Arrêtons la main de Poutine à Alep
Par intérêt ou par lâcheté, on passe sous silence la réalité de la guerre d’extermination qui se joue en Syrie.
Le 11 octobre, Vladimir Poutine a été contraint d’annoncer le report sine die de son déplacement à Paris au cours duquel il devait procéder à l’inauguration d’un «centre spirituel et culturel orthodoxe russe», quai Branly à Paris. Ce report faisait suite aux interrogations exprimées publiquement par François Hollande sur le sens de cette visite et sur la volonté des autorités françaises de limiter leur rencontre avec leurs homologues russes à une «visite de travail» centrée sur la Syrie.
Dans le contexte préélectoral français, marqué par la peur du terrorisme et la contestation du président sortant, ce bras de fer engagé avec la diplomatie russe a suscité en retour une offensive politico-médiatique majeure, orchestrée par les responsables politiques français connus pour leur proximité personnelle et/ou idéologique avec Vladimir Poutine, tant à droite (Marine Le Pen, François Fillon, Nicolas Sarkozy) qu’à gauche (Jean-Luc Mélenchon…). De nombreux médias leur ont emboîté le pas, dénonçant la position française au nom du «pragmatisme», de l’anti-atlantisme ou de la défense des intérêts économiques français en Russie.
Ce faisant, cet étrange attelage politico-médiatique a allègrement passé sous-silence la réalité de la guerre d’extermination entreprise à Alep. Par intérêt, par lâcheté ou par aveuglement, l’assassinat quotidien de centaines de civils syriens par les bombardiers russes n’est pour eux qu’un épisode parmi d’autres dans l’histoire de cet «Orient compliqué». Comme si les massacres perpétrés par Bachar al-Assad avec le soutien actif de Vladimir Poutine, dans un concert de réprobations courtoises, ne scellaient pas notre indignité aux yeux de l’humanité et ne menaçaient pas durablement la paix et la sécurité ici même en Europe.
Dans ce contexte, et tout en maintenant les critiques que plusieurs d’entre nous ont émises au sujet de la politique gouvernementale, à commencer par sa gestion trop restrictive et peu empreinte d’humanité du dossier des réfugiés, nous saluons les positions prises par la France sur le dossier syrien au cours des deux dernières semaines. Nous approuvons la décision de porter devant les Nations unies une résolution visant à mettre en place une zone d’exclusion aérienne sur Alep ; résolution à laquelle la Russie a une fois de plus opposé son veto. Nous saluons les déclarations tragiquement factuelles du ministre français des Affaires étrangères lorsqu’il proclame haut et fort que «des crimes de guerre sont commis à Alep» et qu’il faut «dégager des responsabilités» en faisant référence à la Cour pénale internationale.
Ces déclarations dénotent une inflexion qui ne saurait rester sans suite. Nous espérons que les audiences à l’Assemblée nationale et à l’Elysée de Raed al-Saleh, président des Casques blancs, et de Hagi Hasan Brita, président du Comité civil de la ville d’Alep, contribueront à intensifier la prise de conscience de l’exécutif français et à traduire en actes effectifs sa condamnation des crimes de Bachar al-Assad et de Vladimir Poutine en Syrie.
Nous appelons donc la diplomatie française à ne pas relâcher son effort et l’Union européenne à accroître la pression sur les autorités russes pour faire obstacle à la barbarie, renouant ainsi avec les valeurs de justice et de respect des droits humains sans lesquelles la paix et la sécurité en Europe demeureront de vaines paroles. Lundi 17 octobre, Federica Mogherini, la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, déclarait, à l’issue du sommet européen, que l’éventualité de sanctions contre la Russie en raison de son action en Syrie n’a pas été discutée car… «aucun Etat membre ne les a proposées». C’est là un signal clair qu’en France, comme ailleurs en Europe, la dénonciation des crimes de guerre poutiniens doit s’intensifier et que nous devons continuer de répondre par les actes et les faits aux thuriféraires de Poutine et aux porte-parole de sa propagande mortifère.
Tribune lancée à l’initiative de Michel Morzière, président d’honneur de Revivre, Gérard Lauton, Appel Solidarité Syrie et Frédéric Lesaffre, de Méditerranée heureuse.
Parmi les signataires :
Laurence Abeille (Députée EELV),
Zhour Adi Houzami (écrivaine),
Nadia Aissaoui (sociologue),
Aïcha Arnaout (poétesse),
Joseph Bahout (politiste, chercheur à Carnegie Endowment),
Julien Bayou (porte-parole EELV),
Karima Berger (écrivain),
Roland Biache (Solidarité Laïque),
François Burgat (politiste),
Sophie Cluzan (conservateur du patrimoine),
Dany Cohn-Bendit,
Alain Coulombel (secrétaire national adjoint d’EELV),
Jean Desessard (Sénateur EELV),
Eric Favey (Vice-Président de la Ligue de l’Enseignement),
Guy Flury (Témoignage Chrétien),
Mgr Jacques Gaillot (Évêque émérite de Partenia),
José Garçon (journaliste),
Frédérique Giffard (avocat),
Emilie Glasman (Revivre),
Viviane Glasman (médecin),
Raphaël Glucksmann,
Romain Goupil (cinéaste),
Marie-Geneviève Guesdon (conservateur de bibliothèque),
Jean-Claude Guillot (Ecole Polytechnique),
Isabelle Hausser (écrivain),
Nicolas Hénin (journaliste),
Nada Karami (galeriste),
Salam Kawakibi (Initiative pour une nouvelle Syrie),
Patrick Klugman (Adjoint à la Maire de Paris, en charge des relations internationales et de la Francophonie),
Bassma Kodmani (Directrice de Arab Reform Initiative),
Irène Labeyrie (architecte),
Jack Lang (Président de l’Institut du Monde Arabe),
Gérard Lauton (Appel Solidarité Syrie),
Frédéric Lesaffre (Méditerranée Heureuse),
Pierre Lory (universitaire, islamologue),
Elise Lowy (membre du bureau exécutif d’EELV déléguée aux relations internationales),
Ziad Majed (politiste),
René Major (médecin, psychanalyste, écrivain),
Monzer Makhous (Ambassadeur de la Coalition de l’opposition syrienne à Paris),
Farouk Mardam Bey (éditeur),
Michel Morzière (Président d’honneur de Revivre),
Tayara Najati (écrivain),
Caroline Ollivier-Yaniv (universitaire),
Marie Peltier (historienne),
Mao Peninou (adjoint à la Maire de Paris, conseiller du 19èmearrondissement),
Claire Poinsignon (journaliste),
Thomas Pierret (Senior Lecturer, Université d’Edinburgh),
Matthieu Rey (Chargé de recherche, IREMAM),
Rania Samara (professeure),
Nathalie Sayac (Université Paris-Est Créteil),
Leila Shahid (ancienne ambassadrice de la Palestine à l’Union Européenne),
Marie-Claude Slick (journaliste),
Béatrice Soulé (Une Vague Blanche pour la Syrie),
Chantal Talagrand (psychanalyste, écrivain),
Nicolas Tenzer (écrivain et professeur, directeur de la revue Le Banquet),
Leïla Vignal (universitaire, Université d’Oxford),
Emmanuel Wallon (Appel d’Avignon à la solidarité avec le peuple syrien),
Khaldoun Zreik (universitaire).