Syrie. « Quand l’armée d’Assad perd une ville, elle l’écrase sous les bombes »- par Radjaa Abou Dagga

Article  •  Publié sur Souria Houria le 13 avril 2013

Notre correspondant Radjaa Abou Dagga s’est récemment rendu en Syrie pour participer à la réalisation d’un documentaire pour la chaîne Arte, et préparer la série de reportages publiés par Ouest-France. Il témoigne.

Dans quelles conditions travaillent les reporters dans les zones « libérées » par la rébellion contre Bachar el Assad ?

 

Il faut d’abord des semaines, voire des mois de préparatifs. Prendre langue avec des opposants ici en France, qui établissent la liaison avec des interlocuteurs dans la région du Hatay, en Turquie, frontalière de la Syrie, auxquels il faut expliquer longuement le pourquoi de notre venue. Une fois sur place, on n’a jamais la certitude d’être entre de bonnes mains et aucune garantie de sécurité. Le franchissement de la frontière est compliqué. Dans notre cas, on était accompagné par des opposants de l’intérieur, membre d’un conseil révolutionnaire local, qui ont l’habitude d’aller et venir, et nous ont fait passer pour des experts médicaux travaillant pour des ONG. Dans le nord de la Syrie, la plupart des gens nous accueillent chaleureusement, ils ont envie de parler, de faire connaître leur situation au monde extérieur, dont ils ont été coupés pendant des décennies par le régime d’Assad. Mais on est aussi tombé, occasionnellement, sur des gens très en colère contre la passivité de la communauté internationale face à la répression. Eux nous demandaient de décamper. Le danger était partout, car il y a encore des mouchards du régime. Et puis il y a les combats. Alors que j’étais dans une tranchée rebelle à Hesh, sur l’axe vital entre Damas et Alep, un Mig a lâché un missile qui est tombé à 100 m de nous, juste de l’autre côté d’un bâtiment, qui nous a protégés. Quelques heures plus tôt, le photographe Olivier Voisin avait été tué dans cette tranchée. Parce qu’on était une équipe française, des rebelles nous ont confié son appareil afin qu’on le rapporte.

 

Qu’est-ce qui t’a le plus frappé lors de ce reportage ?

 

D’abord le fait que l’on entre dans une zone de guerre sitôt le passage de la frontière turque. À quelques dizaines de mètres, il y a déjà des traces de balles, des carcasses de véhicules militaires calcinées, et puis des camps de réfugiés avec beaucoup d’enfants. Quand on s’enfonce dans le nord de la Syrie, on voit le traitement infligé par les forces du régime. L’armée d’Assad a deux stratégies. Autour d’Ariha par exemple, une petite ville partiellement prise par les révolutionnaires, elle avait dressé des barrages partout et il y avait des combats de rue avec les rebelles, dont certains n’ont pas 18 ans. Des combats très durs, qui font des victimes tous les jours. Les combattants ne prennent pas le temps de pleurer leurs morts, très vite enterrés. Ils sont extrêmement déterminés. Je reste en contact avec les combattants d’Ariha, via Skype : plusieurs de ceux que j’ai longuement rencontrés, et dont j’ai parlé dans mes reportages ont été blessés depuis. L’un a perdu son œil.

 

 

 

 

À Ariha, le régime continuait d’administrer la partie de la ville qu’il contrôle toujours, maintenant un semblant de vie normale. Mais dès que l’armée perd une ville ou un village, dès que l’Etat n’en a plus le contrôle, alors ce sont des représailles massives, des bombardements punitifs contre la population. Les obus tombent toutes les vingt minutes.

La ville de Maaret al-Noumane, sur l’axe Damas-Alep, a été en grande partie détruite par l’artillerie et l’aviation du régime. C’est une ville fantôme, désertée par la population civile, qui s’est réfugiée dans des camps de toile le long de la frontière turque. On n’y trouve plus que des combattants rebelles.

 

Les Occidentaux rechignent à armer la rébellion, de crainte que les armes tombent entre les mains du Front al-Nosra, dont Al-Qaida revendique la paternité. Que pèsent ces djihadistes ?

 

Dans la province d’Idlib où j’ai pu me rendre, ils pèsent assez peu : un combattant rebelle sur vingt, selon les chefs locaux de l’Armée libre syrienne. On ne les voit pas dans les villes libérées, ils ne prennent pas en charge la vie quotidienne de la population comme les combattants de l’ALS, qui organisent les distributions de pain. Ils n’étaient pas à Ariha par exemple, mais ils n’étaient pas très loin et participaient à des attaques contre les forces d’Assad.

Ce qui frappe, c’est qu’ils sont très bien équipés. Visiblement, ils bénéficient de soutiens extérieurs, alors que l’ALS se débrouille avec des armes prises à l’armée régulière et des bombes artisanales… Les deux forces se côtoient parfois, mais Al-Nosra est maintenue en dehors de l’ALS. Pour ce que j’ai pu apprendre, il se trouvait parmi les combattants djihadistes syriens des Américains, des Irlandais, des Français. Un de leurs émissaires, que j’ai pu rencontrer, était d’ailleurs francophone.

Les habitants des zones libérées respectent le Front al-Nosra, parce que ses hommes sont déterminés et se portent à la pointe du combat… aussi longtemps que les djihadistes ne se mêlent pas de leur mode de vie et ne tentent pas de leur imposer leurs règles.

Dans des zones libérées comme le Djebel Zawiya, quelques tribunaux de la charia ont été instaurés. Ils sont dirigés par des magistrats qui ont fait défection et des religieux liés aux Frères musulmans. S’y trouveraient aussi quelques membres du Front al-Nosra, mais à ma connaissance, ces cours n’ont pas prononcé de peines telles que des amputations. « La société syrienne n’accepterait pas cela », m’ont dit des rebelles modérés, qui les tolèrent à titre transitoire, parce qu’il faut bien combler le vide d’autorité.

Mais les opposants des Comités révolutionnaires locaux que j’ai rencontrés sont très clairs : ils combattent pour la liberté et la démocratie. Après la chute du régime d’Assad, le Front al-Nosra n’aura pas sa place en Syrie : « ses combattants devront accepter le mode de vie des Syriens ou repartir », disent-ils.

source : http://www.ouest-france.fr/ofdernmin_-Syrie.-Quand-l-armee-d-Assad-perd-une-ville-elle-l-ecrase-sous-les-bombes-_6346-2182546-fils-tous_filDMA.Htm

date : 11/04/2013