Syrie : un parfum de guerre froide – Par Jean Daniel

Article  •  Publié sur Souria Houria le 21 juin 2013

Les conséquences de l’affrontement désormais militaire entre la Russie et les Occidentaux en Syrie risquent de s’étendre au-delà de ses frontières.

1. Les quelques sourires du nouveau président iranien auront-ils le sort qu’aurait eu le nez de Cléopâtre et changeront-ils la face de l’Iran ? Pourront-ils dissuader les Iraniens de s’arrimer à un nationalisme nucléaire qui ne résout aucun de leurs problèmes vitaux ? On les dit rageusement humiliés de se voir refuser à eux seuls la bombe. Mais le Pakistan, qui la possède, est certainement l’un des pays les plus miséreux et les plus opprimés du continent. On voit, ou l’on veut voir en tout cas, s’éloigner une guerre dont la menace nourrissait la stratégie des Israéliens et de certains pays arabes.

Tout au long de ce dernier dimanche il y a eu des frissons d’espérance, des résignations ou des doutes quand aux chances de réussite du nouveau président Hassan Rohani. Mais d’autre part, il est loin d’être indifférent que les Egyptiens – enfin ! – sermonnent le Hezbollah et lui enjoignent de cesser d’occuper une partie de la Syrie, soudain devenue, de ce fait, libanaise. En termes de géopolitique, c’est déterminant.

Car tout cela, qui ne se serait pas passé sans la pression américaine, ne fait pas l’affaire des Russes. Si l’on rappelle que jamais les Russes n’ont fourni autant d’armes lourdes et de bombardiers à l’Etat syrien et si l’on ajoute que les Américains n’ont pas cessé, de leur côté, d’aider la résistance – sauf en armes lourdes – il faut bien arriver à un constat : il y a en Syrie un conflit réel et armé entre Washington et Moscou. Or ce conflit, s’il est alimenté et motivé par des stratégies de puissance, n’en constitue pas moins un rappel des valeurs qui se sont jadis opposées au moment de l’alliance atlantique et de la guerre froide.

Et l’on voit ressurgir, au nom de la démocratie, une alliance occidentale dont on avait décrété la disparition. Il y aurait de nouveau, de ce fait, un camp du bien et un camp du mal.

On se doute que les choses ne peuvent êtres aussi simples et qu’il y a à l’intérieur des deux camps des divisions qui vont parfois jusqu’à la guerre civile. En fait, les Russes paraissent bien s’être fait une doctrine qui consiste, surtout lorsqu’il s’agit des musulmans, à préférer partout l’ordre et la suzeraineté comme ils l’ont fait en Tchétchénie. C’est d’ailleurs la politique que les Américains ont pratiquée pendant de longues années en protégeant le despotisme dans les pays arabes.

Les Etats-Unis ont-ils terminé leur règne d’hyper puissance ? Peut-être, mais pas celui de super. Sans eux, sans l’Europe et les pays arabes alliés, il n’y aura aucun progrès possible, en tout cas dans le domaine des accords nucléaires. Quant à la Syrie, les Russes n’ont qu’un souci, c’est de choisir eux-mêmes le successeur de Bachar El-Assad, et l’on peut dire que les Etats-Unis, de leur côté, entendent bien ne pas relâcher leur contrôle sur les forces armées égyptiennes.

2. Une histoire me touche, celle qui concerne l’éventualité du transfert au Panthéon des cendres de Pierre Brossolette, l’un des dix ou douze véritables héros de la Résistance qui ont rejoint De Gaulle à Londres avant ou après la capitulation de 1940. Ils étaient tous déterminés, solitaires, simples, ils ne se sont pas posé un seul moment la question de savoir s’il fallait suivre Pétain ou De Gaulle, le premier, glorieux, vieilli, symbole d’une France qui venait de s’effondrer, et, le second, qui affichait « le non de l’évidence » selon une belle expression d’un poète gaulliste (Pierre-Jean Jouve).

En France, la Résistance était incarnée par Jean Moulin, qui sera arrête, torturé sans parler et qui mourra dans le train qui l’emporte ensuite vers la déportation. Auparavant il aura rempli la mission que lui avait confiée de Gaulle lui-même, à savoir de fédérer toutes les résistances en France sur le terrain. Fédérer, rien n’était plus difficile ni plus indispensable. Certains ont fait dire à Daniel Cordier que Pierre Brossolette ambitionnait de jouer ce rôle, et qu’il en était parfaitement capable. On entre alors dans ces tristes querelles qui opposent non pas les héros mais leurs admirateurs.

C’est un fait que, pour Daniel Cordier, le rôle de Jean Moulin a été infiniment supérieur à celui de Pierre Brossolette. Ce qui ne l’empêche pas dans le livre qu’il publie aujourd’hui, de répondre par avance à Pierre Péan qui affirme que « l’entrée de Brossolette au Panthéon serait un affront à la mémoire Jean Moulin », en mettant les choses au point : « Brossolette demeure à jamais présent parmi nous, son exemple nous permet de nous engager à vivre debout, et au besoin à tout sacrifier, comme lui, dans ce combat de chaque instant pour la vérité et pour la liberté ». C’est le secrétaire de Jean Moulin qui conclut ainsi une querelle honteuse.

Comment Brossolette est-il mort ? Arrêté et torturé, il aurait découvert qu’il avait perdu l’une des deux pilules qu’il s’était procurées, doutant de ses possibilités de résister à la torture. Il a en tout cas le courage de se défenestrer. Oui, ce combattant s’est suicidé plutôt que de tenter de résister jusqu’au bout à la douleur. Il s’est trouvé des imbéciles – ils ne sont plus trop nombreux désormais – pour se demander si le suicide valait une mort au combat. Dans les quelques pages que Cordier consacre à Brossolette, il y a de quoi faire trembler d’émotion les plus endurcis, peut-être parce que, pour la plupart d’entre nous, tuer est plus facile que de se tuer. En tout cas, on a compris que pour moi, la cause de Pierre Brossolette est entendue : sa place est au Panthéon.

source: http://tempsreel.nouvelobs.com/jean-daniel/20130620.OBS3991/syrie-un-parfum-de-guerre-froide.html