Enquête sur la machine de mort des prisons syriennes
Ce mardi, Arte diffuse le documentaire «Disparus», réalisé par Sophie Nivelle-Cardinale et Etienne Huver, sur l’enfer des prisons du régime de Damas.
C’est un documentaire glaçant, une exploration froide et systématique au cœur des ténèbres : l’univers carcéral du régime de Damas. L’actuel étalage de crimes commis par les djihadistes de Daech finirait presque par faire oublier la genèse l’horreur en Syrie, dès les débuts de la répression des manifestants à l’automne 2011. « Disparus », enquête de 52 minutes diffusée sur Arte le 3 novembre, revient sur la face cachée de la guerre, exposant un degré violence qui laisse pantois. On découvre une procédure systématique d’enlèvements, d’emprisonnements, de tortures et de famine planifiée pour répandre la terreur dans la population.
Une survivante, rescapée par miracle après un échange de prisonniers, décrit avoir été battue tous les jours, croisant sur le chemin de sa salle d’interrogatoire des dizaines d’hommes suspendus par les bras, en train d’agoniser. Rowaida Kanaan était journaliste, la vue de sa carte de presse a suffi à la faire arrêter par la police. Elle décrit les vieillards torturés devant leurs petits-enfants, les moribonds sur lesquels elle a dû marcher, les bébés suffoquant avec elle dans sa minuscule cellule où ils tiennent à 27.
Tarek Matermawi, un autre rescapé, raconte la dernière étape du calvaire : l’hôpital transformé en mouroir, où les détenus sont enchaînés à trois par lit, jusqu’à ce qu’on remplace les cadavres par de nouveaux agonisants. Il porte encore à l’épaule la trace des morsures du jeune homme enchaîné à ses côtés et devenu fou… Ces scènes cauchemardesques se perpétuent depuis quatre ans, non pas dans des centres secrets perdus en plein désert mais dans des prisons et des hôpitaux au beau milieu de la capitale.
« NOUS SOMMES INFORMÉS EN DIRECT. ET POURTANT RIEN N’EST FAIT »
Ainsi « L’hôpital 601 » de Mezzeh une des pires antres de la torture, se trouve-t-il à quelques centaines de mètres seulement du palais présidentiel où quelques députés français sont allés faire des ronds de jambe avec Bachar el-Assad. Le documentaire de Sophie Nivelle-Cardinale et Etienne Huver montre ainsi les images satellites révélant l’emplacement des fosses communes en train d’être creusées, puis remplies. Il interviewe aussi, pour la première fois, un chef de la police qui a fait défection et qui confirme, presque effaré, l’abîme des méthodes qu’emploie le régime pour se maintenir en place. Bastonnades, membres brisés, brûlures, électricité et une litanie de sévices innommables : l’ex brigadier-général de la sécurité politique Munir al-Hariri confirme tout. Il évoque aussi la famine orchestrée pour faire mourir en masse les prisonniers, ceux à qui l’on accorde pour seule nourriture de l’excrément humain. Des photos viennent illustrer ses dires.
Ce sont celles de « César » un policier chargé de comptabiliser et photographier les morts, qui a fini par faire défection début 2015 (1). Ses images de cadavres décharnés, couverts de bleus, de balafres et de plaies purulentes qu’on entasse dans la cour des prisons finissent par évoquer certains des pires clichés de l’imagerie auschwitzienne ou Khmer rouge. En 55 000 photos, les preuves fournies par « César » documentent plus de 6000 morts. Mais elles ne concernent que deux des prisons de Damas, sur une période de deux ans seulement. Sur l’ensemble du pays, le documentaire avance l’estimation de 200 000 disparus en prison, soit autant de victimes que le conflit armé. Mais, comme le souligne à l’écran Nadim Houry de l’ONG Human Rights Watch, il existe une grande différence entre les exactions du régime syrien et les crimes contre l’Humanité des décennies passées : ceux de Damas se déroulent presque sous nos yeux. Là où il fallait autrefois des années de recherches historiques pour établir les faits, nous suivons presque en temps réel les évènements de Syrie. « Aujourd’hui, nous sommes informés en direct, explique Houry. Et pourtant rien n’est fait. »
«Disparus», documentaire de 52 minutes réalisé par Sophie Nivelle-Cardinale et Etienne Huver, diffusé sur Arte le mardi 3 novembre à 21 heures. Replay sur www.Arte.fr
1) Sur la défection du policier et les 55 000 photos qu’il a fournies à la justice internationale, lire : « Opération César ; au cœur de la machine de mort syrienne », de la journaliste Garance Le Caisne, 230 pages, 18 euros, aux éditions Stock.