La révolution orpheline, le peuple orphelin – par Firas Kontar

Article  •  Publié sur Souria Houria le 14 mars 2015

Mars 2011 : aux cris des enfants de Daraa torturés par les forces du régime pour avoir tagué « le peuple veut la chute du régime » sur le mur de leur école, se joignent les cris d’indignation et de colère des habitants de cette ville du sud de la Syrie. La mort du tunisien Bouazizi a touché les populations arabes au plus profond d’eux-mêmes. L’humiliation, le racket, la torture organisés par une classe dirigeante corrompue, incompétente et reposant uniquement sur les clans familiaux ne pouvaient plus continuer.

Pendant quarante ans la famille Assad a régné sur le Syrie, quarante années pendant lesquelles la colère de l’injustice ne pouvait s’exprimer, quarante années où n’importe qui pouvait disparaître dans l’un des treize services en charge de surveiller la population syrienne. Le fait de déplaire à un fils de dignitaire, ou simplement de ne pas céder son tour dans la queue de la boulangerie à un agent de régime pouvait conduire à l’un des pires lieux sur terre, ou plutôt sous terre, où les méthodes de torture des bourreaux étaient directement inspirées des nazis. La présence d’un des pires criminels du 3ème reich, Alois Brunner, jusqu’à sa mort à Damas n’était pas un hasard, il travaillait comme conseiller militaire. Quarante ans durant lesquels le régime gangréna la Syrie, la justice l’armée la police et le monde des affaires. Tout était aux mains du clan et de leurs inféodés. Et tout opposition était traquée et éliminée, et pas seulement puisque ce régime n’a pas hésité à faire assassiner des personnalités étrangères comme le libanais Kamal Joumblatt chef du parti socialiste progressiste, l’ambassadeur de France Louis Delamare, ou encore le chercheur au CNRS Michel Seurat auteur du livre « l’Etat de barbarie » sur la Syrie d’Elassad, qui avaient osé critiquer ou s’opposer au clan Assad. Alors en mars 2011, quand les cris des premiers manifestants se confondirent avec ceux des enfants torturés à Daraa, ce n’était pas seulement à l’encontre d’un énième fait de torture ou de sauvagerie à l’égard d’enfants, mais c’était aussi contre quatre décennies de terreur, de peur et d’obscurantisme.

Oser manifester en ce mois de mars 2011 s’apparente à un acte héroïque : au pire la mort, au mieux la prison, attendent tous ceux qui osent se tenir debout et crier « Alchaeb Elsoury ma byenzal » (le peuple syrien ne peut pas être humilié), un des premiers slogans de la révolution. Alors pourquoi un peuple dont les premières revendications étaient la dignité la liberté et la fraternité entre les syriens a bénéficié de si peu de sympathie et de si peu de solidarité envers sa révolution ? Par notre indifférence, ne sommes-nous pas coupables d’avoir jeté une partie de ce peuple révolutionnaire dans les bras des islamistes ? Pourquoi des milliers de morts, de torturés dont de nombreux femmes et enfants, des réfugiés par millions ont si peu occupé l’espace médiatique, tandis que les manifestations organisées à travers le monde ne rassemblaient guère plus que quelques centaines de personnes dont une majorité de syriens exilés ? Est-ce du fait de l’existence de ce courant de pensée qui théorise l’idée que les peuples du sud ne sont pas compatibles avec la démocratie et la liberté ? Petit retour en arrière, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la petite république arabe syrienne, fraîchement indépendante se trouve confrontée à la création de l’état d’Israël à sa frontière. Pendant que les européens de l’ouest bénéficient du plan Marshal et pensent régler un problème via la création d’Israël, la Syrie se retrouve en première ligne avec l’afflux massif de réfugiés, puis plus tard, l’occupation du plateau du Golan par l’état hébreu. Conséquences, l’armée confisque petit à petit le pouvoir et la vie politique avec les dérives que l’on connait, jusqu’à l’arrivée d’El-Assad en 1970 qui centralisera l’ensemble des pouvoirs en Syrie. Hafez El-Assad organisa la surveillance de la population à grande échelle, multipliant les services de sécurité, et reprenant en main toute la vie publique, syndicats, partis politiques, média via le parti Baath, contrôlé lui-même par Hafez El-Assad et ses fidèles.

Alors pourquoi un peuple si proche des européens de par sa culture méditerranéenne et son histoire ne peut avoir le droit à sa libération et à son plan Marshall ? N’est-ce pas la meilleur façon d’apporter la paix, la prospérité et mettre fin aux extrémismes à nos frontières !

Durant les quatre années de la révolution, les grandes puissances et le groupe d’amis du peuple syrien, n’a eu de cesse de nous expliquer que l’issue du conflit ne peut être que politique. Oui, l’ensemble des acteurs de l’opposition sont d’accord avec ces propos, mais il faut créer les conditions à une issue politique. Le régime ne comprend que le rapport de force, jamais les amis du peuple syrien n’ont créé les conditions favorables pour amener Assad à négocier un plan de transition politique sur les bases de l’accord de Genève. L’impunité éternelle du régime et la passivité de l’Occident, de l’Europe n’ont fait qu’accroître la barbarie du régime. Sans même évoquer l’idée de remettre un armement efficace aux rebelles, par peur que cet armement tombe en de mauvaises mains, comme on a eu de cesse de le répéter, on pouvait imposer une zone-tampon aérienne, ce qui atténuerait la capacité offensive du régime, le priverait de son avantage primordial face à la rébellion, et le pousserait ainsi à accepter l’application des accords de Genève. Et surtout aurait épargné des milliers de vies innocentes et des destructions massives.

Notre passivité ne fait pas que tuer des Syriens dans leur pays; des milliers de Syriens sont morts en tentant de rejoindre le continent européen. Après Assad et Daesh, la méditerranée est devenue l’autre tombe des syriens. Fuir la guerre n’est même pas possible, on refuse à ce peuple le droit à la vie, et dès lors comment ne pas se fanatiser dans ces conditions ? Alors si certains, une majorité de pays en réalité, se cachent derrière le droit international et le veto russo-chinois pour justifier cette inaction sur le territoire d’un pays souverain, comment justifient-ils la possibilité d’intervenir contre l’EI sur ce même territoire syrien par l’aviation américaine et une coalition d’une vingtaine de pays ? Au nom de quel droit international pouvons-nous abandonner un peuple et le laisser se faire massacrer pendant quatre ans alors que des avions de la coalition interviennent et croisent dans le ciel syrien les bombardiers d’Assad semeurs de terreur? Si au nom du droit international nous avons laissé faire un des pires massacres du vingt et unième siècle, nous pouvons en conclure que des décennies de théorisations sur le droit international et les organisations qui en découlent, ne servent à rien, ou servent à légitimer notre passivité. Alors la tragédie syrienne renforce une jurisprudence dangereuse à l’encontre des droits humains : ces crimes qui se poursuivent en toute impunité rassurent des régimes autoritaires, banalisent leurs violences en toute quiétude. L’impunité a pris le dessus sur le droit et l’humanité. Si les représentants politiques adoptent vis-à-vis de ce conflit une stratégie de realpolitik, caractéristique des hommes de pouvoir, la passivité des peuples qui eux ont le droit de manifester, de s’exprimer, de s’indigner, est, elle terrifiante.

Firas KONTAR Citoyen franco-syrien – Militant associatif