«Antisionisme»: Macron dans les pas de Netanyahou

Article  •  Publié sur Souria Houria le 23 février 2019

Publié sur le site de Médiapart le 21 FÉVRIER 2019 PAR 

Pour lutter contre l’antisémitisme, le président menace aujourd’hui des rigueurs de la même loi les antisémites et les défenseurs des droits humains qui dénoncent la politique indéfendable de l’État d’Israël à l’égard des Palestiniens.

Emmanuel Macron croit-il vraiment, comme avant lui Manuel Valls, que « l’antisionisme est synonyme de l’antisémitisme » ou entretient-il cette coupable confusion pour d’obscures et désastreuses raisons politiciennes ?

Le cheminement sinueux, voire zigzagant, de ses déclarations et de ses décisions sur ce point, incite à se poser la question au moment où la multiplication des actes et des propos ouvertement haineux à l’encontre des Juifs exige une condamnation claire et sans appel de l’antisémitisme. Sous toutes ses formes.

En juillet 2017, devant le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, bizarrement convié à la commémoration du 75e anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv, il avait affirmé : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme. »

Peut-être destinée à gagner la sympathie de celui qu’il appelle alors « cher Bibi », et qui entretient depuis longtemps dans sa communication ce mensonge propagandiste, cette déclaration ajoute alors au trouble provoqué par la présence de Netanyahou à une cérémonie où il n’avait pas sa place.

L’État d’Israël, qu’il représentait, n’existait pas encore lorsque les policiers français ont arrêté, en juillet 1942, 13 000 Juifs français et étrangers dont 4 000 mineurs destinés à finir dans les camps d’extermination nazis. Et les Juifs déjà installés dans la Palestine mandataire étaient impuissants face au sort de leurs frères d’Europe.

De nombreuses voix s’étaient alors élevées pour dénoncer, comme Dominique Vidal dans son indispensable petit livre, une « erreur historique » doublée d’une « faute politique ».

Erreur historique car l’antisionisme a été et demeure la position de nombreux Juifs qui ne jugent pas que leur place est en Israël. Et qui ne peuvent pas pour autant être accusés d’antisémitisme.

Faute politique car le chef de l’État encourageait, par cette invitation, la politique d’occupation et de colonisation du premier ministre israélien, et de ses alliés et soutiens, à l’intérieur comme à l’étranger.

Emmanuel Macron avait-il avec le temps compris qu’il avait fait fausse route en assimilant l’antisionisme à l’antisémitisme ? On pouvait l’espérer mardi en l’entendant commenter une proposition de parlementaires qui souhaitaient instaurer la pénalisation de l’antisionisme pour faire face à la multiplication récente des actes antisémites. « Je ne pense pas, avait-il affirmé, lors d’une conférence de presse avec son homologue géorgienne Salomé Zourabichvili, que la pénalisation de l’antisionisme soit une bonne solution. »

Le lendemain, ces heureuses dispositions volaient en éclats lors du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). « L’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme », martelait Emmanuel Macron avant d’annoncer que la France allait mettre en œuvre « la définition de l’antisémitisme élargie à l’antisionisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste (IHRA) ». Définition qui a été notamment adoptée par Israël, à l’initiative de Benjamin Netanyahou, ce qui en dit long sur sa rigueur historique et sa neutralité politique.

Emmanuel Macron prononce un discours au dîner du CRIF, le 21 février. © MediapartEmmanuel Macron prononce un discours au dîner du CRIF, le 21 février. © Mediapart

Soyons clair. Il n’est pas question de nier ici que le discours antisioniste a pu être – peut encore être – utilisé comme bouclier par de véritables antisémites, pour se protéger de la loi. L’examen du fond, dans ces cas, montre le plus souvent très clairement ce que la forme cherchait à dissimuler.

À ce stratagème, qui au fond ne trompe personne, répond, de manière quasi symétrique, un procédé utilisé depuis des décennies par la communication du pouvoir israélien, qui consiste à peindre en antisémite quiconque critique ou dénonce la politique d’occupation et de colonisation de l’État juif, mais aussi la stratégie de domination du peuple palestinien par Israël.

Le procédé n’est pas original. Combien d’autocrates et de dictateurs sur la planète ont traité de staliniens ou de fascistes ceux qui dénonçaient leurs crimes ?

Ce qui complique tout, s’agissant de l’accusation d’antisionisme, c’est que la définition du mot est assez floue.

À l’origine, étaient considérés comme antisionistes ceux qui estimaient que la création d’un État ne permettrait pas de résoudre la question juive. On trouve aujourd’hui en Israël des citoyens juifs qui s’affirment antisionistes ou a-sionistes parce qu’ils s’opposent à une occupation de la terre des Palestiniens perpétuée au nom du sionisme. D’autres, tout aussi bons citoyens, se déclarent « post-sionistes » parce que la création de l’État, qui était l’objectif du sionisme, n’est plus un rêve depuis longtemps car Israël existe et s’est donné les moyens de protéger son existence.

On trouve dans nombre d’ONG, dont B’Tselem ou Breaking the Silence, laquelle réunit des soldats et des officiers résolus à documenter et dénoncer les crimes commis par l’armée contre les Palestiniens, des militants, qui sont parfois des juifs pieux, fiers d’être traités d’antisionistes par un régime d’extrême droite qu’ils jugent raciste.

On y croise enfin des gens comme Avraham Burg, ancien président de la Knesset, ancien président de l’organisation juive mondiale, pour qui « le sionisme est mort et ses agresseurs sont installés dans des fauteuils du gouvernement à Jérusalem ».

Le recours à l’accusation d’antisémitisme-antisionisme pour tenter de discréditer et délégitimer les voix critiques de l’actuelle politique israélienne est d’autant plus choquant, chez Netanyahou et ses partisans, en Israël comme à Paris, que le premier ministre israélien n’hésite pas, en cas de besoin diplomatique ou stratégique, à s’entendre avec de véritables antisémites.

C’est le cas de certains de ses partenaires « illibéraux » du « groupe de Visegrad », comme le premier ministre Viktor Orbán, capable de mobiliser le vieux fond antisémite du nationalisme hongrois pour combattre son ennemi, le financier américain George Soros, dont la fondation soutient les initiatives démocratiques.

Certes le soutien et l’exemple de ce « cher Bibi » et de ses amis sont précieux pour Emmanuel Macron, dans les moments difficiles qu’il traverse. Mais n’avait-il pas d’autre choix, pour lutter contre la résurgence de l’antisémitisme, que de copier une stratégie de communication aussi indécente ?

Ce faisant, il menace des rigueurs de la même loi les antisémites et les défenseurs de la légalité internationale et des droits humains qui entendent continuer à dénoncer la politique indéfendable, de l’État d’Israël à l’égard des Palestiniens.

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