamnation. Car pour Pékin et Moscou, cela pourrait entrouvrir la porte d’une intervention extérieure, avec pour commencer la zone d’exclusion aérienne réclamée par l’opposition syrienne comme l’avait fait avant elle la rébellion libyenne pour neutraliser la riposte militaire de Mouammar Kadhafi. Ce n’est pas du tout à l’ordre du jour des Occidentaux qui ont sonné un branle-bas pour le moment purement diplomatique. Mais à l’intérieur comme à l’extérieur de la Syrie et de sa région, nul ne peut se targuer de pouvoir prédire l’avenir même à court terme et encore moins de contrôler la situation.

Ligne de front diplomatique

La Ligue arabe doit se réunir à nouveau jeudi 24 novembre pour examiner les suites à donner au rejet de son plan de sortie de crise par le président Bachar el-Assad. Son ultimatum est resté lettre morte samedi à minuit. Et cette fois, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne veulent soumettre leur résolution de condamnation à l’Assemblée générale des Nations unies – où toutes les voix sont égales – et non plus au Conseil de sécurité où la Chine et la Russie disposent d’un droit de veto.

Avec le renfort des voix arabes, une condamnation de la Syrie dans l’Assemblée onusienne serait une manière de marquer l’isolement de la Chine et de la Russie sur ce dossier syrien. Pour autant, les Occidentaux non plus ne veulent pas se risquer à intervenir militairement en Syrie, d’une manière ou d’une autre. Ils redoutent un effet domino dans cette région mosaïque où le régime alaouite de Damas occupe une position charnière sur l’axe chiite qui relie le Hezbollah libanais à l’Iran.

Entre l’Irak inquiet pour ses centaines de milliers de ressortissants réfugiés en Syrie, la Turquie dont le Premier ministre, Recep Erdogan, assure que les jours de Bachar el-Assad sont comptés, le Liban où le Hezbollah au pouvoir commence à se déchirer sur l’attitude à tenir à son égard, mais aussi Israël ou les pays du Golfe qui aspirent à la chute du Baas asservi par le clan alaouite, le régime syrien croit pouvoir durer avec l’appui de l’Iran. Un faux calcul selon le Syrien Moussab Azzawi.

C’est vrai explique Moussab Azzawi que Damas est au carrefour de la politique incendiaire mise en œuvre par Téhéran dans la région pour renforcer l’axe chiite. Le régime est « aux avant-postes des projets de l’Iran dans la région et il pense qu’avec le soutien de l’Iran il peut constituer une menace pour les pouvoirs de la région, en particulier ceux du Golfe, mais aussi les Etats-Unis et les pays occidentaux qui ont des intérêts dans la région ». Mais, conclut Moussab Azzawi, cela ne le sauvera pas « parce qu’aucun soutien extérieur ne peut permettre à un régime à survivre si son peuple ne veut plus de lui ».

En fait l’idée d’une intervention extérieure sur le modèle libyen est le seul scénario qui fasse véritablement frémir le régime Bachar el-Assad. Pour le reste, même les sanctions occidentales frappant ses exportations pétrolières n’ont pas fait plier le régime syrien.

source: http://www.rfi.fr/moyen-orient/20111122-bachar-el-assad-syrie-sanglante-damas-ligue-arabe