« Alep : où sont passés nos intellectuels ? » – par Johan Hufnagel
Une ville encerclée et ravagée par les obus. Des civils pris pour cible. Des enfants qui meurent en masse. Des ruines dont l’ampleur nous font nous demander comment font les habitants pour survivre aux bombardements de toutes sortes. Des photos pour témoigner du calvaire. Une communauté internationale impuissante. Oui, cela vous rappelle le calvaire de Sarajevo. Ou de Grozny.
Alep–Sarajevo–Grozny. Il manque quelque chose pour accompagner cette bien triste litanie de choses vues, n’est ce pas ? Où sont donc passés nos grands intellectuels, d’habitude si prompts à servir de porte-voix à nos indignations ? Où sont ceux qui relayaient les appels à manifester devant les ambassades des pays responsables de ces massacres ? Pourquoi n’entendons nous pas leur colère ? On sait bien que la seule indignation ne sauvera pas Alep, mais elle est nécessaire pour s’offusquer des crimes de guerre, réclamer une no-fly zone, exiger la fin des frappes. Ces grandes figures que l’on n’a guère entendues quand les réfugiés sont venus, et viennent encore, se fracasser sur les côtes européennes, ont-elles l’indignation sélective ? Certains ont préféré tonner contre le burkini, donner des leçons de vivre ensemble. Passons. Sont-elles fatiguées de devoir énoncer les élémentaires rappels à nos valeurs d’humanité ? Ou les ont-ils oubliées avec les années ? Possible mais triste… Mais alors ne faut-il donc rien faire, nous habituer à regarder les images de cadavres et nous protéger de l’horreur répétitive par un vernis d’indifférence et d’«à-quoi-bonisme» ?
Comme le rappelait dans nos colonnes Jean-Marc Ayrault, ce silence est assourdissant. Tout autant que son aveu d’impuissance. Le ministre des Affaires étrangères a-t-il besoin d’une mobilisation citoyenne pour faire pression sur Moscou, problème et solution de ce conflit ? Demande-t-il un soutien populaire afin de montrer à Moscou que la France, solidaire des civils d’Alep, est prête au bras de fer, à taper sur les intérêts russes, à s’élever contre les partis politiques qui sapent la cohésion des nations tout en profitant de la crise des réfugiés poussés hors de chez eux par la politique russe en Syrie et interdire à ces mêmes partis de se financer en Russie ?
Si c’est le cas, il faut que des voix se lèvent parmi les politiques, les intellectuels et les citoyens pour soutenir les rares ONG (HRW, Amnesty International, Crisis Group…) qui cherchent des solutions immédiates à la guerre et brisent l’indifférence générale autour d’Alep. N’ajoutons pas du déshonneur et une fausse impuissance à la honte de nous être tus jusqu’à aujourd’hui.