«Une intervention pour sauver la face sera refusée par la majorité des Arabes» – Par JEAN-PIERRE PERRIN

Article  •  Publié sur Souria Houria le 6 septembre 2013

Interview Salam Kawakibi, d’origine syrienne, est l’un des directeurs du think tank Arab Reform Initiative :

La Ligue arabe est très divisée sur la Syrie? Qu’en est-il des populations?

Dans le camp du « refus » je peux distinguer plusieurs catégories : Une partie de la gauche prisonnière de ses dogmes. Toujours prête à des compromis avec les dictateurs. Corrompue matériellement et intellectuellement, elle a laissé pourrir des milliers de communistes dans les geôles des tyrans sous prétexte d’une « résistance » imaginée ou un « anti-impérialisme » tronqué. La spoliation par ces régimes des économies et l’établissement d’une fracture sociale profonde échappe à leur « éthique » militante. Pour eux, le voyeurisme pervers à observer en silence complice la mort par milliers des Syriens est devenu banal.

De son côté, une partie des islamistes n’a jamais réussi à développer une vision de ses relations avec l’autre à l’exception de la confrontation ou la pacification. La construction commune d’un univers partagé échappe à leurs dogmes. Dès lors, l’autre, l’occidental non musulman, cherchera à combattre leur dogme et essayera de les déloger de leur emplacement occupé sans légitimité morale ni théologique.

La troisième catégorie, c’est cella des nationalistes faussement démocrates qui profitent de la situation afin de reprendre le refrain éternel sur un complot occidental contre la « nation arabe ». Ainsi, ils prétendent que l’objectif des pressions sur le régime syrien sont dû à sa Présumée position anti-israélienne.

Enfin, il existe une majorité, de tous ces courants, qui observent avec un œil veillant et critique les agitations sur ce dossier. Celle-ci ne cesse, depuis deux ans et demi, d’interpeller la conscience humaine pour intervenir politiquement d’une façon ferme. Une telle fermeté aurait pu éviter la mort de dizaines de milliers de personnes. En faisant la part des choses, cette majorité refusera une intervention qui cherchera seulement à marquer des points et sauver la face sans pour autant en finir avec la tyrannie et arrêter l’engrenage de la mort en Syrie.

L’impuissance de la Ligue arabe à agir en Syrie rendra-t-elle plus acceptable pour les populations de la région une intervention américaine ou ravivera-t-elle l’impression d’une guerre de civilisation faites aux pays arabes ?

L’impuissance de cette organisation fantôme, ainsi que ses similaires au niveau internationale, ne fait que perdurer la catastrophe et la rendre encore plus complexe. Dans ce climat, la radicalisation est un « aboutissement » de du pourrissement « voulu ». Il y aura une « variété » de réactions très contradictoires. Il est important de le souligner, l’une des répercussions positives des révolutions arabes est d’avoir démystifié dans l’opinion publique toute allégation à quelconque lutte contre l’impérialisme et le colonialisme. Les peuples ont bien compris que ceux qui les colonisent ne sont autres que leurs dirigeants. Ils sont aussi parfaitement capables de distinguer entre les paroles et les pratiques. Durant des décennies, ils ont été inondés par les discours enflammés sur l’impérialisme qui n’était que des paravents pour permettre à leurs tyrans de s’éterniser.

Va-t-on retrouver le clivage sunnites-chiites, les premiers approuvant globalement l’intervention, les seconds la condamnant?

Le clivage ne sera pas de cette nature. Il y aura des sunnites contre et des chiites pour. Beaucoup de ceux qui condamneront le feront d’une façon contrainte, même s’ils pensent le contraire. De plus, la nature du soutien ou de la condamnation dépendra de la nature des frappes, de leur ampleur et des objectifs à atteindre. Par exemple, beaucoup d’opposants (chiites) dans m’émirat de Bahreïn soutiennent la révolution syrienne. En revanche, en Egypte comme en Tunisie, certains « révolutionnaires » (sunnites) déçus par leur impuissance ou incapacité à orienter leurs révolutions comme ils le désirent, s’attaquent au droit des autres à faire la leur.

La tragédie syrienne a-t-elle remplacé dans l’esprit des gens la cause palestinienne?

Malgré 2 millions de réfugiés, 5 millions de déplacés et plus de 100 000 victimes, il est encore impossible de faire de l’ombre à la question palestinienne dans la conscience arabe. Elle reste primordiale. Cependant, l’usurpation de la cause palestinienne par les dictatures n’est plus possible, sauf pour ceux que leurs dogmes aveuglent. Ceux-là pensent que la révolution en Syrie a été programmé par des forces occultes (avec des martiens peut être !) afin d’affaiblir la lutte (laquelle ? eux seuls capable de trouver une réponse) du régime contre l’ennemi sioniste. On connait la chanson mais le disque est complètement rayé.

http://www.liberation.fr/monde/2013/09/05/une-intervention-pour-sauver-la-face-sera-refusee-par-la-majorite-des-arabes_929746