«L’Etat algérien doit prendre une position claire et sincère sur la Syrie» – Amel Blidi

Article  •  Publié sur Souria Houria le 28 septembre 2011

Adnane Bouch, avocat, a été l’une des figures de proue du parti Baath à la fin des années 1960. Après le coup d’Etat de Hafed Al Assad
contre le président Nour El Dine El Atassi, il choisit de s’installer en Algérie. Dès les premiers balbutiements de la révolution, il participe à la création d’un «comité d’appui aux revendications du peuple syrien à Alger».

-Plusieurs mois après l’éclatement du soulèvement du peuple syrien, il y a encore peu d’informations sur ce qui se passe réellement dans le pays ?

Le régime sécuritaire, dictatorial et familial a marginalisé des pans entiers du peuple syrien. Il a monopolisé le pouvoir et l’argent. L’étincelle de la révolution a jailli lorsqu’un groupe d’enfants, qui avait écrit sur le mur de leur école primaire à Deraa «Le peuple veut la chute du système», ont été emprisonnés et torturés. Les agents de sécurité ont arraché les ongles de ces enfants et ont brûlé des cigarettes sur leurs corps.Quand les familles ont demandé à revoir leurs fils, elles ont été insultées par le gouverneur du département – l’équivalent du wali en Algérie –, ainsi que par le directeur de la sécurité qui n’est autre que le cousin de Bachar Al Assad. Cela a été la goutte qui a fait déborder le vase. Ainsi démarra la révolution syrienne.

Au départ, les manifestations étaient spontanées et automatiques. Mais le régime a usé d’une répression féroce, usant de toutes sortes d’armes contre les manifestants pacifiques qui appelaient à la liberté.
Lorsque la répression s’est intensifiée et qu’elle a dépassé les limites du raisonnable, les manifestations se sont organisées en coordinations dans les villes, les villages et les banlieues, rassemblant tous les protestataires, sans arrière-pensées idéologiques ou politiques. Les objectifs fixés étaient les suivants : maintenir des manifestations pacifiques, faire tomber le régime et mettre en place un gouvernement national et démocratique, regroupant toutes les communautés syriennes, sans exclusion ou distinction comme cela était courant dans le régime précédent.

-Comment se présente la situation ? Y aura-t-il, selon vous, un dénouement heureux en Syrie ?

Il y a, à l’heure actuelle, deux positions inflexibles : d’un côté, un régime autocratique et répressif décidé à tuer pour étouffer les voix dissidentes, et ne prêtant aucune attention aux racines de la crise. De l’autre, les protestataires qui ont donné des milliers de victimes, de martyrs, de disparus et de déplacés.Nous sommes optimistes car nous croyons en la justesse des vers du poète tunisien Abou El Kassem El Chabi : «Si le peuple décide un jour de vivre, le destin doit répondre, la nuit s’éclipser et les chaînes romprent.» La logique de l’histoire veut que la volonté des peuples soit victorieuse. Le peuple algérien a vaincu la plus grande force colonisatrice de cette époque-là, le Vietnam a aussi mis à genoux un aussi grand pays que les Etats-Unis. Et il y a aussi les révolutions tunisienne, égyptienne et libyenne qui nous donnent de l’espoir.

-Après les printemps tunisien et égyptien, est-ce l’heure de l’automne syrien ?

Nous attendons le printemps syrien et que l’odeur du jasmin souffle sur le pays d’El Cham, qui est en réalité le berceau de la petite fleur blanche. Mais à la différence des exemples égyptien et tunisien, l’armée syrienne a été préparée, depuis quarante années, à la protection du système. Les membres de l’armée sont plus fidèles au régime qu’au pays et à son peuple.

-Comment se fait-il que les membres de l’armée, eux-mêmes enfants d’El Cham, puissent tuer d’autres Syriens sans état d’âme ?

L’armée a eu notamment recours à des repris de justice et à des mercenaires connus en Syrie sous le nom d’«el chabiha». A ce titre, la révolution syrienne est héroïque à tous points de vue. Les manifestants font face à une répression féroce, qui a dépassé les exactions tunisiennes et égyptiennes.

-Il y a des images prises par les soldats eux-mêmes montrant le visage hideux du régime…

L’unique but de ces fuites est l’humiliation du peuple. Ils veulent faire peur aux manifestants en dévoilant l’avenir qu’ils leurs réservent. Ces vidéos sont revendues à des prix mirobolants. Ainsi, la rancune qu’éprouve le peuple envers l’armée s’exacerbe et le fossé qui les sépare s’agrandit davantage. C’est le frère de Bachar Al Assad, Maher, qui est derrière ces agissements. Les membres du groupe d’action sont d’ailleurs bien connus.

-Le peuple syrien est-il favorable à une intervention étrangère ?

Le peuple syrien et les forces de l’opposition refusent l’intervention militaire étrangère dans toutes ses formes mais réclament une protection sécuritaire à travers l’envoi d’observateurs sur le terrain. Nous préférerons qu’ils viennent de la Ligue arabe, si toutefois cette institution daigne se réveiller de sa léthargie, ou des organisations onusiennes et des droits de l’homme.
Elles pourraient ainsi considérer les massacres sanguinaires que commet le régime contre notre peuple, en tentant de falsifier la vérité et en prétendant la présence de groupes armés sans apporter la moindre preuve. Au même moment, les caméras des protestataires, la seule arme qu’ils possèdent, rapportent des images abominables d’enfants et de femmes tués.

L’ancien président, Hafed Al Assad, avait réussi à étouffer des soulèvements populaires en ayant recours à une répression impitoyable. L’ardeur des révolutionnaires ne risque-t-elle pas de s’éteindre de la même manière ?

L’histoire ne se répétera pas. Les massacres qu’avait commis Hafedh Al Assad à Hama, Alep et Dir El Zour dans les années 1980 se sont déroulés dans un contexte international particulier, dominé par une bipolarité et l’absence de médias libres, de téléphones portables et de caméras numériques. La bataille, en ce temps-là, opposait le régime à un courant politique, ce qui donnait au système un prétexte pour mettre fin à ces activités.Aujourd’hui, le monde a changé, il n’est plus qu’un petit village. C’est aujourd’hui la révolution de toutes les communautés syriennes, des plus religieuses aux laïques. Bachar Al Assad ne peut rééditer les crimes de son père, sans que cela ne se sache. Les chaînes satellitaires et la presse exposent chaque jour les crimes de ce régime.

-Et si le régime d’Al Assad tombait, ne risque-t-il pas d’y avoir une guerre communautaire en Syrie ?

Le slogan scandé par les manifestants est «Le peuple syrien ne fait qu’un» («Wahed, wahed, wahed, el chaâb el souri wahed»). Dans la longue histoire de la Syrie, les différentes communautés ont toujours coexisté. Le premier président syrien, Farès Al Khouri, était chrétien. Ensuite il y eut Taj El Dine El Hasani, qui a des origines algériennes. M. Khalfaoui, originaire d’Algérie – de Aïn El Hamam plus précisément – a occupé le poste de Premier ministre et de chef des armées.
Au Parlement syrien, les islamistes s’accordent avec les communistes sur certains points et avec les chrétiens sur d’autres questions. Même les Kurdes ont eu à endosser des postes ministériels. Le peuple syrien n’a jamais eu de réticences communautaristes.

-Parlez-nous du comité de soutien à la révolution créé en Algérie…

Nous sommes des citoyens ordinaires installés en Algérie et avons notre point de vue sur ce régime. Nous faisons partie de ces gens qui ont accueilli la venue de Bachar Al Assad au pouvoir avec optimisme.
Il prétendait vouloir faire des réformes, ce qui faisait croire à la place politique syrienne que le «printemps damascène» était arrivé. Mais le régime est vite revenu à sa véritable nature. En tant que membres de la communauté syrienne en Algérie, nous avons choisi de nous mettre dans le camp de notre peuple car ses revendications sont réelles et que le régime doit partir.

Notre comité, qui a été créé au lendemain de la révolution en mars dernier, a entrepris plusieurs activités. Nous avons contacté les partis politiques et les associations des droits de l’homme présentes en Algérie. Nous avons également tenté de prendre attache avec tous les membres de la communauté syrienne à Alger afin de resserrer les rangs. Le comité a ainsi organisé plusieurs sit-in devant l’ambassade syrienne à Alger. Et nous nous sommes beaucoup réjouis de voir la création d’une coordination algérienne de soutien à la révolution syrienne en août dernier.

-Comment cela a-t-il été perçu par l’ambassade de Syrie à Alger ?

Ils ont commencé à nous mettre des bâtons dans les roues. L’ambassade de Syrie à Alger use de différentes formes d’intimidations contre certains militants. Ils ralentissent ainsi la délivrance de passeports ainsi que divers documents. Ils essayent de sonder les ressortissants syriens pour connaître leur position et les traiter selon leur orientation politique.

-Quelle est votre appréciation de la position algérienne sur la révolution syrienne ?

Nous aimerions lancer un appel au peuple algérien, aux partis politiques et au gouvernement pour qu’ils prennent une position claire et sincère sur ce qui se passe en Syrie. Il est important de connaître la vérité, telle qu’elle est vécue par le peuple syrien et non pas comme elle est présentée par les médias syriens qui déforment les faits malgré leur clarté.

-Les étudiants algériens se sont mobilisés, sur le Net, pour la libération d’un jeune Syrien qui a fait ses études en Algérie…

El Qaâqaâ El Moghir est mon neveu. Diplômé de la faculté de médecine d’Alger en juillet dernier. Il est reparti en Syrie où il a participé à des manifestations. Il a été interpellé alors qu’il soignait des blessés, victimes de la répression à Dar El Zour, et nous n’avons, jusqu’à l’heure, aucune nouvelle de lui. Notre inquiétude est grande, d’autant qu’il est asthmatique.
Son père est gravement malade. Sa mère est dans un état lamentable, elle qui attendait le retour de son fils après sept ans d’absence, pour qu’il soit emprisonné, pour le seul motif d’avoir crié le mot «liberté». Ceci constitue la pire des choses pour ce régime. Alors, les services de sécurité frappent les prisonniers en leur disant : «La voilà la liberté !»

El Watan.com – Mercredi 28 septembre 2011

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