A Homs, bombardé depuis 12 jours, « c’est le dénuement total » – par Céline Lussato
« Sans nourriture, sans eau », les quartiers assiégés « n’ont rien » : un habitant de la « capitale de la révolution » raconte son quotidien dans un témoignage poignant.
Homs, la « capitale de la révolution » syrienne vit sous les bombes depuis 12 jours. La ville qui subit de plein fouet la répression de la révolution contre Bachar al-Assad meurt petit à petit, et l’assaut lancé le 29 juin par les troupes du régime porte un coup douloureux aux quartiers rebelles, dans le cœur de la ville.
Le blogueur Big Al vit dans cette ville du centre du pays depuis le début de la révolution. Joint mercredi 10 juillet, il raconte la difficulté de vivre dans la guerre qui ravage des quartiers sans eau, sans électricité, et où le danger est partout.
Voici, à la première personne, le témoignage extrait de notre échange. Evidemment, pour les raisons de sécurité habituelles, aucun élément personnel qui pourrait permettre son identification n’a pu être retranscrit…
« La vie est dure. Le Ramadan a commencé ce matin et la chaleur rend le jeûne difficile. Dans les 12 derniers jours, de nombreux quartiers ont été visés de façon perverse par tous les types d’armes. Les troupes du Hezbollah libanais aident les troupes du régime comme ils l’avaient fait à Qusair et les destructions sont indescriptibles. Le Vieux Homs (notamment Bab Al Siba, Bab Houd…) et les quartiers de Jorat Al Shayyah, Bayada, Karm El Zetoun, Qusoor, et Khaldieh sont majoritairement détruits. Et bien sûr je n’oublie pas Baba Amro et Shammas…
Les autres parties de la ville ne sont que partiellement détruites comme Hamra, Ghouta, Mahatta, Waar et Inshaat. Les quartiers pro-Assad, eux, ne sont pas touchés par les destructions.
En fait, la majorité de la vieille ville et de Khaldieh sont encore contrôlés par les rebelles et c’est pour cela que ce sont ces quartiers qui sont visés. Mais les quartiers pro-Assad et un certain nombre d’autres sont aux mains du régime. A Homs, les insurgés sont les fils de la ville et ils n’ont rien à voir avec les groupes extrémistes comme Al-Nosra qui n’ont d’ailleurs jamais eu de grande existence dans notre ville.
La vie dépend de cette géographie. En fait, certains quartiers n’ont pas d’eau ni d’électricité depuis plus d’un an et les autres en ont si peu tandis que les quartiers pro-Assad en ont tout le temps.
Les quartiers assiégés sont dans le dénuement le plus total : sans nourriture, sans eau, sans médicaments… ils n’ont rien. Ils essayent de planter des légumes et ne peuvent faire venir de l’extérieur que très peu de choses sans la permission du régime.
Dans mon quartier nous avons de l’eau trois ou quatre heures par jours au mieux. Parfois nous n’en n’avons pas du tout pendant plusieurs jours de suite et l’été est très chaud ici. Ce matin il fait déjà 38°C. L’électricité va et vient. Il n’y a pas de règle. Parfois nous n’avons pas d’électricité pendant des jours. Ici, la nourriture se trouve mais les prix sont tellement élevés que la plupart des gens ne peuvent acheter quoi que se soit et se fournissent auprès des programmes d’aide et de charité.
Quant aux blessés, dans les quartiers assiégés ils sont soignés dans des hôpitaux de fortune où tout manque. Dans les autres parties de la ville, les blessés peuvent être pris en charge par les hôpitaux sous le contrôle du régime.
De nouvelles maladies sont apparues à certains endroits de la ville et la plupart sont dues au manque d’eau potable et de nourriture fraîche. Mais, heureusement, rien de très sérieux. Les médicaments sont difficiles à trouver. J’ai essayé pour ma part de trouver différents types de médicaments pour le cœur et la pression artérielle et je n’ai rien trouvé depuis le début de l’année. Nous avons encore le nécessaire pour quelques mois mais si je ne trouve rien le mois prochain il faudra que j’essaye de trouver quelqu’un à Damas susceptible de m’en faire parvenir.
Sortir de la ville est vraiment très difficile, la plupart des chemins ne sont pas sûrs. Aller à Damas, par exemple, prend des heures en attente aux check points, en recherche… Et si, éventuellement, il y a des bus qui circulent, ils peuvent être touchés par des balles ou arrêtés sur la route.
De mon côté, je m’adapte à la situation et j’ai commencé pour cela à prendre des antidépresseurs il y a quelques mois. J’essaye de ne pas trop regarder les informations, d’être positif le plus possible pour aider les médicaments à me calmer. La chaleur et les violents bombardements sont durs à supporter, et les prix aussi… Mais après deux ans de cette situation, c’est devenu notre mode de vie. C’est triste mais c’est la vérité. L’homme peut s’habituer à tout. »
A la fin de notre entretien, nous avons demandé au jeune homme s’il avait un message à adresser à la France, à la Coalition nationale syrienne et plus largement à la communauté internationale.
« A la France je dis : Votre révolution nous a inspiré et votre démocratie nous enthousiasme chaque jour.
Au SNC je dis : Vous avez échoué jour après jour et vous ne vous êtes occupés qu’à vous battre les uns contre les autres nous oubliant complètement. Nous vous avons soutenus longtemps mais vous ne nous représentez plus du tout. Vous avez besoin de vous reconcentrer et travailler dur. Arrêtez de dépenser de l’argent en hôtels de luxe et de perdre votre temps en querelles intestines sur des questions sans importance.
Au monde je dis : Je pensais que tu étais un meilleur endroit. Je pensais que tu ne te contenterais pas de nous regarder souffrir en nous laissant tout seuls. Comme j’étais naïf. »
date : 10/07/2013