A Saint-Ouen, la situation de 200 réfugiés syriens illustre les carences du système d’asile – Par Mélinée Le Priol et Elise Vincent

Article  •  Publié sur Souria Houria le 24 avril 2014

200 réfugiés syriens se sont installés dans un jardin public à Saint-Ouen. | JOEL SAGET/AFP

C’est dans un jardin public entouré d’immeubles résidentiels, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) que sont installés, depuis plusieurs semaines, quelque 200 Syriens, dont une quarantaine d’enfants. Une situation inédite et difficile pour cette commune défavorisée. Mardi 22 avril, son maire, William Delannoy (divers droite), qui vient de ravir la ville au Parti communiste, a lancé un appel solennel à l’aide de l’Etat. Plusieurs associations sont mobilisées, alors que le sort de ces Syriens vient une nouvelle fois souligner les carences du système d’asile français, saturé.

Mardi, plusieurs femmes avec enfants étaient toujours là, assises à l’ombre des arbres. Installées sur des couvertures fatiguées, elles donnent à grignoter des biscuits secs à leurs enfants. Les hommes fument à l’écart. Il y a aussi des nouveau-nés. La plus jeune, Asala, offre ses sourires aux adultes : une petite fille née il y a cinq mois, en Espagne, sur la route de l’exil. L’Espagne, la plupart de ces réfugiés disent y être passés pour venir en France. Souvent après un périple qui leur a fait traverser l’Egypte, l’Algérie et le Maroc.

Comme Younès, 28 ans, qui enseignait le français à Alep quand la guerre a commencé. « Avec ma femme et ma fille, on a quitté la Syrie il y a presque trois ans, raconte-t-il dans un français parfait. On s’est faits conduire en voiture jusqu’au Maroc et on est resté deux mois à Melilla [enclave espagnole au nord du Maroc] avant de passer la mer. »

« IL FAUT QUE LA MAIRIE OUVRE UN GYMNASE »

Difficile de savoir quand, exactement, ce groupe de Syriens originaires de Homs, d’Alep et de Damas, est arrivé à Paris. Certains assurent avoir atteint la capitale il y a trois mois. D’autres l’auraient rejointe ces derniers jours. C’est en tout cas seulement le 17 avril que des associations ont découvert leur situation. La première a été Revivre, une petite structure spécialisée dans l’aide aux détenus d’opinion en Syrie. C’est elle qui a ensuite prévenu de grandes organisations comme le Haut-Commissariat aux Nations unies pour les réfugiés (HCR) et France terre d’asile (FTDA).

A leur arrivée, le HCR et FTDA ont constaté avec surprise que ces Syriens n’avaient pas demandé l’asile. D’après les témoignages recueillis par William Spindler, responsable de la communication du HCR, certains avaient vécu jusque là de la solidarité de la communauté musulmane organisée par une mosquée située près du square. « D’autres se payaient des chambres d’hôtel. » Un certain nombre d’entre eux exerçaient en effet, au pays, des professions qualifiées : dentistes, enseignants, commerçants…

C’est un communiqué des Verts, lundi 21 avril, qui a attiré l’attention sur leur sort. « La solidarité ne peut pallier la carence des services de l’Etat », a dénoncé EELV, qui réclame un « lieu d’accueil d’urgence »« Il faut que la mairie ouvre un gymnase, demande Michel Morzière, de RevivreDepuis le 17 avril, nous avons dépensé 800 euros par jour pour logerces gens. A partir de ce mardi soir, nous ne pouvons plus financer. »

« PAS DE SOLUTION IMMÉDIATE SIMPLE »

« Je connais la France mieux que les Français, raconte Yhayha, 44 ans, prothésiste dentaire originaire de Homs, désemparé de se retrouver dans une telle situation. Si j’ai choisi ce pays, explique ce père de quatre enfants en cherchant ses mots, c’est parce que je sais qu’ici, il y a toujours des solutions. »

Le préfet délégué pour l’égalité des chances en Seine-Saint-Denis, Didier Leschi, a pourtant été clair lors de sa visite au parc mardi : « Il n’y a pas de solution immédiate simple. » « Toutes les nuits, 8 000 personnes sans abri dorment à l’hôtel dans le département », a-t-il regretté, rappelant que l’Etat finance ces nuitées. « On va essayer de traiter les cas des plus fragiles, trois ou quatre familles », a-t-il confié aux associations sur place.

Le fait que les Syriens de Saint-Ouen n’aient pas demandé l’asile complique la tâche des autorités. Cette démarche leur ouvrirait plus facilement les portes d’hébergements en dur, notamment celles des centres d’accueil de demandeurs d’asile. Ces derniers sont saturés en Ile-de-France, mais il existe de la vacance dans d’autres régions.

66 000 RÉGULARISATIONS SOUMISES EN 2013

Le directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, Pascal Brice, qui accompagnait M. Leschi à Saint-Ouen mardi, a, de fait, invité les familles à finaliser leurs demandes d’asile. « Si des dossiers nous sont soumis, nous les examinerons très rapidement, a-t-il assuré au Monde. En 2013, pour chacune des 66 000 demandes qui nous ont été soumises, il a fallu six mois. Pour les Syriens, nous avons accéléré la procédure à trois mois. Mais pour cette situation, je pense que nous pourrons le faire en quinze jours. »

Aucune association n’était toutefois en mesure, mardi, de savoir si la France était bien la destination finale de ces Syriens. Le 28 mars, 85 Syriens dont une quarantaine d’enfants avaient été interpellés gare de Lyon, à Paris. Comme ces familles visaient l’Allemagneplutôt que la France, elles s’étaient vu distribuer non pas une protection, mais une obligation de quitter le territoire.

source : http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/04/23/a-saint-ouen-la-situation-de-200-refugies-syriens-souligne-les-carences-du-systeme-d-asile_4405653_3224.html

date : 23/04/2014