Syrie : les enjeux de l’introuvable conférence Genève 2 – par Benjamin Barthe

Article  •  Publié sur Souria Houria le 25 novembre 2013

Annoncée, repoussée, oubliée, puis réannoncée, re-repoussée et ainsi de suite depuis six mois, la conférence de paix sur la Syrie, baptisée Genève 2, n’en finit pas d’user les nerfs des diplomates onusiens qui s’échinent à la mettre sur pied. Longtemps elle a semblé inatteignable, telle une lubie poursuivie par quelques idéalistes, alors que les vrais débats se déroulaient sur le terrain, armes à la main. Mais la perspective de voir des représentants du régime et de l’opposition syrienne s’asseoir à la même table a gagné quelques degrés de réalisme. Genève 2 pourrait s’ouvrir, dans le meilleur des cas, courant décembre.

C’est un communiqué de la Coalition nationale syrienne (CNS), diffusé le 11 novembre, qui a mis en lumière ces progrès. Dans ce texte, le principal rassemblement d’opposants au régime syrien se disait prêt à participer à ces pourparlers, « sur la base d’un transfert dupouvoir à une autorité transitoire », dotée des « pleins pouvoirs exécutifs » et formée par « consentement mutuel ».

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« IL FAUT ÊTRE RÉALISTE »

Une formulation conforme au document de Genève élaboré en juillet 2012 par les Etats-Unis et la Russie, restée lettre morte depuis, en raison de divergences d’interprétation entre les deux grandes puissances. « Il faut être réaliste, plaide Najib Ghadbian, l’ambassadeur aux Etats-Unis de la Coalition. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être vus comme les responsables de l’échec de la solution politique. »

La Coalition a précisé que « Bachar Al-Assad et ses associés ne joueront aucun rôle dans la phase transitoire et dans la future Syrie », en accord avec un communiqué adopté à Londres, le 22 octobre, par les Amis de la Syrie. Mais ce rajout au texte initial ne doit pasfaire illusion : le principal courant de l’opposition, autrefois hostile au communiqué de Genève, se fait à l’idée que la démission de Bachar Al-Assad ne peut être que l’aboutissement des négociations et non un préalable à leur ouverture.

« Aujourd’hui, c’est ridicule de poser des conditions pareilles, confie un conseiller de la Coalition. On sait très bien que les Russes n’accepteront jamais cela. Et, en même temps, des informations nous laissent penser que Moscou n’est plus à 100 % derrière Bachar. Une délégation qui sait parler politique pourrait s’entendre avec les Russes. »

Deuxième évolution, qui découle de la précédente : le principe de s’asseoir en face d’un émissaire du président syrien n’est plus une ligne rouge. Au début de l’année, la proposition du premier chef de la CNS, le cheikh Moaz Al-Khatib, d’ouvrir des négociations avec Farouk Al-Sharaa, le vice-président syrien, en délicatesse avec le régime, avait été très mal accueillie par les militants.

Aujourd’hui, la perspective de négocier avec Walid Mouallem, le ministre des affaires étrangères syrien, probable chef de la délégation que le régime pourrait envoyer à Genève, suscite moins d’opposition. « Pour tous nos membres, qui ont perdu des proches dans la répression, le sujet a été longtemps tabou », explique Munzer Akbik, le chef de cabinet du nouveau président de la CNS, Ahmed Jarba. En filigrane de cette évolution, on peut lirel’impact de l’enlisement des combats et la prise de conscience, après la volte-face américaine sur les armes chimiques, qu’il est vain de parier sur une intervention étrangère.

LA BAGUETTE MAGIQUE DES « KHAWAJA »

Troisième signe encourageant : en limitant ses demandes d’avant-conférence à la libération de prisonniers et à l’acheminement d’aide humanitaire dans les zones assiégées par l’armée, la CNS se rapproche des positions de son concurrent au sein de l’opposition syrienne : le Comité de coordination nationale pour le changement démocratique (CCN), une coalition de partis et de personnalités issus de la gauche laïque, critique de la militarisation du soulèvement.

« C’est la baguette magique des khawaja (“étrangers”), sourit l’un de ses dirigeants, Haytham Al-Manna, en référence aux pressions exercées par les Amis de la Syrie sur la CNS. Le communiqué de Londres, c’était pour sauver la face. Tous les pays qui ont reconnu la CNS comme le représentant du peuple syrien lui demandent d’aller à Genève. A moins de perdre leur soutien, elle ne peut plus dire non. »

Reste un obstacle, et pas le moindre. Même s’il a très tôt signalé sa disposition à participerà Genève 2, le régime n’a jamais reconnu explicitement le communiqué de juillet 2012, censé servir de socle à cette conférence. Dernièrement, Bachar Al-Assad, confiant dans sa capacité à l’emporter militairement, évoquait même la possibilité de se présenter à l’élection présidentielle, prévue en 2014.

Le CCN, proche de Moscou, s’accommode de cette ambiguïté. « Le régime viendra à la conférence, dans l’idée de désarticuler l’article sur la formation de “l’autorité transitoire”, le seul qui lui fait peur, prédit Haytham Al-Manna. Mais, si toutes les autres parties autour de la table insistent sur ce point, il ne pourra pas finasser. »

La CNS, très suspicieuse à l’égard du Kremlin et peu confiante dans le soutien de la Maison Blanche, redoute un processus à rallonge, qui l’éloigne de son objectif initial. « Nous irons à Genève pour lancer une transition démocratique, prévient Khaled Saleh, un porte-parole,pas pour faire gagner du temps au régime. » A supposer que la conférence s’ouvre effectivement, quelle probabilité de réussite faut-il lui accorder ? « Nulle ou presque », prédit un cadre de la CNS, avec un sourire dépité.

source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/11/21/syrie-pourquoi-la-conference-geneve-2-se-rapproche_3517446_3232.html

date : 21/11/2013