Alep: « Des hommes sont placés dans des camps, il y a des rumeurs d’exécutions » – interview de Ziad Majed par Propos par Catherine Gouëset
Alors que les Russes ont annoncé l’arrêt des frappes à Alep, le régime continue de bombarder les quartiers encore aux mains des rebelles. Ziad Majed, professeur à l’Université américaine de Paris et spécialiste de la Syrie, évoque « une situation chaotique ». Interview.
Malgré l’annonce par la Russie d’un arrêt des « opérations de combat » pour permettre l’évacuation de milliers de civils à Alep, de violents affrontements se poursuivent, ce vendredi dans la ville assiégée. Les troupes du régime syrien bombardent à l’artillerie les derniers quartiers aux mains des rebelles. A coups de frappes aériennes, de barils d’explosifs et de tirs d’obus quasi-ininterrompus, le régime de Bachar al-Assad et ses alliés ont réussi à s’emparer de 85% des quartiers tenus par les rebelles depuis 2012.
L’ONU dénonce par ailleurs ce vendredi le fait que « certains civils qui tentent de s’enfuir sont apparemment bloqués par des groupes armés de l’opposition (…) notamment le front Fateh al-Cham », ex-Front al-Nosra, Les Nations unies dénoncent aussi la disparition de centaines d’hommes et de jeunes garçons après qu’ils ont quitté les zones rebelles d’Alep et rejoint les zones contrôlées par le régime syrien. L’analyse de Ziad Majed, professeur à l’Université américaine de Paris, spécialiste de la Syrie.
Que penser de l’arrêt des frappes russes?
Ziad Majed: Les Russes veulent sans doute éviter des combats acharnés avec les derniers combattants qui sont concentrés dans une toute petite partie de la ville, où sont encore présents des milliers de civils. Ils disent avoir arrêté leurs bombardements mais ceux du régime se poursuivent. Il y a même eu des attaques avec des barils de chlore cette nuit.
Des discussions ont eu lieu via la Turquie entre la Russie et des rebelles, semble-t-il pour organiser l’évacuation des combattants et de leurs familles. Des discussions ont aussi lieu entre Moscou et Washington. Mais elles n’ont pas abouti. D’autres négociations doivent se tenir samedi à Genève.
A quoi correspondent les couloirs humanitaires qu’évoque la Russie ?
Pour l’ONU, des couloirs humanitaires ne sont pas à sens unique: ils doivent permettre l’évacuation des blessés, mais aussi le ravitaillement de la population assiégée, la livraison de nourriture et de médicaments.
Pour Moscou et le régime syrien, il s’agit seulement de couloirs d’évacuation de la population. L’objectif est le même que dans les villes déjà reprises par le régime. Les vider de leurs habitants. Les citoyens de ce qui reste d’Alep-Est craignent de subir le même sort que ceux de Yarmouk, de Daraya, de Moadamyia et des quartiers repris aux insurgés à Homs. Ils ont été embarqués dans des bus et été envoyés vers la région d’Idleb, aux mains de l’opposition. Des dizaines de milliers de civils pourraient être évacués vers cette zone. Mais elle fait aussi l’objet de bombardements constants du régime depuis plusieurs années et ces derniers se sont intensifiés depuis l’intervention russe fin septembre 2015.
Quelle est la situation depuis la reprise de l’essentiel des zones rebelles?
Il est difficile d’avoir des informations exactes. Plusieurs témoignages font état d’arrestations d’hommes. Certains jeunes hommes sont placés dans des camps et seraient, pour ceux qui ne sont pas considérés comme des complices des rebelles, envoyés faire leur service militaire. De nombreuses rumeurs d’exécutions et de transferts d’hommes vers les prisons du régime circulent également.
Il est impossible, par ailleurs, de connaître le nombre exact de morts à Alep-Est, tant la situation est chaotique. Les photos et vidéos d’activistes montrent beaucoup de cadavres dans les rues. Mais il y en a peut-être beaucoup d’autres sous les gravats.
De son côté, le régime multiplie les vidéos de propagande montrant quelques individus saluant « leur libération ». Il s’agit sans doute de corriger l’image de villes reprises récemment après ce qui a été une politique de la terre brûlée. Les quartiers repris étaient complètement vidés de leur population et les maisons saccagées et de meubles volés. Des marchés d’objets volés étaient même mis en place dans certains quartiers de Homs et de Damas.