Violences à l’encontre des femmes en Syrie (2/5) – par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 11 décembre 2014

A l’occasion de la journée internationale de l’ONU pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, une conférence spéciale sur les violences à l’encontre des femmes en Syrie devait avoir se tenir à Genève, le 25 novembre. Elle devait dénoncer les violences subies par les femmes syriennes de la part du régime Assad et de l’Etat Islamique (Daesh). Les intervenants prévus étaient Noura al-Ameer, vice-présidente de la coalition nationale syrienne et responsable du dossier des droits humains, Tarek Kurdi juriste syrien en droit international et trois anciennes détenues : Alaa, Kinda et Eman. Seule la première a été autorisée à se rendre à Genève. Alaa a été retenue à l’aéroport d’Istanbul. Les trois autres intervenants n’ont pu obtenir de visa. La conférence à l’ONU a donc dû être annulée. Pour sa part, FemmeS pour la Démocratie (FSD) a maintenu la conférence publique organisée le même soir en présence de Noura Al-Ameer, avec le soutien d’Amnesty International – Groupe Uni Genève, du Mouvement pour le Socialisme (MPS) et du site alencontre.org, SolidaritéS Genève.

Les interventions prononcées au cours de cette soirée, objet de cette série d’articles, sont reproduites ici avec l’aimable autorisation de FSD.

===

2 / Intervention par Skype de Tarek Kurdi, directeur du Bureau des affaires juridiques au Ministère de la Justice du Gouvernement provisoire 

Tareq Kurdi

Les femmes dans la révolution syrienne :

Dès que les Syriennes ont vu se lever leur rêve de liberté en Syrie, au printemps 2011, elles sont sorties pour exprimer leurs attentes à travers des slogans et des chants. Elles ont immédiatement commencé à payer leur audace de leur vie et de la vie de leur famille. Venant d’elles en particulier, ces slogans ont irrité le régime. Pour les réduire au silence, il a utilisé des balles réelles qui ont tué ou blessé nombre d’entre elles. Il pensait ainsi faire taire leur voix. Mais, lorsqu’il a réalisé son échec, les membres des services secrets et les chabbiha (milices pro-régime) ont déclenché contre elles des arrestations, des enlèvements et la mise en oeuvre d’une politique de terreur. Le monde entier a assisté alors à l’humiliation des femmes de Syrie et aux agressions dont elles étaient victimes dans les rues. Celles qui ont eu la vie sauve ont subi les bombardements aériens. Elles sont devenues la cible de barils d’explosifs qui tuent sans discernement les femmes et les enfants. Nombre d’entre elles ont également péri lorsque le régime, franchissant toutes les lignes rouges qui lui avaient été fixées, a utilisé l’arme chimique et commis un massacre épouvantable dans la Ghouta de Damas.

Quelques statistiques :

Voici quelques chiffres du Ministère de la Justice du Gouvernement provisoire, relatifs aux exactions perpétrées contre les femmes en Syrie entre le 15 mars 2011 et le 14 novembre 2014.

Mais permettez moi au préalable de présenter mes excuses à chaque victime et à chaque famille de victime, car, bien que recourant à la langue des chiffres, je suis pleinement conscient de parler ici d’être humains.

Le tableau ci-dessous expose le nombre de victimes parmi les femmes et les jeunes filles et les raisons qui ont conduit à leurs décès :

Vicitmes féminines de la répression

Ces statistiques ne reflètent certainement pas le nombre exact des victimes. De manière générale, le travail de documentation est en effet très délicat en Syrie. Il recèle de grands dangers pour qui s’y livre. Et il est souvent difficile d’atteindre certaines régions du pays. S’agissant des femmes en particulier, la documentation des exactions dont elles sont victimes est encore plus ardue, car beaucoup de familles ne souhaitent pas en parler. C’est pourquoi nous estimons que les chiffres réels sont beaucoup plus élevés que ceux que nous avons pu enregistrer.

Conventions et lois internationales :

La communauté internationale est consciente des besoins spécifiques des femmes. C’est pourquoi elle a édicté des lois particulières les concernant et qu’elle leur accorde une attention spéciale, par rapport aux autres catégories de la population civile. Elle a aussi édicté une loi internationale qui contraint les parties en conflit à respecter les réglementations concernant les femmes, ainsi que les conventions qui les régissent.

Nous savons tous que les jeunes filles et les femmes souffrent plus que leurs concitoyens en temps de guerre, non seulement du fait de la place particulière qu’elles occupent dans la société mais également en raison de leur sexe. C’est ce qui explique l’adoption de dispositions inscrites dans les lois, destinées à leur assurer une protection supplémentaire, qu’il s’agisse de leurs besoins médicaux ou psychologiques.

C’est ce qu’on constate dans la 4ème Convention de Genève qui octroie aux femmes enceintes et à celles qui allaitent des garanties en rapport avec leur état de santé. Quant à la Loi relative aux Droits humains, qui doit être appliquée en temps de paix comme en temps de guerre, elle engage les Etats à ne pas relâcher leurs engagements de garantir le droit à la vie, d’éliminer la torture et tout comportement inhumain ou portant atteinte à la dignité humaine. Aujourd’hui, la Loi sur les droits humains s’est enrichie de plusieurs Conventions internationales ou régionales qui couvrent un large éventail de questions civiles ou politiques, qui insistent sur certains droits comme l’interdiction de la torture ou qui mentionnent spécialement des bénéficiaires particuliers comme les enfants et les femmes.

Exactions du régime syrien contre les femmes :

Depuis quatre ans, dans la guerre qu’il mène contre sa population, le régime syrien ne respecte aucune loi internationale, ni aucun de ses engagements envers la communauté internationale.

Il est allé plus loin encore en faisan des femmes des armes de guerre. Femmes et enfants ont été utilisés comme boucliers humains. Outre les femmes activistes pacifiques, il a emprisonné les sœurs, les mères et les épouses des activistes recherchés, afin de les contraindre à se rendre et de les exterminer en prison. Il a aussi inventé une variante aux crimes des « snipers » qui ciblent délibérément les fœtus dans le ventre des femmes enceintes. Et que dire des exactions commises dans les sous-sols des centres de détention à l’encontre des prisonnières, qui vont de la privation de leurs droits les plus élémentaires à la la torture physique et psychique, en passant par le viol et les grossesses forcées.

Bien entendu, le régime syrien interdit aux organisations internationales, et en premier lieu au Comité International de la Croix Rouge, de visiter les centres de détention et les prisons en Syrie. Je ne vais pas m’attarder davantage sur le sort des femmes détenues. Je voudrais simplement faire remarquer que, si plusieurs cas de viols d’hommes en détention ont  été documentés, on peut imaginer l’enfer vécu par les femmes abandonnées aux mains d’un régime dont le crime est une spécialité.

Mais tout ce qui précède n’est encore rien. Le régime syrien pourchasse ses victimes jusque dans leurs villages et dans leurs maisons, sur lesquels il lâche des pluies de bombes à l’aveuglette. Il a souvent pris pour cibles les abris dans lesquels se dissimulaient les civils, en particulier les femmes et les enfants. C’est ce qui s’est passé lors du massacre d’al-Maljaa, dans le village d’al-Hbeit à Idlib, le 31 août 2014. Or ce massacre n’est qu’un exemple de ses crimes quotidiens. Des dizaines de milliers de cas documentés seront présentés au tribunal pénal international, dès que les considérations politiques qui les arrêtent présentement auront été dépassées.

N’oublions pas non plus les sièges imposés par le régime syrien à plusieurs quartiers de villes, à des villages ou à des régions, dont les populations sont privées de nourriture et de médicaments, alors qu’il s’agit de civils et que la majorité d’entre eux sont des femmes et des enfants.

Conditions de vie lors des déplacements forcés :

Contraintes de quitter leur pays pour se réfugier dans les pays voisins, les Syriennes de tous âges éprouvent les plus grandes difficultés à subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, dont, souvent, elles assument seules la charge. La diminution croissante de l’aide humanitaire offerte par l’UNHCR a accru leur vulnérabilité et leur détresse. Elle les a poussées à quitter le chemin de l’apprentissage pour essayer soit de travailler, soit d’aller dans la rue pour y tendre la main.

Qu’attendent aujourd’hui les femmes syriennes ?

J’aurais souhaité pouvoir évoquer devant vous aujourd’hui les moyens à mettre en oeuvre pour permettre à la femme syrienne de trouver sa place sur la scène politique et d’accéder à des postes de responsabilité. J’aurais aimé pouvoir vous parler des moyens susceptibles d’éliminer les inégalités touchant la femme dans notre société… Malheureusement, les criminels qui sévissent aujourd’hui en Syrie ont un autre avis sur la question. Ils nous contraignent à restreindre notre action, à nous contenter de protéger le droit des femmes à la vie et à nous battre pour stopper les exactions dont elles font l’objet.

Au nom du Ministère de la Justice du Gouvernement provisoire syrien, au nom de tous les juristes syriens engagés dans la défense des Droits de l’Homme et au nom des hommes et des femmes libres du monde entier, nous promettons ici aux femmes syriennes que nous poursuivrons les criminels, tous les criminels coupables d’exactions à leur encontre, pour les juger devant les tribunaux internationaux. Il faut que ces crimes disparaissent à jamais, partout dans le monde. Il faut que justice soit faite.

Avant de terminer, je voudrais dire un mot qui s’adresse à vos cœurs.

Les femmes syriennes continuent à espérer que des mains se tendent vers elles pour les aider à sortir de la pire catastrophe de ce siècle… et ce malgré l’incapacité jusqu’ici manifestée par la communauté internationale à leur porter secours. Elles avaient rêvé de liberté. Leur rêve a tourné au cauchemar. Si vous ne pouvez  les aider à accomplir leur rêve, aidez les au moins à sortir de leur cauchemar.

===

Violences à l’encontre des femmes en Syrie

(1/5) Témoignage de Noura al-Ameer, activiste de Homs et vice-présidente de la Coalition nationale syrienne

 

source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2014/12/08/violences-a-lencontre-des-femmes-en-syrie-25/

date : 08/12/2014