Syrie : la fuite hors de la réalité d’Al-Assad – par AMIR TAHERI

Article  •  Publié sur Souria Houria le 19 décembre 2011

Traduit de l’anglais par SouriaHouria

Que faites-vous lorsque vous êtes à court d’arguments ? Pour certains intellectuels arabes et iraniens, la réponse est simple, vous étiquetez vos opposants comme des « agents » de puissances étrangères et comme des pions dans une « conspiration » ourdie par l’étranger.

C’est ce qu’il s’est passé en 2009 lorsque des millions d’iraniens sont descendus dans les rues pour protester contre une élection présidentielle qu’ils jugeaient frauduleuse.

Comme il n’y a eu aucune enquête indépendante sur cette affirmation, personne ne pourrait la soutenir ou la rejeter. Ce qui est certain en revanche, c’est que les millions de personnes qui sont descendues dans les rues étaient des citoyens iraniens ordinaires qui se sentaient humiliés par des fraudes électorales massives. Ils n’étaient les « agents » de personne.

Toutefois le chef de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, ne voulait, ou ne pouvait, tout simplement pas comprendre ce fait.

Plus de deux ans après, son entourage et lui ont transformé leur version des événements en un texte sacré qui ne saurait être remis en question. Etant prisonniers d’un récit dogmatique, Khamenei et son entourage ne sont plus en mesure d’analyser ce qui s’est passé, et encore moins de mettre en place des politiques pour faire face aux conséquences.

Avec le soulèvement syrien entrant dans son neuvième mois, nous assistons à une fuite hors de la réalité similaire de la part du président Bashar al-Assad et de son entourage.

Arrivés à court d’arguments, certains partisans d’al-Assad ont utilisé le bon vieux truc d’étiqueter ses opposants comme des « agents » et des « conspirateurs ».

En échange, une option pourrait consister à désigner comme « agents du régime d’al-Assad » dans un «complot ourdi à Damas » tous ceux qui étiquettent les autres comme des « agents » étrangers.

Toutefois, ces injures mutuelles ne nous mèneront nulle part.

La réalité est que la Syrie traverse la plus grave crise de son histoire comme pays indépendant.

Il est également inutile de nier le fait qu’al-Assad ne peut ou ne veut pas ne serais-ce qu’envisager une solution politique à la crise. Ses derniers entretiens et déclarations indiquent qu’il a mis tous ses oeufs dans le pannier d’une répression brutale. Il a décidé, ou a été amené à décider, que seule la force pourrait sauver son régime.

Paradoxalement, al-Assad lui-même pourrait être en train d’ouvrir la voie à une intervention étrangère en Syrie, comme Mouammar Khadaffi l’a fait en Libye et Saddam Hussein en Iraq.

Al-Assad fait cela de trois manière.

D’abord, en aggravant la crise, il crée une menace pour la sécurité des pays voisins, notamment la Jordanie et la Turquie, tout en générant une instabilité en Méditerranée orientale. Souvent, l’instabilité dans un pays entraîne les pays voisins dans un conflit qui ne les concernait pas à l’origine. C’est ce qui s’est passé avec le Sud-Vietnam de 1950 à 1975 et avec l’Afghanistan après l’invasion soviétique en 1979.

Ensuite, al-Assad est devenu de plus en plus tributaire du soutien de la République Islamique de Téhéran. C’est ainsi que la nouvelle agence [de presse] officielle iranienne IRNA a présenté la situation la semaine dernière : « La Syrie du président Bashar al-Assad fait partie du périmètre de défense de la République islamique contre ses ennemis. » Traduit en langage clair, cela signifie que l’Iran a déjà été entraîné dans la crise syrienne. Serais-ce surprenant si les opposants de l’Iran considéraient la Syrie comme un champ de bataille?

Troisièmement, en soutenant l’affirmation selon laquelle la crise syrienne fait partie d’une plus vaste lutte entre puissances rivales étrangères, al-Assad rend les choses plus difficile pour permettre un dialogue national destiné à rechercher une solution pacifique.

Ayant rejeté une «solution arabe», al-Assad rejette aussi une « solution syrienne. » Il reste avec l’espoir d’une solution militaro-sécuritaire, basée sur la supputation que si vous tuez suffisamment de gens, les choses vont commencer à se calmer.

En encourangeant ses illusions, les apologistes d’al-Assad lui donnent seulement plus de corde avec laquelle se pendre.

Les apologistes croient qu’en présentant les leaders pro-démocratie comme des « agents » et l’insurrection comme un «complot», ils vont persuader les masses syriennes de ne pas secouer leurs chaînes. Ils pourraient toutefois provoquer l’effet inverse en persuadant davantage de syriens que l’aide étrangère est nécessaire et bienvenue pour se débarrasser de l’oppresseur.

Un peuple poussé à la ferveur insurrectionnelle n’y réfléchira pas à deux fois quant à la provenance de l’aide nécessaire pour gagner sa liberté.

La plupart des révolutions ayant réussi étaient accompagnées par un quelconque soutien de l’extérieur, bien qu’il soit difficile d’établir si un tel soutien a été décisif dans leur succès.

Demandez aux Français, et ils vous diront que la Révolution américaine, c’est-à-dire l’émergence des Etats-Unis, a été le résultat d’une stratégie de la France pour affaiblir l’Angleterre. Des centaines d’officiers de l’armée et des services de renseignement français ont pris part à l’entreprise.

Ensuite, demandez aux anglais et vous apprendrez comment les Etats-Unis nouvellement créés ont aidé à fomenter la Révolution Française avec l’aide du réseau pan-Européen des Illuminati.

Plus récemment, les Allemands n’ont-ils pas acheté un billet de train à Lénine pour l’aider à retourner en secret en Russie pour fomenter une révolution ?

En Iran, en 1979, le Shah était persuadé que la révolution était un « complot » ourdi par le président américain Jimmy Carter et exécuté par des « agents » britanniques et russes.

Plus récemment, nous avons entendu les mots «agent» et «conspiration» de Kadhafi, Ben Ali, Saleh et Moubarak, entre autres.

Ce que les apologistes d’al-Assad ne comprennent pas ce sont les relations entre les facteurs intérieurs et extérieurs dans le façonnement des événéments. Si vous avez un oeuf et que vous le gardez au chaud, vous pourriez vous retrouver avec un poulet. Mais si vous avez une pierre et que vous la gardez au chaud, vous n’obtiendrez rien d’autre qu’une pierre chaude.

Si la Syrie n’était pas d’humeur révolutionnaire, aucun pouvoir extérieur n’aurait pu la pousser dans cette direction. Les seules questions valables sont : qui a poussé la Syrie à une humeur révolutionnaire et qu’est ce qui peut être fait pour l’aider à s’en sortir avec un minimum de dégâts ?

Le problème pour al-Assad est que la Syrie est d’humeur révolutionnaire.

Le problème pour la Syrie est qu’al-Assad est dans le déni.

(L’auteur est chroniqueur et commentateur politique. Cet article a d’abord paru dans Asharq Al-Awsat, le 16 décembre 2011)

source: http://english.alarabiya.net/views/2011/12/17/183000.html »http://english.alarabiya.net/views/2011/12/17/183000.html