Un quartier de Damas : Jobar – par Ziad Majed – traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 4 août 2015
Zia Majed

Zia Majed

Nombreux sont les lieux, les régions, les localités, les villes et les quartiers urbains à nous venir à l’esprit lorsque nous nous remémorons les débuts de la Révolution syrienne, puis les étapes de sa transformation contrainte en lutte armée ayant précédé la guerre qui actuellement fait rage. Parmi ces lieux, le quartier de Jobar, qui s’étend à l’est au nord-est de la capitale de la Syrie, a un statut particulier, et ce, pour plusieurs raisons.

Parmi ces raisons, il y a le fait que Jobar avait été un haut-lieu du mouvement de protestation pacifique et que ce quartier avait vu, le 22 avril 2011, défiler une énorme manifestation où confluèrent les habitants de nombre de localités de la grande oasis de Damas, la Ghouta, et de nombre de quartiers de la ville de Damas proprement dite, en ayant pour objectif de progresser en direction de la Place des Abbassides (à l’est de la capitale), qui ne se trouve qu’à 500 mètres du quartier de Jobar, afin d’y organiser un sit-in. Lorsque cette manifestation était parvenue au niveau de la bourgade appelée Al-Zabaltani, les forces du régime avaient tiré à balles réelles sur les manifestants, tuant et blessant plusieurs dizaines parmi ceux-ci, en en arrêtant et brutalisant plusieurs centaines d’autres. Les photos des jeunes hommes exposant leur poitrine dénudée aux forces de l’« ordre » afin de prouver leurs intentions pacifiques mais ce faisant impitoyablement cribler de balles resteront sans doute les plus significatives et inoubliables de cette étape historique.

Parmi les raisons du statut particulier du quartier de Jobar, il y a aussi le fait que les jeunes hommes et les jeunes femmes de ce quartier l’avaient libéré à la fin de l’année 2012, Jobar devenant de ce fait la ligne de front la plus avancée contre les forces du régime aux abords immédiats de la capitale syrienne, Damas. Cela leur a  valu la plus forte concentration de bombardements qu’ait jamais connu une zone géographique limitée tant par l’aviation et par des missiles sol-sol que par l’artillerie lourde et les tanks. Les habitants de Jobar durent aussi subir la deuxième utilisation de gaz de combats avérée par le régime syrien (en mars et en avril 2013), quatre mois après Homs et quatre mois avant Zamalka, Arbîn et les quartiers périphériques de Mu‘dhamiyyet-el-Shâm (trois localités de la Ghouta de Damas).

Parmi les particularités [du quartier héroïque] de Jobar, nous citerons également le fait que depuis la fin de 2013 et jusqu’à ce jour, celui-ci est soumis à des assauts incessants de l’armée de Bachar al-Assad, des combattants du Hezbollah (parti et milice armée chiites libanais, ndt) et de milices (chiites, ndt) irakiennes.

Malgré tout ça, l’on peut voir les combattants de Jobar, certains retranchés dans les sous-sols et d’autres bien visibles, tenant bon leurs positions : ni ils n’ont cédé un pouce de terrain, ni ils n’ont capitulé. Lorsqu’Al-Assad, à l’occasion de la nuit du Réveillon du passage de l’année 2014 à l’année 2015, a prétendu avoir visité le quartier de Jobar et y avoir passé en revue ses forces armées, celles-ci ayant au préalable allégué y avoir réalisé une percée, des photos circulant le lendemain démontraient qu’il n’avait pas dépassé les limites d’Al-Zabaltani dans le sens « vers Jobar » et que la personne avec qui on le voyait échanger une chaleureuse poignée de mains n’était nullement un de ses officiers de faction sur le front, mais Muhammad Ahmad Aïssa, un responsable du Hezbollah.

Ainsi, la biographie de ce quartier résume tout un pan de l’épopée occultée de la Révolution syrienne. Elle résume aussi un aspect de son destin tragique. C’est ce qu’a écrit le journaliste et photographe syrien Sa‘îd Al-Batal dans son brillant article intitulé « Les yeux bandés mais pas anxieux » (publié sur le site de l’association Bidâyât) après s’être rendu dans ce quartier, où il est resté une journée, en octobre 2014, qui exprime le plus fidèlement et le plus profondément la vie oubliée dans ce petit coin de la Terre coincé derrière une muraille de feu qui est un scandale pour l’humanité entière.

Ce journaliste, M. Al-Batal, écrit : « En surfant sur Internet, je suis tombé sur une photo du quartier de Jobar sous un bombardement prise le jour même depuis Damas. Je me suis mis à trembler. Non parce que je serais personnellement sorti des décombres, ni du cadre de cette photo terrible. Peut-être ai-je été pris de tremblement parce que je me suis soudain souvenu qu’il y avait quelqu’un, de l’autre côté du front ! C’est quelque chose que j’avais totalement oublié. Ce quelqu’un voyait,  entendait, pensait, rêvait et photographiait les bombes qui s’abattaient sur son quartier. Quelqu’un avec ses bons et avec ses mauvais côtés. Ce quelqu’un était mon reflet dans un miroir, mon autre possibilité d’exister, et c’était le fait d’être débordé qui me l’avait fait oublier. Alors, je me suis mis à penser que nous ne faisons qu’un dans ce monde et que la seule chose qui reste tapie de l’« autre côté », c’est la mort – cette mort apportée par un projectile, par une bombe ou par une balle…

Je me demande si mes photos, à moi qui suis coincé de l’« autre côté », vous laissent un sentiment semblable lorsque les habitants de vos maisons les reçoivent, malgré votre enfermement dans vos soucis et dans le vacarme assourdissant ? Cela vous a-t-il fait oublier notre existence, à vous aussi ?

Au quartier de Jobar et à ses habitants, ou plutôt à ce qu’il en reste, mes salutations [fraternelles et respectueuses].

Source : http://ziadmajed.bolgspot.fr/2015/07/blog-post_28.html#more

Date : 28/07/2015