Syrie : « Les États-Unis font preuve d’hypocrisie » – par Arielle Thedrel

Article  •  Publié sur Souria Houria le 8 août 2012

Salam Kawakibi: «Le résultat de cette paralysie diplomatique est que les Syriens ont compris qu'il ne faut compter que sur eux-mêmes.»

INTERVIEW – Salam Kawakibi, d’origine syrienne, dirige le centre de réflexion de l’Initiative de réforme arabe.

LE FIGARO.- La Russie et la Chine sont-elles seules responsables de l’impasse diplomatique?

Salam KAWAKIBI.- Je ne crois pas. Les pays occidentaux portent aussi leur part de responsabilité. Notamment les États-Unis, qui font preuve d’hypocrisie. Les Américains demandent toujours plus à l’opposition syrienne. Tantôt de s’unifier, tantôt de donner des garanties aux minorités, puis ils demandent la création d’un gouvernement transitoire… C’est une façon de repousser les échéances, de se désengager et cela n’aboutit qu’à diviser l’opposition syrienne. Les Américains lui donnent des leçons, l’invitent à se montrer très ferme avec la Russie – ce qu’eux-mêmes ne font pas alors qu’ils pourraient influencer la Russie ayant, comme les Européens, des relations économiques très importantes avec elle. Inversement, pour Moscou, la Syrie n’est pas un enjeu géostratégique comme on le prétend, mais une monnaie d’échange. Moscou utilise la carte syrienne pour surenchérir sur d’autres dossiers qui lui tiennent à cœur, tels que la Géorgie ou le bouclier antimissile. Le résultat de cette paralysie diplomatique est que les Syriens ont compris qu’il ne faut compter que sur eux-mêmes.

Faut-il «passer outre» les veto russe et chinois?

Je ne crois pas que le scénario libyen puisse s’appliquer à la Syrie. La géopolitique y est beaucoup plus complexe, les acteurs régionaux beaucoup plus impliqués dans la crise. Les Occidentaux ont peur d’un embrasement régional. Ce qui leur importe est la sécurité de leur principal allié dans la région, Israël. Ils redoutent également que la chute du régime de Bachar el-Assad ne débouche sur le chaos et fasse le jeu des extrémistes. Tous ces arguments plaident en faveur du statu quo et contre une intervention militaire. Mais il existe d’autres formes d’interventions que l’opposition syrienne revendique depuis longtemps, comme l’instauration de zones de protection pour les civils ou l’interdiction de l’espace aérien. À Alep, l’armée utilise de plus en plus l’aviation pour bombarder les insurgés.

À défaut d’avancée politique, la France mise sur l’humanitaire. Est-ce suffisant?

Ce n’est pas suffisant dans la mesure où cela n’arrêtera pas la machine de guerre, mais c’est très urgent et très important. La situation humanitaire est catastrophique. On compte environ un million et demi de déplacés à l’intérieur du pays sans parler des dizaines de milliers de réfugiés dans les pays limitrophes. On parle de 25 000 réfugiés syriens rien qu’en Algérie. La population manque de tout, médicaments, nourriture, médecins qualifiés pour opérer les victimes d’armes lourdes. Mais il faut aussi cesser de parler d’aide humanitaire tant que cette aide ne parvient pas. C’est-à-dire qu’elle ne doit pas passer par de prétendues ONG contrôlées en réalité par les autorités syriennes, mais par les réseaux de la société civile.

source : http://www.lefigaro.fr/international/2012/08/07/01003-20120807ARTFIG00413-syrie-les-etats-unis-font-preuve-d-hypocrisie.php