Alep: en France, les pro-Poutine à demi-mot Par Alain Auffray , Rachid Laïreche et Jonathan Bouchet-Petersen
Les candidats François Fillon, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ne se mouillent pas pour dénoncer les «crimes de guerre» dans les quartiers rebelles de la ville syrienne écrasés par le régime de Bachar al-Assad et ses alliés.
Fillon, Mélenchon, Le Pen : ces trois candidats à l’élection présidentielle ont en commun leur réticence, voire leur franche opposition, à la qualification de «crimes de guerre» pour désigner les massacres des populations civiles à Alep. Selon les sondages, ils réunissent sur leurs noms les deux tiers de l’électorat pour 2017.
François Fillon : «C’est la guerre»
En s’exprimant jeudi sur la situation en Syrie, François Fillon a mis fin à un long silence dont ses propres amis le pressaient de sortir. La polémique sur son projet pour l’assurance maladie l’avait mis à l’abri de questions trop insistantes. Mais alors que le déchaînement de violence sur les assiégés d’Alep atteint un paroxysme, l’ancien Premier ministre ne pouvait plus se taire. «Alep martyrisée. La realpolitik effacera-t-elle une fois encore les crimes de guerre ?» s’interrogeait mardi, sur Twitter, Alain Juppé, l’un des rares partisans à droite du «ni Al-Assad ni Daech» défendu par la diplomatie française.
Interrogé en octobre sur le sort réservé à la ville martyre par Bachar al-Assad et ses alliés russes, Fillon avait refusé de dénoncer des «crimes de guerre», expression utilisée par François Hollande à Berlin, lors du sommet du 19 octobre réunissant les dirigeants européens et Vladimir Poutine. «C’est la guerre», constatait l’ancien Premier ministre, soulignant que les crimes saoudiens au Yémen n’étaient pas moins condamnables. «C’est la guerre», a-t-il répété jeudi à Bruxelles, en marge d’une réunion des dirigeants des droites européennes. «L’indignation est nécessaire mais elle n’a jamais sauvé une vie», a-t-il ajouté. Pour «arrêter le massacre», il n’y aurait, selon lui, que «deux solutions». La première, qu’il écarte d’emblée, serait une intervention militaire conduite par les Américains, sur le modèle de la désastreuse guerre d’Irak. La seconde serait «une initiative puissante, européenne, diplomatique pour mettre autour de la table toutes les personnes qui peuvent arrêter ce conflit sans exclusive, et donc y compris ceux qui commettent des crimes aujourd’hui». On devine que la Russie de Poutine et la Syrie d’Al-Assad sont ces criminels invités «autour de la table». Mais Fillon prend bien soin de ne pas le préciser. «On ne peut pas continuer simplement à s’indigner. Les Européens ne sont pas responsables des crimes commis en Syrie, mais un jour, l’histoire dira qu’ils sont coupables de n’avoir rien fait pour les en empêcher»,conclut l’ancien Premier ministre.
Fillon reste donc fidèle à la doctrine qu’il défend depuis plus d’un an : dans la lutte contre «le totalitarisme islamique», «le réalisme»commande de faire front commun avec Moscou et l’armée syrienne gouvernementale. «A force de faire du départ d’Al-Assad notre priorité, nous avons laissé l’Etat islamique gagner du terrain et gâché l’opportunité de bâtir une véritable coalition internationale», écrivait en septembre le candidat à la primaire.
Pour la première fois, ce jeudi, Fillon a défendu sa position devant Angela Merkel. Il a vu la chancelière avant de s’exprimer publiquement en faveur d’une initiative européenne pour réunir «sans exclusive»«toutes les personnes qui peuvent arrêter ce conflit». Tout en réaffirmant donc qu’Al-Assad fait partie de la solution, Fillon insiste sur le caractère européen de l’initiative diplomatique qu’il défend. Plus question, donc, d’initiative franco-russe dans le dos des partenaires de l’UE, ce qui marque une évolution notable du candidat de la droite. Son représentant pour les affaires européennes, Bruno Le Maire, fraîchement promu ce jeudi, a rencontré le maire d’Alep ainsi que le haut représentant de l’«opposition syrienne», Riad Hijab. S’il se dit «bouleversé» par «les crimes de Bachar», Le Maire oppose à la «diplomatie du commentaire» une «diplomatie de l’action» qui impose de «discuter avec tout le monde».
Jean-Luc Mélenchon : «deux armées»
La Toile archive sans fin. Ces derniers jours, une vidéo est remontée à la surface sur les réseaux sociaux. Elle montre Jean-Luc Mélenchon sur le plateau de l’émission On n’est pas couché sur France 2. Nous sommes le samedi 20 février 2016. A la question «Est-ce que vous approuvez l’intervention de Poutine en Syrie ?» le candidat à la présidentielle répond sans hésiter : «Oui, je pense qu’il va régler le problème.» Depuis, Jean-Luc Mélenchon a rectifié le tir mais sans condamner Vladimir Poutine ou Bachar al-Assad. Son ennemi est ailleurs : «La guerre.» Selon lui, il s’agit d’une guerre «du pétrole et des gazoducs». Il n’y a donc pas les gentils d’un côté et les méchants de l’autre. La solution pour sortir du conflit ? Une résolution politique – via l’ONU – avec tous les acteurs autour de la table. Et les massacres à Alep ? Pour le Parti de gauche, «la nécessité d’éradiquer Daech et tous les groupes pratiquant la terreur ne peut justifier le massacre de populations civiles».
Jean-Luc Mélenchon s’est exprimé jeudi, sur son blog. Il a expliqué être «outré, indigné» par les événements en Syrie mais aussi au Yémen – où l’Arabie Saoudite s’est livrée à des bombardements massifs. Mais il a prévenu son monde. En Syrie, il s’agit d’une «guerre entre deux armées et non pas une armée contre des civils. Ceux qu’on qualifie sympathiquement de rebelles sont des combattants d’une armée qui se réclame de l’islamisme et qui tire chaque jour sur les forces gouvernementales». Le candidat à la présidentielle a ensuite posé deux questions en flirtant avec la théorie du complot : «L’intérêt de la France, c’est la paix. Comment y arriver ? Avec une coalition universelle pour éradiquer Daech. Mais est-ce qu’on veut vraiment en finir avec Daech ?»
Côté communistes, Olivier Dartigolles nuance : «Oui, la guerre est complexe car il y a des intérêts géostratégiques pétroliers. Oui l’ONU, comme l’Europe, est impuissante. Mais à Alep, le sang coulera à vie sur les tronches barbares de Bachar et Poutine. Et dans les consciences des cyniques et des complices.»
Marine Le Pen : «Bachar al-Assad, la meilleure solution»
La Russie de Poutine plutôt que les Etats-Unis (sauf ceux de Trump). L’Iran chiite plutôt que l’Arabie Saoudite sunnite. Bachar al-Assad plutôt que le chaos islamiste, le tout au nom des chrétiens d’Orient. On pourrait résumer ainsi les lignes de force de la politique étrangère lepéniste. Dans les grandes affaires du monde, la candidate du FN à la présidentielle a choisi son camp depuis longtemps. Notable, son silence sur les massacres de civils perpétrés à Alep par le régime syrien, appuyé de façon décisive par les avions de Poutine et des milices iraniennes, n’est dès lors pas étonnant. Dans la rhétorique frontiste, contre Damas il n’y a pas d’un côté les rebelles et de l’autre l’Etat islamique, il n’y a que des jihadistes qu’il s’agit indistinctement d’éliminer.
Pas question, surtout, de reconnaître les crimes de guerre d’Al-Assad, la présidente du FN et ses porte-voix se contentent de regretter «les horreurs de la guerre». Dès qu’elle en a l’occasion, Marine Le Pen préfère accuser la France d’avoir armé les islamistes et dénonce la responsabilité de l’Europe : «Vous avez tout fait pour faire tomber le gouvernement de la Syrie, en livrant ce pays à une terrible guerre civile. Vous vous défaussez aujourd’hui en accusant la Russie, qui lutte contre l’Etat islamique, mais, je vous le dis clairement, ceci ne cache pas votre responsabilité écrasante», a-t-elle ainsi lancé le 5 octobre devant le Parlement européen.
Ces derniers jours, les principaux leaders du Front ont martelé, tel Florian Philippot, qu’«Alep était infesté de jihadistes, des islamistes d’Al-Qaeda qui utilisent les civils comme boucliers humains». Même son de cloche mercredi dans la bouche de Marion Maréchal-Le Pen, une habituée des voyages à Moscou qui a un temps envisagé de se rendre à Damas avant de se raviser. «Face aux islamistes, Bachar al-Assad est la meilleure solution. Il n’a jamais attaqué la France, lui», a affirmé la députée du Vaucluse après avoir expliqué que «les 4 000 rebelles qui « résistent » sont des jihadistes qui utilisent […] des hôpitaux comme bases militaires».
Un homme pleure pendant l’évacuation de combattants rebelles et de leurs famille, le 15 décembre 2016 à Alep Photo KARAM AL-MASRI. AFP