Syrie. Les activistes de Kafranbel au secours de la Vierge Marie – par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 23 novembre 2013

Une vidéo postée, le 28 octobre 2013, sur Youtube par le site ‘Arîn al-Assad – l’Antre du Lion, autrement dit de Bachar al-Assad – a aussitôt inspiré en Syrie un flot d’articles et de commentaires. Son héros est un individu répondant au nom d’Omar Gharba’, qui se présente comme cheykh et dont la longueur de la barbe et le port occasionnel d’une tenue afghane sont censés démontrer la piété et l’engagement en faveur de l’islam. Une visite à la page Facebook de celui qu’un connaisseur des mouvements islamistes décrit comme « l’émir de l’une des katibas de l’Etat islamique d’Irak et du levant » (EIIL), permet de constater le narcissisme de l’intéressé et sa passion pour les armes les plus diverses.

Le cheykh Omar Gharba’ dans son bureau (19.12.2012)

Le motif du scandale était un one man show, au cours duquel le cheykh démontrait l’étendue de sa bravoure en réduisant en miettes une statue en plâtre… et sans défense de la Vierge Marie. Elle avait, dit-on, été récupérée dans une église ou un oratoire du village chrétien d’al-Ya’qoubiyeh, dans le gouvernorat d’Idlib au nord-ouest de la Syrie, conquis au début de l’année 2013 par des combattants de l’Armée libre et de diverses autres unités, parmi lesquelles l’EIIL. Le geste de l’individu n’avait rien de spontané. Il était destiné à frapper les esprits en le montrant à son avantage, dans une mise en scène soigneusement préparée, comme on peut le déduire de ses premiers mots – « Yallahyallah » (Allez, on se bouge) – proférés à l’adresse du « réalisateur ».

Dans un communiqué diffusé le lendemain, 30 octobre, la Coalition nationale passait sous silence la divulgation de cette vidéo par un site pro-régime, qui n’avait pas précisé comment il se l’était procuré. Elle préférait s’étonner de la « similitude entre les agissements du régime, dont l’armée, en bombardant le jour précédent la ville de Yabroud, avait détruit une église vénérable, et les exactions dont se rendait coupable l’Etat islamique d’Irak et du Levant ». Se référant à la mise en scène du cheykhGharba’, elle considérait que « cette coïncidence révélait une même mentalité, consistant à mépriser aussi bien les vies humaines que les symboles sacrés des autres ». Elle confirmait en quelque sorte « une relation organique entre le régime d’al-Assad et l’EIIL ».

Le cheykh Gharba’ et l’objet de son courroux

L’orchestration de cette triste affaire par les sites dédiés à la propagande officielle a aussitôt montré que le régime entendait s’en servir contre d’autres que l’Etat islamique, en l’occurrence contre les Frères Musulmans, confirmant que le probable retour en Syrie de l’Association bannie en 1980 constituait pour le pouvoir en place une source de préoccupation beaucoup plus vive que la présence actuelle dans le pays de milliers de djihadistes aux comportements provocateurs. On pouvait ainsi lire, le 30 octobre, sur le site de « l’opposant » Nizar Nayyouf, que « le terroriste apparaissant sur la vidéo en train de détruire une statue de Marie, dans les environs d’Idlib, n’appartient ni à l’Etat islamique, ni au Jabhat al-Nusra, contrairement à ce qui a été colporté sur son compte, mais au « gang » des Frères Musulmans et de l’Armée libre dirigée par Sélim Idriss. Il fait donc partie des combattants de la Coalition nationale et du Conseil national syrien »… CQFD.

La « preuve décisive » de ce qu’il avançait se trouvait dans « des photos de l’intéressé sur lesquelles il était tombé » sans difficulté en parcourant sa page Facebook. Celui qu’il renommait Abou Omar al-Ghouraba’, pour apparenter son nom à celui de la plupart des chefs militaires des groupes islamistes, y apparaissait avec sur la poitrine les couleurs du drapeau de l’Indépendance et l’emblème de l’Armée libre que n’arborent jamais ni l’Etat islamique, ni le Jabhat al-Nusra. Ignorant que les groupes engagés en Syrie modifient fréquemment leurs allégeances et que le look de l’intéressé était celui d’un salafiste, il se demandait en conclusion : « Si les combattants des Frères et de la Coalition, considérés comme « modérés » par l’Occident et les services de renseignements américains qui les entraînent et les arment, détruisent les icônes des églises et des maisons des chrétiens, et s’ils déclarent, comme le fait ce criminel, que « le pouvoir appartient à Dieu seul », que vont bien pouvoir faire les autres » ?

La statue de la Vierge soignée à Kafranbel

Loin de ce genre de déformations et quoi qu’il en soit du groupe auquel Omar Gharba’ appartient ou dont il est l’un des chefs, ce sont les activistes de Kafranbel qui ont encore une fois fourni la dénonciation la plus claire de ce genre de comportement et de la réponse que la Révolution devait lui apporter. Le dessin réalisé à l’occasion du rassemblement du vendredi 1er novembre 2013 témoigne, mieux que de longs discours, de la solidarité et de la volonté de vivre ensemble qui animent encore nombre de Syriens, sans distinction de religions.

source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2013/11/20/syrie-les-activistes-de-kafranbel-au-secours-de-la-vierge-marie/

date : 20/11/2013