Je redécouvre ma Syrie – Salam Kawakibi

Article  •  Publié sur Souria Houria le 7 septembre 2011

à mots ouverts

Je redécouvre ma Syrie

Le politologue Salam Kawakibi a longtemps été attristé par l’apathie qui régnait dans son pays d’origine.
Après des mois de manifestations réprimées dans le sang, il est ému que ses compatriotes lui donnent tort.
PEU DE TEMPS AVANT LE SOU LÈvement populaire en Syrie, je vadrouillais dans les rues d’Alep, la deuxième ville du pays. Politologue, je cherchais à voir si les comportements sociaux et politiques de la population avaient évolué dans le contexte des révoltes arabes – en Tunisie et en Egypte, en particulier.

Partout, je rencontrais le calme et l’insouciance. Cela me révoltait. Pour un homme comme moi, qui a consacré une grande partie de sa vie à étudier la démocratie et les
droits de l’homme et qui est, de plus, l’arrière-petit-fils d’un réformateur érudit dont les écrits sur les « caractéristiques du despotisme» ont fait date, cette apathie apparente était exaspérante et suscitait en moi, pour tout dire, une profonde amertume.
Soudain, une manifestation de taille moyenne surgit devant moi, en plein centre-ville. Etudiants, ouvriers et fonctionnaires brandissaient des portraits de Che Guevara, Nasser et autres figures emblématiques de l’histoire politique moderne. Les larmes me montèrent aux yeux : dans un pays où les rassemblements, même pour une fête de mariage, nécessitent une autorisation de la sûreté politique, un tel cortège me semblait annoncer une révolution. D’autant que, le long des trottoirs, les policiers paraissaient décontractés et se tenaient à l’écart. J’étais stupéfait.

Ainsi, les représentants du pouvoir autoritaire qui règne à Damas depuis 1963 avaient cessé de répondre aux manifestations de mécontentement par la répression sanglante et les arrestations de masse. Ah ! comme j’avais eu tort d’être pessimiste ! Ainsi, le jeune président Bachar el-Assad, au pouvoir depuis onze ans, menait bel et bien une réforme politique progressive. La preuve était sous mes yeux: une manifestation revendicative sans répression, ce n’est pas rien… Tout heureux, je traversai la rue afin d’entamer une conversation avec ces audacieux compatriotes. Au moment où je m’approchais d’une jeune et belle manifestante qui semblait être l’une des meneuses du mouvement, un homme hurla soudain : « Stop !… Espèce de crétin, vous ne voyez pas que nous sommes en train de tourner ? » Les calomnies contre le mouvement ont échoué En un instant, tous mes espoirs sont tombés à l’eau. La télévision nationale tournait une fiction. Les Syriens sont depuis quelques années les champions dans le monde arabe de la production des soaps !

Quelques mois plus tard, cependant, mes rêves sont devenus réalité. Ce peuple que je considérais apolitique, docile et insouciant montre, depuis le 15 mars, un
héroïsme sans nom. Il s’obstine à exprimer sa colère et sa volonté de changement par des manifestations pacifiques. Toutes les tentatives diaboliques orchestrées par le pouvoir afin de discréditer le mouvement ont échoué. Après 2 200 morts et plusieurs milliers de blessés, les jeunes Syriens continuent d’offrir au monde un formidable exemple de courage et de détermination. Dans un pays qui n’a pas connu de débat démocratique depuis des décennies, le niveau de conscience politique et l’humour dont font preuve ses citoyens redonnent espoir.

Je n’ai plus le droit d’être pessimiste.

Chaque jour, les Syriens répondent aux questions qui me taraudaient, le long des rues d’Alep. Ils ont pris leur sort en main. Et ils obtiendront leur liberté. ●

SOLIDARITÉ : Le 25 août, le dessinateur Ali Farzat a été passé à tabac par les nervis du régime. Partout dans le monde, ses confrères dessinent pour le soutenir.

PAR SALAM KAWAKIBI, directeur de recherche à l’Initiative arabe de réforme, un groupe de centres d’analyse issus du monde arabe.

Source : L’expresse N°3140 – 7/9/2011