Un avocat syrien militant des droits de l’homme évoque la situation de son pays – Par Stéphane Malka

Article  •  Publié sur Souria Houria le 29 octobre 2011

Muhanad El Hasani, avocat syrien, a été emprisonné du 9 juillet 2009 au 2 juin 2011 dans son pays pour ses activités. Il lui était reproché notamment d’avoir créé une association de défense des droits de l’homme sans en avoir préalablement obtenu l’autorisation. Il était plus généralement dans le collimateur du pouvoir syrien pour son militantisme humanitaire, et sa volonté de faire évoluer le droit.

Pour les mêmes raisons, la même année, le barreau de Damas l’a poursuivi disciplinairement et l’a radié.

Libéré de prison en juin dernier, il a été invité par le barreau de Paris à tenir une conférence de presse ce matin. L’Ordre voulait ainsi lui témoigner solidarité, soutien, et lui donner la parole. Entre pudeur et revendication, il s’est raconté, a livré son analyse de la situation actuelle de son pays, et, sans mâcher ses mots, appelé la communauté internationale à se réveiller et agir.

La prison

Il a été enfermé durant deux ans. Il ne raconte que peu de choses de cette expérience. « Je ne pensais pas qu’un jour tout ce que j’avais étudié en terme de violation des droits de l’homme, les arrestations, les enlèvements, les tortures, les meurtres de femmes et d’enfants, je le verrais en direct de mes propres yeux » dit-il simplement.

Il faut aller chercher davantage d’informations du côté de Maître Vincent Nioré, ancien membre du conseil de l’Ordre qui s’était rendu en Syrie en 2010 pour faire un rapport de mission sur le sujet.

« Il a été incarcéré dans des conditions insupportables » nous raconte-t-il, « il y avait plusieurs dizaines de détenus dans une même cellule, il a été frappé physiquement » . Dans son rapport, il écrit que Muhanad « dormait à même le sol ».

A-t-il tenté, lors de sa mission à Damas, d’obtenir le soutien des avocats locaux ? « Rien à négocier avec l’ordre national des avocats de Syrie, tous inféodés au pouvoir en place, je l’ai constaté sur place car nous les avons rencontré », nous répond-t-il.

Vincent Nioré se montre à cet effet très virulent au sujet du bâtonnier de Damas, qu’il décrit comme un « scélérat qui mérite les fourdes du bâtonnier de Paris ».

Muhanad était en prison quand le printemps arabe a commencé. Sa situation ne lui permettait pas d’être tenu au courant, les informations qu’il recevait étaient surveillées. Il pouvait avoir une idée de ce qui se passait en parlant avec d’autres prisonniers, mais même là, « la communication était restreinte », se souvient-il.

Il est donc finalement sorti il y a quatre mois. Il a été immédiatement reçu par une personne des renseignements généraux. « On a parlé de mes activités, on m’a dit d’oublier le passé », raconte-t-il, « ils m’ont rendu mon passeport, m’ont demandé où j’allais. J’ai dit que je voulais faire du tourime. Ils me l’ont donné en me précisant bien que c’était pour une courte période »… sans ajouter plus de précisions. Il a quitté le territoire syrien avec ce passeport, notamment pour venir en France parler de son histoire.

La situation actuelle en Syrie

Vis-à-vis de la situation dans son pays, rien ne le rend pour le moment optimiste. Il ne croit en aucun cas à une évolution du président Al-Assad.

La ligue arabe est présente en ce moment en Syrie pour tenter une médiation, mais Muhanad est convaincu que cela ne débouchera sur rien. « Dans le passé, la ligue arabe a déjà sollicité la Syrie sur des élections anticipées et des réformes, mais ces demandes n’ont pas entraîné de réactions sérieuses, elles n’ont pas de crédibilité auprès des autorités, car la ligue n’a pas la possibilité d’émettre des résolutions contraignantes. Tout au plus pourra-t-elle geler la participation de la Syrie en son sein, mais cela n’aura pas d’impact. Le pays sait qu’après un certain temps il sera réintégré ».

La ligue arabe fait partie pour lui des solutions du passé. Or, « nous voyons aujourd’hui que nous sommes face à une révolution des communications, une révolution des téléphones portables, où les jeunes descendent eux-mêmes pour filmer les violations, s’organisent pour revendiquer leurs droits. Cela signifie qu’il y a des choses qui évoluent. Il faudrait que le mode d’organisation régional évolue lui aussi pour aller vers une nouvelle étape… ».

Il décrit son pays en général comme un « oasis de l’impunité », ajoutant que le premier palier est bien sûr le manque d’indépendance judiciaire.

Ce qu’il attend aujourd’hui

Pour lui, la seule solution à l’impasse est une forte mobilisation de la communauté internationale. Il se dit choqué du manque de réactions. « 8 mois se sont déjà écoulés… Il n’y a pas eu de résolution, mais il n’y a même pas eu de déclaration de condamnation internationale face à ce qui se passe ».

Selon lui, « le monde regarde la situation en Syrie à travers deux yeux. Un œil qui s’intéresse à la situation des communautés, un autre qui souhaite la stabilité au niveau régional… le régime syrien en est tout à fait conscient et joue là-dessus pour se ménager un soutien international ».

Il va même plus loin en affirmant « la Lybie n’était pas le pire exemple » de dictature, comme s’il déplorait un deux poids deux mesures. Il précise « ne pas soutenir Kadhafi pour autant ». Et se souvient que lorsque les barreaux de Paris et d’Amsterdam ont pris sa défense, il a retrouvé l’Europe qu’il connaissait.

Parmi ses souhaits, il appelle également à un changement du comportement des médias. Il constate un désintérêt croissant. « Aujourd’hui ils ont eu leur lot d’informations sur la Syrie, et ils sont déjà passés à autre chose. Ils ne réalisent pas qu’ils ont un rôle historique à jouer… cette presse occidentale a une vraie importance en ce qu’elle influence elle-même l’opinion publique, qui ensuite a la capacité d’influer sur les décisions prises par les dirigeants. Alors que dans les pays arabes, l’opinion publique, si tant est qu’elle existe, n’a pas d’influence sur les prises de position des gouvernements ».

Est-il en contact avec d’autres opposants syriens, pour essayer de faire bouger les choses même de l’extérieur ? « Oui, on m’a demandé de faire partie de conseils qui se construisent actuellement, que ce soit le conseil national ou d’autres, mais ma position est claire, je ne fais partie d’aucune entité politique, je ne veux pas perdre le nord ».

Il conclut qu’il ne souhaite pas une guerre civile, mais juste un scrutin libre et démocratique.

Comment perçoit-il l’avenir ? « Je serai n’importe où où je pourrai réaliser ma mission pour les droits de l’homme. Que ce soit en Syrie ou ailleurs ». Une réponse dont le flou est probablement volontaire. Il vaut peut-être mieux pour lui qu’il ne dise pas où il va et ce qu’il compte faire, tout simplement.

publié le 27 octobre 2011

source: http://www.lextimes.fr/5.aspx?sr=180