Syrie : une élection pour empêcher toute transition – Par Benjamin Barthe

Article  •  Publié sur Souria Houria le 4 juin 2014

Qui l’eût cru ? Trois ans après le début de la révolution syrienne, Bachar Al-Assad s’apprête à être reconduit pour un troisième mandat d’affilée à la tête de l’Etat syrien. Le bourreau de millions de familles, endeuillées, exilées ou déplacées, devrait hériter d’un nouveau titre de président, à la faveur du scrutin sur mesure organisé, mardi 3 juin, dans les zones sous le contrôle de son armée.

Les bureaux de vote ont ouvert tôt le matin dans les zones du pays contrôlées par le régime. Mais que le chef de l’Etat soit cette fois sacré par le biais d’une élection et non par le truchement d’un plébiscite référendaire, la pratique instituée par son père, Hafez Al-Assad, dans les années 1970, ne change rien à l’affaire. Dans la digne tradition familiale, tout a été fait pour verrouiller par avance le résultat du vote.

La notoriété quasi nulle des deux autres concurrents – Maher Al-Hajjar, un parlementaire alépin, et Hassan Al-Nouri, un entrepreneur qui fabrique du cirage – les réduit au rôle de faire-valoir du président sortant.

 

 

Interrogé mardi 3 juin sur France 2, le chef de la diplomatie française Laurent Fabius a déploré une « farce tragique ». « Les Syriens – et encore, les Syriens uniquement dans les zones gouvernées par le régime – ont le choix entre Bachar et Bachar. […] C’est n’importe quoi. La réalité, c’est qu’on connaît déjà les résultats avant que ce ne soit commencé », a accusé M. Fabius.

« “BUNKERISATION” DU RÉGIME »

Les délégations d’observateurs chargées de superviser le scrutin proviennent de pays alliés à Damas, aux traditions démocratiques incertaines (Iran et Russie, mais aussi Ouganda,VenezuelaTadjikistan…), ce qui garantit leur docilité. Enfin, la peur de représailles en cas d’abstention devrait suffire à garnir les bureaux de vote, comme l’ont prouvé les bousculades devant l’ambassade de Syrie au Liban, le jour du vote des Syriens de l’étranger.

Cette consultation en trompe-l’oeil ne s’adresse donc pas à la population syrienne, pas même à ceux qui renvoient régime et rébellion dos à dos. Elle est menée en direction de l’opinion publique et des responsables occidentaux, comme un élément d’une stratégie de communication, visant à décourager toute initiative hostile à Bachar Al-Assad.

« Cette élection, c’est un message du régime à la communauté internationale qui consiste àdire “Oubliez tout espoir de transition démocratique, la seule solution au conflit, c’est notre solution” », décrypte Michel Kilo, une figure de l’opposition libérale.

« Ce scrutin est le prolongement politique de l’offensive militaire en cours, une manière defermer la porte à tout plan de paix, une fuite en avant dans la “bunkerisation” du régime et la sanctuarisation de la Syrie utile », renchérit un diplomate français.

 

A Damas, le 1er juin.
A Damas, le 1er juin. | AFP/JOSEPH EID

 

Les retombées de cette démonstration de force risquent d’être maigres. Le pouvoir syrien a, certes, marqué un point avec la démission de Lakhdar Brahimi, le médiateur de l’ONU, parrain des deux sessions de négociations organisées cet hiver à Genève, qui avaient placé le régime dans une position inconfortable.

En annonçant la candidature de Bachar Al-Assad au scrutin présidentiel, le régime peut setarguer d’avoir mis le dernier clou au cercueil du plan de paix que portait ce diplomate algérien. Négocié sur les bords du lac Léman, en 2012, entre Russes et Américains, ce texte appelait à la formation d’un gouvernement d’unité, doté de tous les pouvoirs exécutifs, ce qui revenait à mettre le président sur la touche.

Lire : Une « farce » organisée dans un pays en ruine et boycottée par l’opposition

Lire l’entretien avec Michel Kilo : « C’est comme si Hitler avait organisé une élection en 1944 »

Mais le fait d’avoir privé les diplomates occidentaux de cet outil ne les a pas rendus plus sensibles à l’argumentaire de Damas. Les entretiens hautement médiatisés que le président américain Barack Obama et son homologue français François Hollande ont récemment accordés à Ahmed Jarba, le chef de la Coalition nationale syrienne (CNS), la principale plateforme anti-Assad, visaient à dissiper toute ambiguïté.

« PARODIE DE DÉMOCRATIE »

Réuni à Londres le 15 mai, pour la première fois depuis l’échec des discussions de Genève, le groupe des « Amis de la Syrie », qui rassemble les principales puissances occidentales et leurs alliés arabes, n’a pas hésité à qualifier l’élection de « parodie de démocratie ».

Même ceux que l’on appelle les « opposants de l’intérieur », qui sont basés à Damas et qui défendent des positions moins tranchées que la CNS, n’ont pas cédé aux sirènes du régime. A l’image de Louay Hussein, un dissident de gauche, critique de la militarisation du soulèvement, tous ont appelé au boycottage de l’élection.

Il n’y a que sur le terrain militaire que le régime enregistre quelques succès. Ces derniers mois, ses troupes, épaulées par le Hezbollah, ont avancé, notamment au nord de Damas, dans l’espoir de reconstituer le glacis sécuritaire de la capitale. Mais ces dernières semaines, dans la région d’Idlib (nord) et de Deraa (sud), les brigades rebelles ont également progressé, en dépit d’incessants bombardements.

Davantage qu’à une reconquête irrésistible des loyalistes, leitmotiv de la propagande du régime, on assiste à une consolidation de chacun des camps, y compris celui des djihadistes, bien implanté dans le nord-est du pays. Dans la guerre d’usure en cours, le plébiscite du 3 juin sera vite oublié.

 

source : http://www.lemonde.fr/international/article/2014/06/02/syrie-une-election-pour-empecher-toute-transition_4430181_3210.html

date : 02/06/2014