« Alep crève, mobilisons-nous ! », par Raphaël Glucksmann et Yannick Jadot
Poutine et Al-Assad sont des « terroristes » et ceux qui les soutiennent en France sont leurs complices, accusent l’essayiste et le candidat écologiste à la présidentielle.
Alep crève sous nos yeux. Nous assistons en direct à l’éradication d’une population.
Alep crève et emporte dans ses ruines, avec les milliers d’enfants, de femmes et d’hommes que nous laissons mourir, l’idée même de droit international.
Après les bombardements massifs et indiscriminés de l’aviation de Vladimir Poutine et Bachar Al-Assad, les milices du régime finissent le « travail » à l’arme blanche, rue par rue, maison par maison. Et la communauté internationale regarde, hébétée, inutile, incapable d’imposer un cessez-le-feu ou d’organiser l’évacuation des civils pris au piège.
Alep crève. Comme Srebrenica et Grozny ont crevé avant elle. De la même manière, selon la méthode dite « tchétchène » que le maître du Kremlin assume, revendique et impose. La seule nouveauté dans cette tragédie, c’est la possibilité de suivre le calvaire des habitants jour après jour, heure après heure, sur Twitter et Facebook. « Ceci est mon dernier message, nous allons mourir. Que fait le monde ? » : les posts des activistes depuis lundi 12 décembre, en arabe ou en anglais, disent tous la même détresse, comme autant de bouteilles jetées dans une mer d’indifférence planétaire. Ils rendent notre inaction plus coupable encore.
Raser une ville, ses écoles, ses hôpitaux, ce n’est pas lutter contre le terrorisme, c’est du terrorisme
Alep avait fait sa révolution. Il fallait la punir. Comme toutes les villes de Syrie qui se sont soulevées il y a cinq ans contre la tyrannie d’Assad, Alep devait payer. Alep a expulsé l’organisation Etat islamique de ses murs et Alep crève. Parce que l’objectif stratégique de Vladimir Poutine et de Bachar Al-Assad n’est pas le combat contre Daech (acronyme en arabe de l’organisation Etat islamique), mais l’écrasement de la rébellion dans son ensemble, dans sa dimension djihadiste ou laïque, militaire ou civile, l’écrasement de toute possibilité de soulèvement.
Parce que nous entendons quotidiennement des discours, en France, essayant de justifier l’injustifiable, nous voulons rappeler aujourd’hui cette vérité simple : raser une ville, ses écoles, ses hôpitaux, ce n’est pas lutter contre le terrorisme, c’est du terrorisme. Poutine, Assad et leurs troupes sont des terroristes. Et leurs crimes abjects nourrissent le djihadisme.
Alep crève et la plupart des candidats à la présidence de la République du « pays des droits de l’homme » refusent de nommer ses bourreaux. Ou, pire encore, ils les soutiennent ouvertement.
Alep crève depuis des mois et Marine Le Pen a applaudi Assad et Poutine, son modèle et son parrain. Alep crève et François Fillon a dit, dans un débat de la primaire démocratique de la droite française, « choisir Assad »avant de justifier Poutine. Alep crève et Jean-Luc Mélenchon a affirmé dans une émission populaire du service public : « Je pense que Poutine va régler le problème en Syrie. »
Maintenir, étendre les sanctions
Si nous faisons tout pour que la Cour pénale internationale juge un jour les bourreaux d’Alep, ce sera incontestablement aux seuls électeurs français de juger leurs complices ici.
Alep crève. Et d’autres candidats, plus précautionneux, parlent de « réintroduire Poutine dans le jeu » comme Emmanuel Macron, ou de revenir sur les sanctions qui visent la Russie comme Arnaud Montebourg. Les sanctions ont été imposées pour pousser le Kremlin à retirer ses troupes d’Ukraine, un voisin qu’elles avaient envahi en violation du droit international et de tous les traités existants. Non seulement les troupes russes ne se sont pas retirées d’Ukraine, mais elles rasent Alep en plus. Et nous devrions lever les sanctions ? Pour récompenser Poutine de ses crimes syriens ?
Les sanctions qui visent Moscou doivent être plus que maintenues, elles doivent être étendues, renforcées. Il ne s’agit pas de faire « la guerre à la Russie », et encore moins au peuple russe, comme cherchent à le faire croire les relais de la propagande russe en Europe, il s’agit d’utiliser les moyens de pression à notre disposition pour faire cesser le massacre.
Alep crève et l’Union européenne doit mettre en place une « liste Magnitski » (du nom de l’avocat russe assassiné en 2009) élargie qui lui permettrait d’interdire l’entrée de son territoire aux personnes liées aux violations des droits humains en Russie, en Ukraine et en Syrie, et de geler leurs comptes bancaires et leurs biens immobiliers. Ce régime russe est aussi une oligarchie qu’il faut frapper au portefeuille. Sans établir ce rapport de force, nos mots seront inutiles et nos réunions vaines.
Alep crève et nous proposons de faire campagne pour que la Coupe du monde de football n’ait pas lieu dans la Russie de Poutine. En 2014, la pression exercée sur le dirigeant russe a eu un impact et plusieurs prisonniers politiques ont été libérés quelques semaines avant le début des JO. Utilisons cette carte pour sauver ce qui peut encore être sauvé en Syrie.
Poutine promet un grand hiver des dictatures
Alep crève et la question de l’indépendance européenne face au régime de Poutine se pose plus que jamais. Indépendance énergétique tout d’abord, avec le nécessaire plan européen d’investissement massif dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.
L’indépendance de l’information ensuite, car nous constatons désormais quotidiennement la désinformation et la multiplication des « fausses informations » propagées par le Kremlin. Enfin l’indépendance des politiques et leur corruption : voir le bras financier du Kremlin soutenir des partis, candidats et mouvements sur tout le continent sans réagir n’est plus acceptable.
Vladimir Poutine a porté à bout de bras Bachar Al-Assad dès les premiers jours de la répression. Alep est sa bataille, son œuvre. Son message au monde est simple : « Vous voulez la révolution ? Vous aurez la guerre. Vous voulez plus de libertés ? Vous aurez la mort. » Alep est sa réponse aux révolutions de couleur à l’est de l’Europe et au « printemps arabe ». Le dirigeant russe promet un grand hiver des dictatures.
Et nous ne sommes pas immuns du poison poutinien et de la tentation césariste. La figure de l’autorité vulgaire et brutale fascine de plus en plus de monde dans nos sociétés bousculées par la globalisation et l’argent roi. La victoire de Donald Trump lors des élections américaines en est l’exemple le plus récent et le plus éclatant.
Alep crève et nous ne sortirons pas indemnes de son calvaire et du triomphe des tyrans.
Ce monde sans droit ni loi est rendu possible par les reniements et les renoncements européens et américains. Il est déjà cautionné par Trump. L’Europe ne peut l’accepter sans périr. Dans les ruines d’Alep, c’est une part de nous-mêmes qui s’éteindra si nous ne réagissons pas.
Alep crève, mobilisons-nous ! Descendons dans nos rues, sur nos places. Apostrophons nos élus. Exigeons des candidats qu’ils s’expriment clairement et choisissons en fonction. Faisons entendre la voix des citoyens français fidèles à l’humanisme et l’universalisme dont notre pays aime se revendiquer.
Raphaël Glucksmann (Essayiste et documentariste)
Yannick Jadot (candidat écologiste à la présidentielle)