« 14 mars 2015 » discours de Farouk Mardam Bey

Article  •  Publié sur Souria Houria le 15 mars 2015

Le 14 mars 2015

Chers camarades, chers amis,

IMG_3129En ce quatrième anniversaire du déclenchement de la révolution syrienne, nos pensées vont d’abord à nos concitoyens dont des enfants, des parents ou des amis proches sont morts en martyrs. Nous pensons au million de blessés- handicapés, aux dizaines et dizaines de milliers de prisonniers qui subissent d’horribles tortures physiques et morales, aux plus de dix millions de réfugiés et de déplacés, à tous ceux qui manquent d’un toit ou de quoi se nourrir dans la crise humanitaire la plus terrible depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais nous pensons en même temps, avec eux et pour eux, à notre Syrie, meurtrie, occupée, divisée, mais qui résiste encore et se bat contre le régime le plus affreux de la planète.

Peu de peuples dans le monde avaient autant de raisons de se révolter que le peuple syrien. Qu’on se rappelle de toutes ces années, ces longues et interminables années d’une tyrannie clanique, mafieuse, sanguinaire, qui a privatisé l’État, qui a transformé la Syrie en un royaume de la peur, qui a soulevé les communautés ethniques et confessionnelles les unes contre les autres, qui a fait main basse sur l’économie nationale, qui a commis des crimes odieux contre les peuples frères du Liban, de Palestine et d’Irak. Qu’on se souvienne du massacre de Hama, des exactions perpétrées par des milices sans foi ni loi, de la prison de Palmyre, des innombrables prisonniers politiques détenus arbitrairement pendant toute leur jeunesse.

Peu de peuples dans le monde, aussi, ont consenti, quatre ans durant, autant de sacrifices que le peuple syrien pour se libérer, vivre dans la dignité, être une communauté de citoyens et plus jamais les sujets d’un sultan, quel qu’il soit. Et ce peuple a été contraint de le faire dans des conditions régionales et internationales particulièrement défavorables : il devait faire face au rêve impérial insensé de l’Iran, au cynisme sans borne de la Russie de Poutine, aux tergiversations de l’Amérique d’Obama, à l’impuissance chronique de l’Europe, sans sous-estimer les manœuvres mesquines des autres soi-disant « amis du peuple syriens » qui pataugeaient et pataugent toujours dans leurs contradictions ni, surtout, l’intrusion de djihadistes d’un autre âge, accueillis par la clique au pouvoir comme un don du ciel.

 

Chers camarades, chers amis,

Les Syriens ont le sentiment d’être abandonnés du monde entier. Sentiment justifié parce qu’ils s’aperçoivent douloureusement de l’indifférence de l’opinion publique mondiale, de moins en moins pressée de se mobiliser pour des causes lointaines, surtout quand on lui agite à longueur de journée le spectre de l’islamisme. Justifié aussi parce que certains de ceux qui sont censés être les plus sensibles à leurs souffrances et les plus réceptifs à leurs revendications démocratiques, je veux parler des défenseurs des droits de l’homme, des militants de la démocratie politique et sociale, des partisans du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, se saisissent parfois des prétextes les plus fallacieux pour renvoyer dos à dos le bourreau et sa victime, quand ils ne se laissent pas prendre par la propagande du régime jusqu’à excuser ses crimes. Peut-il être progressiste, un régime qui bombarde son peuple et s’acharne notamment sur les classes les plus démunies de son pays ? Peut-il être un modèle de laïcité quand il tient sa cohésion d’un esprit de corps communautaire ? Peut-il être féru de l’indépendance nationale quand il livre son pays à l’Iran et à ses milices libanaises et irakiennes ?

Depuis l’irruption de l’ainsi nommé « État islamique » et ses horreurs délibérément spectaculaires, on entend des voix ici ou là qui réclament un retour en grâce de Bachar al-Assad en tant qu’allié contre les djihadistes. C’est oublier ou feindre d’oublier que le despotisme et le djihadisme sont des ennemis complémentaires, qui cherchent chacun à se justifier par la présence de l’autre, et qu’ils n’ont en fait tous les deux qu’un seul et même ennemi, la démocratie. Selon quelle logique peut-on hiérarchiser les barbaries ? Pourquoi serait-il plus tolérable de tuer des dizaines de civils par un bombardement aérien que de couper des têtes devant une caméra ? Il y a un an et demi, quand les puissants de ce monde se sont accordés sur une solution bancale à propos de l’usage par le pouvoir de l’armement chimique, lui fournissant de ce fait un permis de tuer par toutes les autres armes à sa disposition, nous étions nombreux à le dire : que choisir entre Assad et les djihadistes n’avait aucun sens, et que si l’on s’obstinait à croire en cette alternative, on verrait bientôt prospérer, et Assad et les djihadistes. A l’époque, Daech était encore embryonnaire, il occupe aujourd’hui un vaste territoire en Irak et en Syrie, et la leçon à en tirer est toujours la même : soit on se décide à combattre les deux monstres à la fois, soit ils continueront ensemble à détruire ce qui reste de la Syrie.

 

Chers camarades, chers amis,

La Syrie mérite le meilleur, et l’humanité tout entière aura honte un jour de l’avoir vue dépérir sans voler à son secours. Aujourd’hui, plus que jamais, les Syriens ont besoin qu’un large mouvement de solidarité, avec des mots d’ordre clairs, s’organise en leur faveur, combinant aide humanitaire à la population sinistrée et soutien politique à toutes les forces qui militent pour une solution politique juste et durable. Et la seule solution qui l’est vraiment, juste et durable, c’est-à-dire la seule qui ouvrirait la voie à la paix civile, est celle qui commence par mettre hors d’état de nuire la clique qui a conduit le pays, par son obstination criminelle, à la situation catastrophique dans laquelle il se trouve.

Le sang syrien a trop coulé.

Il tombera tôt ou tard sur ceux qui l’ont fait couler.

Il tombera aussi sur ceux qui les ont laissé faire.

Unissons-nous contre la barbarie, quel que soit le nom qu’elle prend et le masque qu’elle porte.

Vive la Syrie libre et démocratique.