Charif Rifai – Damas, Printemps 2011 6. L’horizon

Article  •  Publié sur Souria Houria le 11 mai 2011

Des syriens réalisent aujourd’hui qu’ils ne veulent pas réellement le changement, du moins, ils n’y croient pas, ont peur ou ne sont pas capables d’en payer le prix. D’autres découvrent en eux une maturité qu’ils ne soupçonnaient même pas l’existence, ils se sentent envahis d’une inexplicable euphorie qui rend tout possible. Parmi eux il y a ceux qui désirent le changement, et mettront tout leur courage pour en esquisser les contours ; il y également ceux qui hésitent encore, se perdent dans les détails et se font surpasser par les informations contradictoires. Cependant, un clivage au sein de la société syrienne se profile avec une clarté inquiétante. C’est cela aussi une révolution : mettre chacun devant des choix sciants, tranchants et limpides.

Ainsi, le syrien se découvre et redécouvre son prochain d’un œil neuf.

Des amitiés se défont, d’autres se créent, se solidifient. Des courants traversent la société en long et en large. Des gens qui ne se sont jamais rencontrés discernent des affinités profondes les uns chez lez autres. On se réunit désormais autour d’une idée, et c’est une nouveauté. On défend le pouvoir ou on l’attaque de plus en plus ouvertement, les timides des deux camps ont une posture inconfortable. Les camps se décomposent, se recomposent, pas forcément là où on le pensait, et chacun choisit sa vérité. Il y en a ceux qui suivent la télévision syrienne, d’autres adoptent Aljazerra comme référence véridique, chacun choisit sa vedette, sa nouvelle star partisane de la révolution ou du complot.

Dans les réseaux sociaux on se bat par vidéos interposés, par articles postés. Ce que vous diffusez reflète où vous êtes et de quel côté vous êtes. Sur facebook, Les moualoun (les partisans) cèdent leurs propres photos pour celle de Bachar -Étrange ! Un président doit refléter notre image pas le contraire !- d’autres, plus nuancés, brandissent le drapeau syrien en guise d’identification- Étrange aussi ! Depuis quand ce drapeau ne fait pas l’unanimité pour l’afficher en défi ? Difficile d’être au milieu, d’ailleurs le milieu a-t-il une place ?

Si Freud était vivant, il serait heureux de vérifier sa psychanalyse à grande échelle, son complexe d’Œdipe refait surface avec cependant une nuance : ce n’est pas le fils qui tue le père, c’est plutôt le père qui procède à un suicide médiatique tout seul. Ainsi, les syriens de débarrassent de certains repères, de certains idoles/fondateurs. Dureid Laham ne fait plus unanimité. Difficile de mettre sur le même piédestal l’écrivain espagnol Juan Goytisolo qui a refusé un prix littéraire de 150000 euro puisqu’il s’agit d’un prix octroyé par Kadhafi, avec l’acteur syrien qui a accepté, en guise de cadeau, une somptueuse villa de ce dernier et qui a des positions tranchées et vulgairement exprimées vis-à-vis de l’actualité syrienne.

Ici et là on dénonce la compromission de quelques artistes, le silence de quelques intellectuels, les demis mots d’autres, Adonis n’est plus vraiment Adonis, ses critiques qualifiées de courageuses hier sont devenu tièdes aujourd’hui surtout lorsqu’elles se sont arrêtée à la porte de la Mosquée !

De part et d’autre, les symboles changent de public, et l’éventail est large. Chavez qui fut jusqu’hier adulé pour ses positions anti- américaines, est hué pour ses position pro- syriennes. Le hezbollah avec ses portraits de Hassan Nasr Allah, héros en 2006 est en perte de vitesse.

De l’autre côté de la barrière (ah mon Dieu, il y a déjà un autre côté de la barrière) l’Émir de Qatar devient une cible. On passe ses photos serrant la main de Tzépi Lévny, on se souvient soudain, qu’il y a chez lui des bases américaines. La télévision officielle syrienne qui a arrêté sa propre diffusion et s’est volontairement reliée à la chaîne aljazeera le jour de la chute de Moubarak, n’a de cesse de s’attaquer à ses journalistes et ses experts ; Azmi Bichara, l’ami d’antan est passé ennemi numéro 1 de tous les citoyens honnêtes !!!

La guerre n’aura pas lieu, elle est déjà là disent les pessimistes. Les optimistes des deux camps veulent croire chacun en sa victoire. Les deux camps ont leurs antagonistes, manifestants pour la liberté contre les forces de la terreur d’une part ; armée du peuple contre comploteurs et salafistes de l’autre… Les deux s’accordent à dire que le peuple syrien est un grand peuple mais chacun l’ampute d’une partie pour que ce grand peuple colle à l’image du timbre postale. Grand ? Oui, sûrement, absolument mais ni plus grand ni moins grand que n’importe quel autre peuple. Pas plus grand ni moins grand que le peuple palestinien dont ses deux gouvernements pour un non pays viennent de se réconcilier après plusieurs années de nullité politique. Pas plus grand ni moins grand non plus que le peuple irakien qui a chaviré entre embargo et sanction, entre occupation et destruction de civilisation, de mosquées, de husseinias et d’église… On peut multiplier les exemples démontrant que la grandeur n’est jamais suffisante pour enrayer les divers dangers qui guettent un peuple fut-il grand ou non surtout lorsqu’il avance sans repères.

La Syrie a grand besoin aujourd’hui d’une vision d’avenir, une vision qui laissent les généralités de côté et rentrent dans les détails de ce qui préoccupe chaque syrien quel qu’il soit. Ni le sécuritaire du régime, son mutisme et sa fausse assurance, ni les déclarations enthousiastes qui se contentent depuis des décennies de critiquer sans apporter une proposition concrète, ne peuvent suffire pour ouvrir un peu plus les perspectives de demain.

Une certitude : L’horizon est aujourd’hui obstrué