Syrie : pourquoi l’ONU reste paralysée – Par Armin Arefi

Article  •  Publié sur Souria Houria le 1 février 2012

La Russie a une nouvelle fois rejeté, mardi soir, toute résolution condamnant le régime syrien. Décryptage d’une position de plus en plus intenable.

ers un échec annoncé à New York ? À l’heure où les yeux du monde entier sont fixés sur le Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie a rejeté une nouvelle résolution occidentale condamnant la répression sans fin des autorités de Damas. « Nous sommes persuadés qu’au moment où survient une crise politique interne extrême, le rôle de la communauté internationale ne doit pas être d’exacerber la crise », s’est justifié l’ambassadeur russe à l’ONU, avant d’ajouter : « Le Conseil de sécurité n’a tout simplement pas le mandat pour imposer les conditions d’un règlement interne de la crise ». Vitaly Tchourkine a néanmoins ouvert une maigre porte de sortie en précisant que la dernière mouture du projet de résolution contenait « certains éléments qui donnent l’espoir » d’un compromis.

Ce texte, soutenu notamment par la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et plusieurs pays arabes, prévoit la fin des violences et le transfert des pouvoirs du président Bachar el-Assad à son vice-président. Celui-ci se chargerait par la suite de l’ouverture de négociations avec l’opposition, pour la formation d’un gouvernement d’union. Pourtant, à la différence de la résolution occidentale à laquelle Russie et Chine avaient opposé leur veto en octobre dernier, le nouveau texte bénéficie de l’appui non négligeable de la Ligue arabe.

Échaudée par une recrudescence des violences en dépit de l’envoi de ses observateurs, depuis un mois, sur le terrain, l’organisation panarabe a décidé samedi de rapatrier sa mission. Mardi soir, elle a imploré les Nations unies de sortir de leur inaction face à « la machine à tuer » du régime syrien. Difficile dès lors pour Moscou, qui n’a cessé d’accuser l’Occident d’ingérence en Syrie, de tenir le même discours face aux voisins arabes de Damas. « La Russie ne bougera pas, car, en tant qu’alliée de longue date, la Syrie joue un rôle de premier plan dans les ambitions régionales russes au Moyen-Orient, affirme Philippe Migault, spécialiste de la Russie à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Une carte d’autant plus importante que c’est la seule dans la région face à l’hégémonie américaine.

Vente d’armes

« La Russie a presque tout perdu dans le monde arabe, ce qui lui donne, au fond, une certaine liberté », note pour sa part Peter Harling, directeur du programme Syrie à l’International Crisis Group. « L’impopularité de ses positions ne lui coûte guère. » C’est peu dire. En pleine répression de la population syrienne, qui a fait, selon l’ONU, au moins 5 400 morts en 10 mois, Moscou continue à alimenter son allié syrien en matériel répressif. Ce mois-ci, la Fédération a affrété à destination de la Syrie un navire-cargo battant pavillon de Saint-Vincent-et-les-Grenadines.

À bord, de 35 à 60 tonnes de munitions, en provenance du marchand d’armes russe Rosoboronexport, à destination de la Syrie. Mais ce n’est pas tout. Tout récemment, la Russie a vendu à son allié 36 avions de chasse russes Yak 130, pour un montant total de 550 millions de dollars. Ils viennent s’ajouter aux 529 millions d’euros de contrats d’armement conclus par Moscou en 2010. Toujours en janvier, une flotte navale russe menée par le porte-aéronefs Amiral Kouznetsov a accosté à la base navale de Tartous, en territoire syrien, garantissant à Moscou un accès stratégique capital à la mer Méditerranée.

Une présence russe en Syrie que l’agence de presse officielle du régime, Sana, n’a pas manqué d’interpréter comme un « signe de solidarité » adressé à Bachar el-Assad. « Cette visite était déjà prévue de longue date, et rentre dans le cadre des manoeuvres régulières de la marine russe dans la région, rappelle Philippe Migault. Et elle y a autant sa place que la 6e flotte américaine en mer Méditerranée. » « Les questions d’armement sont des préoccupations d’ordre secondaire », estime pour sa part Peter Harling, qui relève plutôt des peurs suscitées par l’éclosion du Printemps arabe : peur de l’islamisme, préférence pour la stabilité, rejet des ingérences étrangères, défiance à l’égard de l’Occident…

Prestige russe

« Si la Russie cède sur la Syrie, comme elle a cédé sur la Libye, cela va définitivement compromettre son prestige », résume l’analyste Boris Dolgov, interrogé par l’AFP. En mars 2011, la représentation russe à l’ONU s’était abstenue lors du vote au Conseil de sécurité d’une résolution ouvrant la voie à une intervention occidentale en Libye. « À l’époque déjà, Moscou disait se méfier des opposants libyens que tout le monde trouvait sympathiques, se souvient Philippe Migault. Or les faits leur ont donné raison. Le pays est tombé dans l’anarchie. » Et le chercheur de rappeler que la Libye est « infiniment moins » dans la zone d’influence russe que la Syrie.

« La Syrie n’est pas la Libye », a insisté mercredi Alain Juppé. « Rien, absolument rien, dans le projet de résolution (…) ne peut être interprété comme une autorisation de recours à la force. » Le ministre français des Affaires étrangères avait dénoncé un « véritable scandale », ainsi qu’une « boucherie » en Syrie, peinant à cacher son pessimisme avant son départ pour New York. Mais au sortir de la réunion de mardi, le chef de la diplomatie française a estimé qu’il restait « une chance » de parvenir à un compromis avec Moscou « dans les prochains jours », en particulier sur le sort du président Bachar el-Assad.

« Ce qui se passe en Syrie est un véritable scandale. (…) La boucherie continue », a répété, mardi, le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, parvenant mal à cacher son pessimisme. « Si je vais à New York avec tous nos alliés, avec les pays arabes, c’est pour faire la pression maximum pour qu’on arrête cette violence et ce massacre », a-t-il néanmoins annoncé. Pour contrer les ardeurs occidentales, tout autant que l’opinion publique internationale, Moscou joue la carte personnelle. En décembre, la Russie a présenté son propre projet de résolution faisant porter la responsabilité des violences aussi bien sur Bachar el-Assad que sur l’opposition, avant d’essuyer un refus catégorique de l’Occident.

Carte personnelle

Lundi, face au ralliement de la Ligue arabe, la Fédération a de nouveau contre-attaqué en invitant régime syrien et opposition à dialoguer à Moscou. Si Damas a immédiatement accepté cette initiative unilatérale, le Conseil national syrien (opposition), qui fait du départ du président Assad le préalable à toute négociation, l’a rejetée. « En résistant à tout consensus international et en offrant sa propre formule, la Russie continue à occuper le devant de la scène internationale, analyse Peter Harling. Or, la proposition russe n’a aucune chance d’aboutir puisque Bachar el-Assad, justement convaincu du soutien indéfectible de Moscou, refuse tout changement de politique. »

« Une trêve temporaire entre Assad et les insurgés et une reprise des discussions entre les différentes parties sous la houlette de Moscou étaient une belle idée, mais pas vraiment réalisable », relevait, mardi, le quotidien russe d’affaires Vedomosti, avant de conclure : « Il semble que la Russie va finalement perdre son dernier allié dans la région. »

source: http://www.lepoint.fr/monde/syrie-la-russie-bloque-toujours-l-onu-31-01-2012-1425887_24.php