Antoine COURBAN – A TRAVERS LE REGARD DE L’ACADEMICIEN …

Article  •  Publié sur Souria Houria le 1 juillet 2011
A l’heure où le libanais Amine Maalouf est admis à l’Académie Française au fauteuil prestigieux de Lévi Strauss, la société dont il est issu se débat dans le piège inextricable de ce que lui-même a appelé les « identités meurtrières ». A Paris, la reconnaissance de la valeur inestimable de l’esprit universel que la culture française a su incarner avec un bonheur rare. A Beyrouth, Damas, Alep, la même culture, la même éducation est instrumentalisée au bénéfice de sa propre antithèse : l’esprit de clocher, l’obsession identitaire qui empêche justement de voir au-delà de son propre nombril ou de l’enclos de son propre poulailler. Au-delà de l’horizon de cette fantasmatique identité collective, érigée en essence intemporelle, commence l’hostilité du vaste monde.

Les bouleversements que connaît le monde arabe illustrent, de manière saisissante, cette contradiction insurmontable qui semble agiter le fort intérieur des fameuses « minorités » qui, pour une large par d’entre elles, ont été imprégnées par la culture française. Les événements de Syrie mettent à nu plus d’une ambigüité, de non-dit, de présupposé inavoué, que cette francophonie levantine recèle.

Certes, il y a ceux qui ont parfaitement intégré les valeurs fondamentales de la modernité occidentale : le concept de sujet autonome, le citoyen, l’égalité de tous en droit et en dignité, la tolérance etc … Tel est le témoignage d’Amine Maalouf. Cela s’appelle « esprit universel » que Rivarol a loué avec bonheur dans son célèbre discours sur l’universalité de la langue française, laquelle à son époque était l’outil le mieux adapté pour dire et illustrer la quintessence de l’humanisme et de la culture.

Mais il y a ceux, et ils sont tristement nombreux au Levant, pour qui cette même culture ne représente rien d’autre qu’une manière de se singulariser par rapport à un environnement, au pire détesté, au mieux non-perçu et auquel ils ne s’identifient pas. Chez eux, aucune compréhension vis-à-vis d’un voisin ne peut s’envisager si ce dernier ne fait pas partie intégrante de leur enclos. Les réactions d’intellectuels, de prélats, de figures éminentes « minoritaires » de Syrie et du Liban sont instructives. Passons sur les outrances cacophoniques d’un Michel Aoun et de son fan-club, ce ne sont là que bruits d’entrailles d’un ego uniquement obsédé par la part du gâteau que ses puissants maîtres lui accorderont. Passons sur les propos maladroits et inopportuns du poète Adonis. Passons sur les gesticulations d’un prêtre du haut d’un balcon d’une ville syrienne, bénissant la foule et chantant les louanges du régime de Damas dont les exploits ressemblent à ceux d’un Milosevic.

Arrêtons-nous un instant sur l’exemple d’une religieuse très en vogue, Sœur Agnès-Mariam de la Croix. Cette moniale porte l’habit et le scapulaire des carmélites. Sa tête est uniquement recouverte d’une guimpe blanche sans voile de bure, ce qui la fait ressembler aux moniales byzantines d’autant plus que sa guimpe est brodée d’une croix grecque sur le front. Parfois, elle étend négligemment sur sa tête et ses épaules une sorte de voilure noire plus musulmane que chrétienne. D’origine syrienne probablement, elle se dépense sans compter en matière de pastorale, d’activités islamo-chrétiennes, de théologie, d’érudition syriaque. Sa page Facebook ne dit pas un mot sur les souffrances de ses concitoyens mais, au contraire, proclame son appui à la cause du Président Bachar el Assad. Elle aurait pu et aurait dû suivre l’exemple du Pape Chenouda III qui, malgré son appui personnel à l’ex-Président Moubarak, s’est interdit de commettre des maladresses oratoires en public.

 

Nous arrivons au cas troublant du Père Elias Zahlaoui qui signe une « Lettre ouverte d’un prêtre Arabe de Syrie » au ministre français Alain Juppé ( www.senpremiereligne.com ). Il use d’un français châtié, très « Ancien Régime », emphatique, érudit et guindé. Très actif dans le dialogue islamo-chrétien, l’auteur harangue sur un ton docte et quasi comminatoire, Alain Juppé et, à travers lui, l’Occident pour le complot ourdi par ce dernier contre la Syrie du Président Bachar el Assad. Pas un mot sur les revendications de la population, pas un mot à l’égard des souffrances des victimes, pas un frémissement de miséricorde face aux atteintes à la dignité de la personne humaine. Rien, uniquement une fielleuse philippique anti-occidentale et anti-israélienne primaire rappelant Alain Juppé à l’ordre en lui renvoyant, avec emphase et grandiloquence, la parole de Jean Paul II : « France, qu’as-tu fait de ton baptême ».

 

L’honneur fait à Amine Maalouf témoigne qu’il existe encore, dans ce Levant malade de lui-même, des gens en bonne santé psychique, indemnes de toute obsession identitaire meurtrière, amoureux de l’esprit universel, qui interagissent paisiblement avec la modernité et le monde et savent apprécier la valeur inestimable de l’humanisme. L’honneur fait à Amine Maalouf est aussi celui des hommes et des femmes libres du Levant qui ne perçoivent pas le monde à travers la lorgnette des orifices de leurs entrailles et qui ne conçoivent pas l’Occident comme étant, au pire celui des Croisades, au mieux celui de l’époque coloniale où les consuls régnaient en suzerains sur leurs cheptels respectifs des minoritaires du Padichah Ottoman.

 

Le caractère meurtrier des identités dont parle Amine Maalouf risque d’être mortel pour les minoritaires du Levant, non à cause d’un danger externe réel ou supposé, mais parce que la maladie identitaire mènera ces fossiles de l’histoire vers l’inéluctable suicide qui ne saurait tarder.

 

Antoine COURBAN
Rédigé et révisé en ce vendredi 24 juin 2011
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