Syrie: malgré les massacres, le commerce des armes continue – par Régis Soubrouillard , Marianne

Article  •  Publié sur Souria Houria le 18 juin 2012

Laurent Fabius a assuré que la France et les Etats-Unis discutaient avec les Russes de la succession du président syrien. Une affirmation aussitôt démentie par le ministre des affaires étrangères russes. Déjà insoluble sur le plan politique et diplomatique, le dossier syrien a vu naître ces derniers jours une nouvelle polémique sur la question des ventes d’armes.

 

La Russie aurait vendu des systèmes anti aériens Pantsir S1 à la Syrie (Alexander Zemlianichenko/AP/SIPA)

La Russie aurait vendu des systèmes anti aériens Pantsir S1 à la Syrie (Alexander Zemlianichenko/AP/SIPA)
Invité de la matinale de France Inter, Laurent Fabius s’est montré ferme sur le dossier syrien évoquant des « informations tragiques » sur des « exactions relevant de crimes contre l’humanité ». Ferme mais un brin optimiste au moment d’évoquer des « discussions avec les russes » pour préparer l’après Bachar Al-Assad : « les Russes eux-mêmes ne sont pas aujourd’hui attachés à la personne de Bachar al-Assad, ils voient bien que c’est un tyran et un assassin et que eux-mêmes en s’enchaînant à ce dictateur vont s’affaiblir » a déclaré le Ministère des affaires étrangères.

Un message pas tout à fait reçu « cinq sur cinq » par les Russes. Dès le milieu de la matinée, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov a réfuté être engagé dans des discussions sur des changements politiques en Syrie qui impliqueraient le départ de Bachar Al-Assad : « De telles discussions n’ont pas eu lieu et ne peuvent avoir lieu. Cela est en totale contradiction avec notre position. Nous ne sommes pas impliqués dans des changements de régime à travers le Conseil de sécurité de l’ONU ou des complots politiques » a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse, répondant ainsi indirectement à Laurent Fabius.

Le groupe Thales au coeur de la polémique

Pour la première fois, Laurent Fabius a également évoqué publiquement la possibilité d’une aide matérielle française à la rébellion syrienne. Une issue au conflit serait «une victoire claire et nette de l’opposition. Il est envisagé, les Américains l’ont fait, peut-être nous le ferons, de donner non pas des armes mais des moyens de communications supplémentaires» aux rebelles syriens afin de leur permettre de «répertorier les emplacements des atrocités».

Si la livraison d’armes aux rebelles syriens n’est pas envisagée, dans chacun des camps est née une polémique sur la vente d’armes au pouvoir syrien.
Premiers mis en cause : les Russes, accusés par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton de fournir des hélicoptères de combat à la Syrie. Une information rapidement démentie par le ministre russe des affaires étrangères qui a simplement fait état « de réparations d’hélicoptères livrés il y a quelques années au régime ».

Mais la France, quatrième exportateur d’armes au monde, n’a pas échappé à la polémique en plein salon international de l’armement  Eurosatory.

L’organisation Human Rights Watch a critiqué, mardi 12 juin, la signature par le groupe français Thales, d’un contrat avec le russe Rosoboronexport pour équiper les chars russes de caméras thermiques, s’inquiétant de leur possible exportation vers la Syrie, ce que Thales dément. « Il est choquant que Thales, dont l’Etat français est actionnaire, continue à faire des affaires avec l’entreprise russe d’armement Rosoboronexport comme si de rien n’était », a déclaré Jean-Marie Fardeau, directeur France de l’ONG de défense des droits de l’homme.

Qui livre les armes ?

Dans une interview à l’Express, il estime que « ce contrat est politiquement inacceptable car il est passé avec une firme qui du point de vue du droit international se rend complice de crimes contre l’humanité en continuant de vendre de l’armement à un régime qui commet des crimes abominables. La France ne peut l’ignorer. Ensuite parce que la France soutient officiellement un embargo sur les armes à destination de la Syrie et pourtant une entreprise, dont l’Etat est actionnaire, signe un contrat avec cette firme russe ». D’autant que par son statut d’actionnaire du groupe, l’État français doit donner son aval sur toute vente d’armes ou d’équipements conformément à la législation européenne.

Réagissant à cette hypothèse d’armes françaises vendues à la Russie qui seraient utilisées par le régime syrien, Laurent Fabius a reconnu que ce serait « un immense problème si ces armes étaient utilisées dans le conflit syrien. Mais tel n’est pas le cas et s’il y avait des informations en ce sens, immédiatement, nous réagirions ».

Qui livre des armes à quel camp ? C’est parole contre parole.
La Russie prétend ne livrer que des armes de défense anti-aérienne à la Syrie. De son côté, l’ONG Avaaz affirme que les envois d’armes de Rosoboronexport à la Syrie continuent, « avec un bateau arrivé il y a seulement deux semaines ». En 2011, la Russie en aurait expédié pour plus de 960 millions de dollars en Syrie. «Tant qu’il n’y a pas de sanctions ni d’instruction ou d’ordre du gouvernement, nous sommes tenus de remplir nos engagements contractuels et c’est ce que nous faisons en ce moment», reconnaissait encore à la fin de l’année 2011 le patron de Rosoboronexport, Anatoli Issaïkïne.

Dans le camp adverse, le Qatar, l’Arabie saoudite et le Koweït se sont dits favorables à des livraisons d’armes à l’opposition syrienne. Selon Reuters, elles seraient déjà acheminées en contrebande depuis plusieurs mois par la frontière avec l’Irak, le Liban et la Turquie. Et leur afflux se serait accéléré ces dernières semaines.

source: http://www.marianne2.fr/Syrie-malgre-les-massacres-le-commerce-des-armes-continue_a219677.html