Syrie : l’Etat de barbarie continue de sévir – par Nora Benkorich

Article  •  Publié sur Souria Houria le 30 décembre 2012

 

Réfugiés de Maarat dans un camp du Jebel Zawiyya

Réfugiés de Maarat dans un camp du Jebel Zawiyya

Plus de vingt mois après le début du soulèvement populaire contre le régime de Bachar al-Assad, la situation en Syrie prend une tournure dramatique. Les condottieres du clan au pouvoir, loin de s’être résignés face à un mouvement de contestation persistant et grandissant, accélèrent le rythme des punitions collectives contre une population civile désarmée. Deux villes illustrent de manière éloquente ces mesures vindicatives : Daraya, l’une des plus grandes banlieues de Damas comptant près de deux cent mille habitants et Maarat al-Numan, bourg industriel de cent vingt mille habitants situé dans le gouvernorat d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie.

Depuis plusieurs semaines, Daraya et Maarat al-Numan sont quotidiennement attaquées par les sbires du régime. Aux assauts terrestres, menés à l’appui de chars d’artillerie, de lance-roquettes et de mortiers, s’ajoutent des incursions aériennes – MIG et hélicoptères – qui visent indistinctement tous les quartiers, y compris civils, de ces villes. Human Right Watch, qui avait déjà fait état de l’usage de bombes à sous-munitions, pointe désormais l’utilisation de bombes incendiaires, interdites à l’usage sur des zones peuplées par plus de cent pays.

Le bilan provisoire de ces assauts ininterrompus est de 300 morts en un mois à Daraya et de 600 morts à Maarat al-Numan en deux mois, pour la majorité civils, auxquels s’ajoutent plusieurs milliers de blessés. De surcroit, les plupart des habitants ont été contraints de se réfugier dans les villes et villages avoisinants.

Réfugiés de Maarat dans un camp du Jebel Zawiyya

C’est le cas d’Osama, activiste de Daraya. Au début du mois de novembre 2012, face à l’intensité des bombardements, les onze membres de sa famille ont dû quitter la ville pour s’installer chez sa sœur, à Damas. L’appartement, un deux pièces, est exigu, mais « nous avons beaucoup de chance » estime Osama, contacté via Skype. La plupart des familles déplacées, réfugiées dans les vergers situés à l’ouest de la ville et dans des villages avoisinants, comme Sahnaya, Kafarsouseh, Khan al-Shih ou Zakieh, n’ont en effet pas eu cette chance. Prises en étau, elles sont allées là où elles pouvaient. Certaines ont trouvé refuge dans des fermes, des mosquées ou des écoles, dépourvus de mazout et d’électricité pour êtres chauffés. D’autres, confrontées au manque de place, se retrouvent à la rue ou dans des parcs en plein hiver, avec une température qui tombe à 0°C la nuit. A ces conditions s’ajoutent la pénurie de pain et la flambée des prix des aliments de première nécessité – y compris le lait pour les nourrissons. Combien de temps ces familles pourront-elles tenir ? Récemment, certains de ces refuges ont été bombardés par les nervis du régime, comme Sahnaya dont la mosquée où se sont installés des réfugiés a été la cible de roquettes. A Khan al-Shish, une campagne a été menée il y a quelques jours visant à arrêter tous les hommes – une centaine – des familles réfugiées dans les fermes. Certains ont tenté de rejoindre Damas, mais les barrages de contrôle répartis aux entrées de la ville veillent à repousser le flux des déplacés internes.

La situation n’est guère plus enviable pour les habitants de Maarat al-Numan, transformée en champ de bataille. Tout comme les habitants de Daraya, ceux de Maarat ont été contraints de trouver refuge dans les villages avoisinants du Jebel Zawiyya. Selon Mohammad Yahya, un activiste contacté via Skype, la plupart vivent dans des conditions sanitaires et humaines exécrables. Ceux qui ont eu la chance de trouver un abri vivent sans électricité, sans chauffage et sans eau. Les autres tentent de survivre sans abri, désormais sous la neige. De nombreux cas de décès dus au froid et à la famine ont été documentés.

Comment les activistes de ces villes tentent-ils de s’organiser pour assister ces populations déplacées ? Ces derniers font des va-et-vient entre les différents villages où les habitants se sont établis pour leur fournir de quoi survivre (couvertures, eau et pain), mais ils manquent cruellement de moyens. A Daraya, leurs déplacements se heurtent régulièrement aux barrages des forces de sécurité du régime qui dans les meilleurs des cas les empêchent de circuler, et dans le pire des cas les expédient en prison. Pour contourner cet écueil, certains se sont affublés de l’uniforme du Croissant Rouge, qui leur permet de passer ces barrages sans contrôle d’identité. Notons qu’en Syrie, le Croissant Rouge ne peut intervenir sans l’aval du régime syrien et n’est pas autorisé à traiter avec les « parties révolutionnaires ».

Maarat al-Numan et Daraya ne sont pas des lieux anodins. Depuis qu’elles échappent au contrôle du régime, les activistes et les notables de ces villes ont démontré leur aptitude à fonder – à élire démocratiquement pour Maarat – des « conseils révolutionnaires locaux », qui géraient en lieu et place de l’Etat l’administration courante de leur localité en prodiguant à leurs habitants des services publics essentiels, en leur assurant sécurité et justice grâce à la création de tribunaux révolutionnaires et de polices locales, et en leur fournissant une aide médicale et humanitaire d’urgence. Ces villes auraient-elles commis l’erreur de montrer au régime qu’elles s’accommodent parfaitement de son absence ?

Sur le plan militaire, ces deux villes sont des enjeux stratégiques. Maarat est située à proximité de la base militaire de Wadi al-Dayf, assiégée il y a deux mois par l’Armée libre syrienne. C’est par mesure de rétorsion que le régime à lancé l’assaut contre Maarat. Quant à Daraya, la ville jouxte l’aéroport militaire de Mezzeh, dont une partie des contingents stationne au nord-ouest de la ville. Mais selon Karim Abd al-Kafi (pseudonyme), jeune activiste, le point de départ de ces incursions a été le lancement de roquettes visant le palais présidentiel en provenance des vergers situés à l’est de la ville.

Des enfants de Daraya

En réponse, le régime a choisi d’infliger aux civils une punition collective d’une violence inacceptable. Les combats qui l’opposent à l’Armée libre syrienne ne peuvent en aucun cas justifier la prise en otage d’une population civile désarmée. Cette attitude vindicative, illustrée par l’usage de bombes incendiaires et à sous-munitions qui tuent indistinctement et par la persécution des réfugiés au-delà des frontières de leurs villes, est une violation flagrante des Conventions de Genève, qui stipulent qu’une distinction doit être clairement établie entre la population civile et les combattants.

Des enfants de Daraya

Daraya et Maarat al-Numan ne sont que des exemples parmi d’autres de la politique de terre brûlée adoptée par le régime syrien. Depuis l’automne de 2012, Homs, première « ville martyre » de Syrie, n’est plus un cas isolé. De nombreuses localités connaissent le même sort, notamment Deir Ezzor, Qusayr (Homs), Karnaz (Hama) et Babila (Rif Damas). Il est temps que la communauté internationale réagisse, au risque de voir le chiffre de 43000 victimes s’accroitre exponentiellement dans les jours à venir.

(Tribune parue dans le Figaro du 27 décembre 2012)