Comment Bachar Al-Assad reprend la main en Syrie – Par Christophe Ayad

Article  •  Publié sur Souria Houria le 22 mai 2013

Des Syriens dans les ruines de Qoussair samedi 18 mai (images amateur).

Sur les fronts militaire comme diplomatique, le président syrien Bachar Al-Assad a tout lieu de se réjouir. Après plusieurs semaines d’offensive, son armée, appuyée par plusieurs milliers de combattants chiites du Hezbollah libanais, était en passe de reprendre, dimanche 19 mai, la localité frontalière de Qoussair, aux mains de la rébellion armée depuis plusieurs mois.

Pendant ce temps, Moscou, parrain de la Syrie sur la scène diplomatique internationale et son principal fournisseur d’armes, s’active en vue de la conférence internationale annoncée conjointement avec Washington. La date et le format de ce sommet ne sont pas encore arrêtés mais, en plaçant le régime et l’opposition sur un plan d’égalité, il annonce une forme de renoncement des Occidentaux à obtenir le départ de Bachar Al-Assad, du moins à relativement court terme.

  • Des succès militaires pour Damas

Le travail de restructuration de l’armée syrienne mené par l’Iran porte ses fruits. Encadrée et conseillée par des instructeurs iraniens, approvisionnée en armes à flux tendu par la Russie, elle s’est lancée depuis deux mois dans une grande offensive dont la logique apparaît de plus en plus clairement : dégager et sécuriser une épine dorsale du « pays utile  » allant de Damas à Lattaquié, sur la côte méditerranéenne. Cet axe relie la capitale au pays alaouite, principal fief d’un régime qui a joué à fond la carte du confessionnalisme depuis le début des troubles. Dans cette perspective, le contrôle de Qoussair et d’Homs, qui tiennent la place de charnières, est vital.

Soucieux de préserver la bande côtière et la chaîne montagneuse de toute intrusion rebelle, le régime a commis, les 2 et 3 mai, deux massacres d’une violence inouïe sur des villageois sunnites à Baniyas, Bayda et Ras Al-Naba (100 à 400 morts, selon les estimations). La faible réaction internationale, comparée au massacre de Houla – pourtant de moindre ampleur – en mai 2012, a été interprétée par le régime comme une forme d’acquiescement.

A Damas, le régime a desserré l’étau en reprenant Otaïba, une localité qui commande l’accès à la plaine agricole de la Ghouta, un axe de pénétration privilégié des combattants rebelles dans la capitale. Plus au sud, il a repris le nœud de Khirbet Ghazaleh, qui commande l’accès à la frontière jordanienne, où les rebelles peinent à établir une zone libérée pérenne.

Pour le moment et probablement pour longtemps, le régime a fait une croix sur le nord et l’est du pays. Malgré leur situation désespérée, les derniers carrés de loyalistes combattent farouchement. On l’a vu dans la province de Rakka, où il a fallu plusieurs semaines aux rebelles pour prendre les dernières bases militaires, ou encore à Deir ez-Zor, où le pont suspendu sur l’Euphrate a été volontairement détruit. On le voit toujours à Alep, où les positions gouvernementales tombent au compte-gouttes – la prison centrale est la cible du moment –, prolongeant le conflit et détruisant encore un peu plus la ville.

  • Une opposition en perte de vitesse

La multiplication des vidéos attestant d’exactions des forces rebelles pèse lourdement sur l’opposition syrienne, dont les appels à une intervention armée internationale de protection des civils – ou au minimum à des livraisons d’armes – sont de moins en moins entendus. A l’évidence, la Coalition nationale syrienne (CNS), mise sur pied à Doha en novembre 2012, n’est pas parvenue à fédérer les groupes armés sous la tutelle de l’Armée syrienne libre (ASL) et de son chef d’état-major, Salim Idriss.

Au contraire, la moitié des groupes actifs sur le terrain est hors de l’ASL. Il s’agit essentiellement du Front Al-Nosra, qui a prêté dernièrement allégeance à Al-Qaida, au grand dam des autres forces rebelles, du Front islamique syrien (Ahrar Al-Cham). Quant au Front islamique de libération de la Syrie, qui regroupe une vingtaine de grandes factions (dont les brigades Al-Farouk, Liwa Al-Tawhid, Liwa Al-Islam), il ne reconnaît que formellement l’autorité de l’ASL.

La Coalition n’est pas plus parvenue à concentrer toute l’aide humanitaire entre ses mains, ni à instituer une administration efficiente dans des zones libérées. « La Coalition a raté le test de Rakka », déplore un diplomate en parlant du premier chef-lieu de province libéré par la rébellion. Raté est un euphémisme : le Front Al-Nosra a organisé, le 14 mai, l’exécution publique de trois officiers alaouites en représailles… aux massacres de Baniyas, à 300 km de là. Un acte de barbarie qui a révolté une partie de la population de la ville.

Tout comme l’affaire récente du rebelle se livrant à un acte de cannibalisme sur le cadavre d’un soldat gouvernemental dans la région d’Homs a gravement entaché l’image de la rébellion. Peu importe si l’incident est isolé et n’a rien à envier à la cruauté quotidienne du pouvoir depuis plus de deux ans…

Au plan politique, la Coalition, à nouveau dominée par les Frères musulmans depuis la démission de son président Moaz Al-Khatib, reste paralysée, minée par les rivalités de personnes et les divergences de stratégie. La nomination d’un « premier ministre », Ghassan Hitto, ne s’est pas traduite par une plus grande efficacité, ni une meilleure visibilité à l’intérieur de la Syrie.

  • Pression diplomatique en baisse

La France et le Royaume-Uni, qui plaidaient en mars pour une levée accélérée de l’embargo sur les armes, semblent avoir renoncé à obtenir un consensus sur la question, à l’échéance du conseil européen des 27 et 28 mai. Et Paris ne menace plus de faire cavalier seul sur l’armement des rebelles, préférant se placer dans le sillage américain, nettement plus prudent.

L’annonce d’une conférence internationale, depuis Moscou, par le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, consacre une certaine marginalisation de la France, qui avait fait du départ de Bachar Al-Assad une priorité et un préalable à toute solution politique. Même si l’on explique aujourd’hui à Paris avoir été à l’origine de cette initiative née de la rencontre entre MM. Poutine et Hollande, le 28 février à Moscou.

Il faut se rendre à l’évidence : il n’y a pas de solution militaire, le régime syrien ne s’est pas effrité et ses alliés défendent ses intérêts pied à pied. L’isolement international de Damas semble même reculer : la dernière résolution – non contraignante – de l’Assemblée générale de l’ONU condamnant le régime a été adoptée avec nettement moins de voix que celle en 2012. La dynamique n’est plus du côté des rebelles.

Au contraire, Damas teste régulièrement, par des provocations calculées – sur les armes chimiques mais aussi par des attentats en Turquie –, sa marge de manœuvre. Après près de 100 000 morts, Bachar Al-Assad peut aujourd’hui se permettre de déclarer, comme il l’a fait samedi au journal argentin Clarin : « Démissionner, c’est fuir », renvoyant la question de son avenir à l’élection présidentielle prévue en 2014.

source: http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/05/20/syrie-bachar-al-assad-reprend-la-main_3379005_3218.html