A Paris, défiant la propagande, les Chrétiens de Syrie condamnent la barbarie du Kremlin à Alep
Quelle chance ont les Alepins de vivre dans une ville en ruines. Si, si ; c’est ce qu’affirme un reportage du JT de 20H de France 2 ce 25 décembre, mettant en scène, comment pourtant appeler cela ainsi, une Alep-Est «libérée» de la présence de la révolution syrienne et où, en ce jour de Noël, «pour la première fois depuis quatre ans», les Chrétiens locaux peuvent aller à la messe, circuler librement et, cerise sur le gâteau, déguster un plat de riz qui, selon le journaliste, constituait un problème politique pour les autorités révolutionnaires …
Alep-Est, où la population vivait une expérience d’autogestion et de démocratie jamais vue dans l’histoire du pays, et à vrai dire dans celle de bon nombre de démocraties «installées» comme l’est la France. Alep-Est, où foisonnait la vie intellectuelle, non dans une moindre mesure grâce aux journalistes-citoyens que comptait la ville. Alep-Est, capitale économique devenue capitale révolutionnaire, à la fois laboratoire et vitrine d’un avenir meilleur, et libre, pour la Syrie.
Mais Alep-Est bombardée, pilonnée, sans merci par l’aviation russe au service du régime syrien, dont l’armée, décharnée et sous tutelle russe et iranienne, n’est entrée que tardivement pour se débarrasser de la population locale qui pouvait la gêner.
Entre partialité et conspirationnisme, aucune autre voie possible ?
Et il est tenace, ce mythe d’un régime Assad protecteur des Chrétiens d’Orient, là où une révolution syrienne uniquement composée de Musulmans sunnites assoiffés de vengeance envers les Alaouites au pouvoir et, donc, les Chrétiens unanimement amis de la dictature syrienne, rêverait de tous les convertir de force ou les exterminer – en un mot, une révolution syrienne qui serait en tout et pour tout un Daesh qui ne s’avoue pas.
Depuis son édition du 18 février 2016 du magazine Un œil sur la planète, intitulée à la manière des plus caricaturaux des sites conspirationnistes «Syrie : Le grand aveuglement», France 2, chaîne-phare de l’audiovisuel public français, impose son choix partisan du régime Assad à un auditoire qui, bien que finançant la chaîne par ses impôts, se voit privé à ce sujet du moindre droit à la parole. En ce comprise cette petite musique faisant de la dictature dynastique syrienne la protectrice bien-aimée des Chrétiens du pays.
Seulement, être une chaîne publique dans une démocratie, est-ce forcément toujours être fiable, en tout cas impartial ? A contrario, toute accusation d’impartialité contre un média «officiel» relève-t-elle inéluctablement du conspirationnisme ?
Autant prendre l’avis des premiers intéressés – les Chrétiens de Syrie.
«La communauté internationale doit prendre en compte le peuple syrien»
Et cet avis, le seul qui compte, n’est pas pour le moins comme le laisse entendre France 2.
Samira Moubayed
Samira Moubayed, chercheure en écologie rattachée au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, représente en France l’association Syriens Chrétiens pour la Paix (Syrian Christians for Peace), basée à Burbank, en Californie (États-Unis). «Dans l’objectif de condamner l’Holocauste d’Alep et de démentir les allégations des loyalistes du régime de Bachar el-Assad qui se félicitent de la ‘libération’ de la ville d’Alep,» précise la scientifique, «une dizaine d’associations syriennes ont envoyé une lettre de protestation à Monsieur Poutine, Président de la République fédérale de Russie, à travers l’Ambassade de la République fédérale de Russie en France.»
Et les noms des organisations signataires, chrétiennes mais pas seulement, ne sont guère évocateurs d’une initiative d’inspiration jihadiste :
– Syriens Chrétiens pour la Paix,
– Organisation démocratique assyrienne,
– Réseau syrien pour les Droits de l’Homme,
– Association des Chrétiens-Démocrates syriens,
– Association internationale de Développement et d’Urgence,
– Association de la Maison de Palmyre,
– Union des Coordinations syriennes,
– Initiative de Reconstruction de l’État syrien,
– Parti de la Gauche démocratique,
– Centre ARIDO pour la Communauté civile et la Démocratie,
– Organisation Lumières syriennes,
– Organisation de la Solidarité pour la Syrie,
– Centre syrien pour la Démocratie et la Liberté,
– Mouvement de la Citoyenneté.
En dehors de ces organisations, plusieurs personnalités syriennes – politiques, écrivains, journalistes, avocats et médecins – se sont jointes à cet appel. «Elles soulignent clairement», ajoute Samira Moubayed, «que le régime d’Assad est le principal responsable de l’aggravation du conflit en Syrie aujourd’hui, car en refusant tout règlement de la crise et en cherchant à la résoudre avec violence, il a causé la propagation des organisations terroristes en Syrie et dans la région ; or, il n’est pas possible d’éliminer le terrorisme sans résoudre la crise syrienne et sans changer le régime actuel lié étroitement à cette crise».
En même temps que Daesh, les signataires condamnent également le Front Fatah al-Sham, «Front de la Conquête du Sham», anciennement Front al-Nosra qui fut sous ce nom l’affilié syrien du réseau Al-Qaïda. «Jabhat al-Nosra, tout comme Daesh,» écrivent-ils, «qui aident le régime contre la révolution syrienne, ne font pas partie de la révolution et n’exprime ni les buts des Syriens, ni leur aspiration profonde pour un état démocratique qui respecte le pluralisme politique, ethnique et confessionnel». Il est vrai que, sur le terrain, le Front al-Nosra avait eu, sous ce nom, une attitude au mieux ambiguë envers l’Armée syrienne libre, se faisant tantôt l’allié tantôt l’ennemi des troupes révolutionnaires.
Une ambiguïté qui, pour Samira Moubayed, est plus qu’il est possible d’admettre. «La communauté internationale doit prendre en compte le peuple syrien, seul à pouvoir éliminer le terrorisme sur son territoire et bannir le terrorisme du régime.»
La «guerre sainte» de la Russie : Un prétexte qui ne trompe pas
Toutefois, sans nul doute, de la part de ces organisations chrétiennes de Syrie, la condamnation la plus lourde de sens est celle qui frappe la Russie, où l’Église orthodoxe russe intimement liée au pouvoir de Vladimir Poutine avait elle-même évoqué en octobre 2015, après l’entrée des troupes russes en Syrie, «une guerre sainte».
Fustigeant les assauts russes contre Alep, les signataires de la lettre exigent «un arrêt immédiat des bombardements aveugles qui affectent les civils, détruisent des hôpitaux, ciblent des équipes civiles de sauvetage et provoquent le déplacement de dizaines de milliers de familles syriennes à Alep et dans les autres régions syriennes» et qu’il soit permis «à l’aide médicale et à l’aide humanitaire d’entrer immédiatement et sans condition dans toutes les villes et zones assiégées».
Et ce prétexte de «guerre sainte», les Chrétiens de Syrie, confirme Samira Moubayed, n’en sont pas dupes.
«Le gouvernement fédéral de Russie joue un rôle croissant dans l’orientation du conflit en Syrie. Par conséquent, il porte une responsabilité essentielle, politique et morale, de trouver une solution juste et durable à la guerre sanglante qui se déroule en Syrie. Aujourd’hui, il doit, plus qu’aucun autre pays, soutenir les droits légitimes du peuple syrien afin d’atteindre la paix, la transition politique du pouvoir et la consolidation de la sécurité en Syrie, dans la région et dans le monde.»
C’est pourquoi, conclut la chercheure, les signataires «demandent à tous les pays impliqués de faire pression sur le régime de Bachar el-Assad afin d’entamer des négociations sérieuses pour parvenir à une solution au conflit et faire sortir de Syrie tous les militants étrangers pour que la Syrie puisse passer à un système démocratique, représentatif et pluraliste qui reflète la volonté de l’ensemble de son peuple».
L’hypocrisie n’est jamais parole d’Évangile
Au temps pour les reportages imaginatifs de France 2 ou toute autre œuvre de réduction des Chrétiens de Syrie à des inconditionnels du régime Assad, au demeurant peu «protecteur» de la propre communauté alaouite dont il est issu.
Dans les Évangiles selon Saint Luc et Saint Matthieu, Jésus-Christ, la figure centrale du christianisme, demande :
«Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Ou comment peux-tu dire à ton frère : Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère.»
Au fil du temps, la parabole est passée dans le langage courant, échappant au pur registre liturgique, de même que l’expression «parole d’Évangile» désigne une affirmation tenue pour indiscutable.
Par leur appel pour la ville martyre d’Alep, les Chrétiens de Syrie donnent une leçon magistrale à qui prétend parler en leur nom en invoquant leur foi, prouvant ainsi qu’ils sont, au mépris des partis pris, des Syriens libres.
Merci à Syriens Chrétiens pour la Paix pour les images d’illustration de cet article.