Syrie : «Soigner, c’est leur manière de résister» – Recueilli par Cordélia Bonal

Article  •  Publié sur Souria Houria le 17 janvier 2013

De retour de Syrie, un médecin de MSF décrit la situation dans une ville de la région d’Idlib, très bombardée, où la population a monté un poste médical de fortune.

Dans un poste médical clandestin de la région d'Idlib.

Adrien Marteau est médecin urgentiste à Médecins sans frontières (MSF). Il vient de passer trois mois en Syrie, où l’ONG compte depuis juin 2012 trois hôpitaux situés dans le nord et le nord-ouest du pays, zone contrôlée par l’Armée syrienne libre mais sous les intenses bombardements du régime. Il s’est rendu en particulier dans un poste médical clandestin monté par des Syriens dans une localité du nord d’Idlib (le nom de cette petite ville n’est pas précisé pour des raisons de sécurité). La ville est régulièrement bombardée, et les blessés affluent dans cette structure qui fonctionne avec les moyens du bord.

Comment fonctionne le poste médical avancé où vous vous êtes rendu au nord d’Idlib ?

L’équipe est composée de volontaires syriens qui ne sont pas spécialement formés à la médecine de guerre, ou à la médecine tout court. La plupart se sont improvisés soignants. Ce sont des étudiants en dentaire, de jeunes ingénieurs… Le poste est établi dans le sous-sol d’un immeuble pour se protéger des bombardements. Ici comme ailleurs en Syrie, les structures médicales proches de l’opposition sont particulièrement visées par les bombes du régime. Les soignants sont tout le temps sur le qui-vive, ils savent qu’il leur faut être très mobile, qu’ils peuvent devoir changer d’endroit d’un moment à l’autre. Ils soignent dans des conditions extrêmement difficiles et font preuve d’un courage et d’une endurance remarquable. Soigner, c’est leur manière de résister.

Le poste fonctionne avec un générateur, puisque l’électricité est coupée depuis longtemps. Ils font les premiers soins : ils immobilisent les fractures, stoppent les hémorragies, posent des perfusions, donnent des antalgiques, des antibiotiques quand il y en a… Ils bricolent avec ce qu’ils ont.

D’où vient leur matériel ?

Il est acheminé par des associations médicales de Syriens de l’étranger, et par MSF. Nous travaillons en collaboration, mais de manière très informelle et l’approvisionnement est discontinu. Les manques sont criants.

Combien de blessés arrivent chaque jour ?

Cela varie. Il y a des combattants blessés par balles, mais aussi beaucoup de civils touchés par les bombardements, qui frappent de manière totalement indiscriminée et se sont intensifiés ces dernières semaines. Parfois à heure fixe, parfois pas. Après un bombardement, il peut arriver dans ce sous-sol 20, 30, 40 blessés d’un coup, accompagnés de leurs proches. Touchés par des éclats d’obus, victimes de brûlures… J’ai ainsi vu deux enfants très gravement brûlés parce qu’ils se trouvaient près d’un poêle à essence au moment d’une explosion.

Les blessés les plus graves peuvent-ils être transférés ?

Oui. Le poste dispose maintenant de deux ambulances. Mais l’hôpital de MSF qui peut recevoir ces blessés, établi près de la frontière turque, est à 45 minutes de là. Beaucoup meurent avant d’avoir pu y être transférés. Certains blessés sont aussi pris en charge en Turquie.

D’une manière plus générale, dans quelle situation se trouve la population dans la région ?

Elle manque de tout. De carburant, d’electricité, de farine pour le pain, de médicaments, de lait en poudre pour les enfants… A cela s’ajoute le froid. Il neige en ce moment en Syrie. Aucune aide internationale n’arrive, et les habitants qui sont encore là – parce qu’ils ne peuvent ou veulent pas partir ou parce qu’ils reviennent des camps de réfugiés où les conditions sont très dures – dépendent de la solidarité locale. Il y a une vraie entraide entre les habitants. Cela est possible en large partie grâce aux approvisionnements envoyés clandestinement par la communauté syrienne de l’étranger.

source: http://www.liberation.fr/monde/2013/01/10/syrie-soigner-c-est-leur-maniere-de-resister_873001