Un témoin de Syrie: « Je dois aider ma famille, mais je ne voulais pas tirer sur mon propre peuple» – par KIM SENGUPTA

Article  •  Publié sur Souria Houria le 1 mars 2012

Traduit de l’anglais par SouriaHouria

Les quelques policiers syriens encore assez courageux pour parler ou faire défection font face à des conséquences désastreuses.

Les manifestants étaient désarmés, ne représentant aucune menace, ne faisant preuve d’aucune provocation. Quand l’ordre vint d’ouvrir le feu, beaucoup parmi les forces de sécurité furent choqués, quelques uns refusèrent. L’un d’entre eux fut traîné hors des rangs, mis à genou sur le bord de la route, et abattu.

«  Son nom était Abdullah al-Zinat, c’était un homme jeune. Il a été choisi parce c’est lui qui avait  protesté le plus auprès des officiers, disant que ce qui se passait était mal. C’est ce qu’il l’a tué », a déclaré Mohammed Zidan.

« Je n’ai pas tiré, nous pouvions tirer jusqu’à 100 coups sans avoir à demander l’autorisation. Je n’ai pas fait cela, mais je n’ai rien dit non plus. J’étais effrayé, d’autres étaient effrayés aussi. »

Quatre jours après l’exécution de Mr Zinat, Mr Zidan a déserté de la police. Au début, il est retourné à son poste après des menaces contre sa famille et a été brièvement emprisonné, avant de finalement s’échapper. Maintenant il est avec les révolutionnaires. Cependant, cet homme de 23 ans est un des personnels de sécurité parmi un nombre relativement faible à avoir fait défection à ce jour, un handicap pour les rebelles qui souffrent profondément d’un manque d’expérience militaire et d’armements. En outre, ceux qui sont passés de l’autre côté sont souvent divisés. L’Armée syrienne libre, par exemple, opère séparément du Groupe des officiers libres. Les deux organes, à tour de rôle, dénigrent souvent la hiérarchie du Conseil national syrien, la principale organisation politique de l’opposition.

Au début M. Zidan ne voulait pas me parler dans la base rebelle de la province d’Idlib. Mais ensuite il a décidé qu’il était nécessaire de discuter de la mentalité et de la motivation des soldats et des policiers engagés dans ce conflit brutal.

«Ils disent que ces hommes sont des tueurs et qu’ils font des choses terribles, c’est ce qu’ils disent en particulier dans d’autres pays,» a-t-il déclaré. «Mais pour la plupart c’était juste un travail, comment pourraient-ils savoir que toutes ces choses allaient se produire quand ils ont commencé. Ils ne savaient pas qu’on allait leur dire d’attaquer leurs compatriotes Syriens. »

Le jeune homme à la voix tranquille et au visage anxieux, couvert plus tard à la hâte avec un keffiyeh à carreaux (une écharpe) pour la photo, semble avoir eu quelques inquiétudes sur ce qui pourrait l’attendre quand il a rejoint la police il y a un an.

« J’ai rejoint la section homicide parce que je pensais que je n’aurais pas à avoir affaire à des choses comme des manifestations » a-t-il dit. « Nous avions vu à la télévision ce qui se passait en Egypte, les choses commencaient en Libye, des choses commençaient ici. Je voulais le travail parce que c’était pas mal d’argent et que je dois aider ma famille, mais je ne voulais pas tirer sur mon propre peuple. »

M. Zidan a laissé sa maison dans la ville d’Idlib pour un stage de neuf mois à Alep. « Ils nous voulaient en service le plus tôt possible, j’étais inquiet mais je pensais toujours que je pourrais être  policier. »

Cependant, après avoir obtenu son diplôme, on a dit à M. Zidan qu’il lui faudrait défendre le pays contre les terroristes. Il a été affecté dans la ville de Qamishli, près de la frontière irakienne, une zone qui était utilisée, ont affirmé ses supérieurs, pour introduire en contrebande des armes dans le pays.

«Je ne sais pas si c’est ce qui se passait. Nous avons été placés immédiatement dans des unités et envoyés arrêter les gens de l’opposition, certains d’entre eux étaient des femmes, certains étaient des vieux » a-t-il déclaré. «Ils ont été blessés quand ils ont été interrogés. Ils ont été emmenés dans d’autres endroits où des choses pires encore se sont produites, en particulier pour les femmes. On nous a également dit que nous devions briser toute forme de marche. On nous a dit que nous pouvions ouvrir le feu à n’importe quel moment, une centaine de fois et ensuite obtenir la permission pour tirer davantage, permission qui était toujours donnée. Certaines personnes aimaient cela, mais beaucoup d’entre nous étaient très affectés, certains officiers étaient bouleversés également. »

La première défection de M. Zidan a pris fin après que la police d’Idlib City a dit à sa famille qu’ils souffriraient à moins qu’il ne se rende. « J’ai été tabassé, mais ça n’était pas aussi terrible que je l’avais envisagé. Je pense qu’à ce moment-là ils tentaient de garder le plus grand nombre possible d’entre nous. »

« Mais le traitement de plus en plus brutal des manifestants et l’assassinat de M. Zinat l’ont convaincu qu’il ne pouvait plus servir le régime. Il a organisé un appel de sa maison, disant que sa mère était très malade, et on lui a donné un congé exceptionnel. « Mais au bout de trois jours, ils ont dit que je devais revenir. Je n’avais pas d’autre choix que de fuir et de rejoindre les combattants de la liberté. »

« Les forces de sécurité ont exécuté leurs menaces contre ses proches. «Mon père a été arrêté de nombreuses fois, c’est un vieil homme mais ils n’ont aucun respect, » dit M. Zidan en secouant la tête. « Je me sens très inquiet, coupable. Mais j’ai fait mon choix, j’ai rejoint le peuple. »

 

source: http://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/syria-witness-i-have-to-help-my-family-but-i-did-not-want-to-shoot-my-own-people-7447311.html