Syrie: «Quand les marionnettes se révoltent contre le dictateur» – par Mohamed Ali Atassi

Article  •  Publié sur Souria Houria le 6 janvier 2012

La répression, la propagande et le culte de la personnalité ont réussi, en Syrie, et durant de longues années, à camoufler avec les lourdes couvertures de la peur et de la terreur la nudité du despote. Tout le monde savait que le roi était nu et tout le monde a participé à dissimuler cette nudité. C’est pourquoi le premier objectif de la Révolution syrienne est précisément d’ôter cette lourde feuille de vigne qui cache la nudité du pouvoir. Il n’est donc pas étonnant que le nom du Président soit directement visé par les slogans émanant de la Révolution syrienne.

A l’image des émeutiers qui ont défié dans la rue le pouvoir et ses symboles, certains artistes et hommes de culture ont essayé de jouer un rôle dans ce domaine que ce soit par leur production artistique et littéraire ou par leurs prises de positions politiques. Certains d’entre eux ont été jusqu’à la participer aux manifestations au cours desquelles ils ont été agressés et emprisonnés. Ces lourdes pressions ont obligé certains à se cacher, à quitter le pays ou à garder le silence.

Cet état d’oppression de la liberté d’expression a engendré une nouvelle forme artistique qui a réussi à contourner la surveillance et la tyrannie pour défendre les principes de la liberté et de la dignité de la révolution.

Parmi ces expressions artistiques qui se sont propagées sur internet et les réseaux sociaux, signalons le groupe du théâtre des marionnettes « Masasit Mati » par référence à la boisson mati consommée dans l’Orient arabe. Ce groupe a créé une page sur youtube et facebook et a publié une série de sketches filmés sous le nom de « journal du petit dictateur » dont le héros principal est une marionnette en bois qui s’appelle « Bichou » représentant le personnage du président syrien actuel Bachar Al Assad et lui ressemblant énormément, en plus d’une autre marionnette « Chebbih » représentant le policier, et deux autres poupées «La fille du Chem» et «le fils de la liberté». Chaque marionnette est mise dans la main comme un gant et manipulée avec trois doigts. Les acteurs se cachent dans un théâtre en bois ne dépassant par un mètre en longueur et un mètre en largeur et font bouger les marionnettes conçues secrètement en Syrie par un artiste, ami du groupe.
Le groupe a commencé à publier une série à partir du mois de novembre à raison d’un épisode de cinq minutes par semaine. Il a produit jusqu’à présent 15 épisodes, traduits entièrement en anglais et abordant assez courageusement la personnalité du Président syrien d’une manière caricaturale et dans des situations liées à la révolution syrienne. Le Président est représenté par exemple, souffrant d’insomnie à cause des cauchemars qu’il fait de son pouvoir qui tombe, ou le déclenchement, dans un autre épisode, d’une révolution au sein même de la famille présidentielle avec ses propres enfants qui se révoltent contre les tueries d’enfants syriens.

Les membres de ce groupe sont de jeunes acteurs qui ont échangé les rôles des personnages entre eux et qui ont participé ensemble à l’écriture du scénario des quinze épisodes. Ils ont tous quitté la Syrie et préfèrent garder l’anonymat pour ne pas mettre leur famille en péril. L’un d’eux qui vient donc de quitter le pays souligne: «Le théâtre des marionnettes que nous présentons est semblable aux manifestations auxquelles on a participé. Dans les deux cas on a enfreint les interdits et on a dépassé les lignes rouges que le pouvoir politique a tracées dans nos têtes. Quand je joue le rôle de Bichou et que j’ose critiquer la sainteté qu’ils essayent de donner au président, j’ai la même sensation que celle que provoque en moi le fait de crier dans la rue de Damas: «Le peuple veut la chute du pouvoir ». Dans les deux cas, il y a un moment de liberté et un moment d’affrontement avec la peur qui se trouve à l’intérieur de moi-même, et comme la peur ne m’a pas quitté aux moment des émeutes, elle était en moi aussi lors de l’écriture et de la présentation des sketches. Dans les deux cas nous avons jouer et nous avons eu un vrai plaisir à le faire. Parfois on arrêtait de jouer et on plaisantait en imaginant qu’on nous avait pendu par les mains avec nos marionnettes ». Et d’ajouter pour expliquer les raisons de son départ de la Syrie avant la diffusion de leur travail sur internet: «En fin de compte, je suis un homme ordinaire et je ne veux pas jouer au héros.

Ce qui est incroyable, ce sont les sentiments complexes qui lient ces artistes à leurs marionnettes. La nature de ce travail artistique et la construction des personnalités leur imposent de jouer, par exemple, avec la marionnette Bichou sans la rejeter, surtout qu’elle les a beaucoup inspirés et qu’elle leur a permis d’écrire tous les épisodes. Mais à plusieurs reprises, durant les répétitions, il est arrivé aux acteurs de s’arrêter soudain pour enlever leur marionnette à cause d’une incapacité momentanée de s’adapter au personnage. «Parfois, je sentais que j’étais dans l’impossibilité de faire bouger la marionnette et que je voulais m’en débarrasser », révèle l’un des acteurs. «Alors on se disait souvent que Bichou ne faisait que représenter le président de la république et qu’il était innocent des actes de celui-ci.»

Le dernier épisode de cette série intitulée « Le dernier chapitre de l’enfer » emprunté au poète français Artur Rimbaud et écrit au début du projet, a permis de dépasser cette problématique et à donner l’énergie nécessaire à l’écriture des autres épisodes, puisqu’il a créé dès le début la distance nécessaire entre la marionnette et l’acteur et a permis l’inter-réaction entre eux.
En effet, dans cet épisode, une discussion a lieu entre Bichou et l’acteur qui remonte à la surface, et quand Bichou ordonne à l’acteur de retourner à sa place, celui-ci lui désobéit et, ôtant la marionnette de sa main, se libère enfin de ce personnage.

Le groupe «Masasit Mati» a tenu à filmer tous les épisodes et les
diffuser progressivement sur youtube et facebook, pour pouvoir atteindre le maximum de personnes possibles en Syrie. Les membres du groupe veulent créer après la réussite de la Révolution un théâtre de marionnettes ambulant qui présentera ce travail dans tous les villages et villes de la Syrie, en commençant par les villes dans lesquelles a été déclenchée la Révolution.

En attendant, les lecteurs de cet article peuvent regarder ce travail sur internet juste en cliquant sur le lien: www.youtube.com/user/MasasitMati et www.facebook.com/MasasitMati
Il est certain que la lecture de cet article ne peut en aucun cas remplacer le plaisir de voir les sketches.

source: http://www.babelmed.net/Pais/M%C3%A9diterran%C3%A9e/syrie_%EF%BF%BDquand.php?c=7185&m=34&l=fr