Durant un an, Bassma Kodmani a occupé le poste de porte-parole du Conseil national syrien. / Jean-Yves Lacote/GNO/Picturetank
Bassma Kodmani, réformiste syrienne – par Jean-Christophe Ploquin
Cette politologue franco-syrienne engagée en faveur de la démocratisation des pays arabes participe actuellement aux négociations de Genève sur la Syrie, comme membre de l’équipe de négociation de l’opposition syrienne.
À nouveau, des nuits sans sommeil, de longs conciliabules, des compromis fragiles… Bassma Kodmani a décidé de participer aux négociations visant à mettre un terme à la tragédie syrienne. Laïque, universitaire, vivant en France, elle fait partie de la délégation de l’opposition constituée en décembre 2015 à Riyad et qui participe à la session de Genève, qui a débuté samedi 30 janvier.
Sur le terrain, les groupes armés sont, certes, dominés par des milices islamistes. Mais cela ne trouble pas sa vision de la Syrie nouvelle. Elle assure que la population majoritairement sunnite du pays conserve un puissant désir de pluralisme et de diversité ethnique, religieuse, politique. Elle œuvre pour qu’un cadre institutionnel soit prêt, lorsque la fureur se sera apaisée.
« Les gentils chercheurs sont devenus parties prenantes de la révolution »
Naïve ? Le qualificatif ne colle assurément pas à cette politologue calme et déterminée. Bassma Kodmani est depuis trente ans une experte du monde arabe. Elle a soutenu sa thèse de doctorat sur la question palestinienne. Fin 2005, alors directrice d’un programme à la fondation Ford, au Caire, elle cofonde puis dirige l’Initiative de réforme arabe, un consortium d’instituts de recherche répartis dans plusieurs pays de la région. Initié par le think tank américain Council on Foreign Relations, cet organisme basé à Paris produit des études sur les enjeux de réformes et de transition démocratique.
« Quand nous l’avons créé, les systèmes politiques étaient calcifiés et George W. Bush poussait son agenda pro démocratie dans tout le Moyen-Orient,raconte-t-elle. Nous avons voulu apporter notre propre réponse à l’urgence de la démocratisation. »
Six ans plus tard, les bouleversements en Tunisie, en Égypte, au Yémen plongent le réseau dans l’euphorie. « Les gentils chercheurs sont devenus parties prenantes de la révolution, plaisante-t-elle. C’était le moment des choix historiques. Chacun a dû se définir : démocrate ou pas ? Laïque en dialogue ou éradicateur ? Libéral insensible ou redistributeur ? Ce monde arabe que nous observions, nous en étions soudainement acteurs. Il fallait s’engager. »
Un goût pour l’action politique
Bassma Kodmani se redécouvre alors Syrienne, attachée à un pays auquel son père avait tourné le dos. Jeté en prison puis licencié du ministère des affaires étrangères alors que le parti Baas régnait à Damas, cet ancien ambassadeur avait pris en 1968 le chemin de l’exil avec sa famille. Bassma et sa sœur, la journaliste Hala Kodmani, poursuivirent toute leur scolarité et leurs études supérieures en France, francophones et francophiles. Le monde et la langue arabes ne les ont jamais quittées, mais la terre natale restait lointaine.
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En mars 2011, les premières manifestations contre le régime de Bachar Al Assad commencent dans le pays. En août, Bassma Kodmani est à Istanbul lorsque se constitue le Conseil national syrien, première tentative de regroupement de l’opposition intérieure et extérieure. Elle accepte la fonction de porte-parole, qu’elle occupera un an. « Je n’ai pas hésité une seconde », explique-t-elle. Son goût pour l’action politique la tire, ainsi que ses convictions démocratiques. « J’éprouvais aussi comme un sentiment maternel, glisse-t-elle. J’ai trois garçons. Les jeunes qui se révoltaient avaient leur âge, ils portaient un espoir. Il fallait leur parler, les entendre, les guider. »
Conceptualiser les enjeux de demain
Bientôt cinq ans plus tard, le conflit a fait 260 000 morts et déraciné la moitié de la population. Le pays est morcelé en territoires contrôlés par des milices et sillonné de combattants étrangers. Mais des conseils locaux se sont aussi formés au sein desquels des communautés se prennent en main. L’information circule, se jouant des enclaves, et un esprit de résistance à l’hostilité, à la douleur, à la dureté des temps fédère de chaque côté la résilience.
La Syrie au temps de la dictature avait une apparence unifiée mais le régime bloquait les relations sociales, contraignait au repli sur la famille. La fragmentation infligée par la guerre nourrit paradoxalement le souvenir des temps fondateurs, lorsque les pères de l’indépendance avaient arraché l’unité et l’indépendance à la France, puissance mandataire. En tout cas, c’est ce que Bassma Kodmani perçoit, grâce aux nombreux liens que ses réseaux entretiennent avec les militants sur le terrain.
Depuis Paris, la politologue met en perspective les tragiques évolutions et conceptualise les enjeux de demain. Lorsque le déchaînement des passions se sera épuisé, il faudra négocier un statut du citoyen, un nouveau contrat social. « Oui, c’est du Rousseau », sourit-elle.