Comment se présente le nouveau gouvernement en Syrie ? par Ignace Leverrier
Eléments de contexte
La mise en place en Syrie d’un nouveau gouvernement, dont la composition longtemps attendue a été dévoilée le 23 juin 2012, devait constituer une nouvelle étape du processus de réforme politique annoncé et piloté par Bachar Al Assad. Ce processus avait été initié, le 4 août 2011, par la promulgation d’une Loi sur les formations politiques qui accordait enfin un cadre légal à la création et offrait une protection à l’activité de nouveaux partis. Il avait été poursuivi, le 26 février 2012, par l’adoption par référendum d’une nouvelle constitution plus égalitaire que celle de 1973, qui ne réservait plus à un parti déterminé le droit de diriger l’Etat et la société. Il avait connu un nouveau développement, le 7 mai, lors de la tenue d’élections législatives, ouvertes non seulement aux candidats indépendants, ce qui est le cas en Syrie depuis 1990, mais surtout à des partis politiques n’appartenant pas au Front National Progressiste.
Première concession à un mouvement de revendication qu’il refusait de considérer comme une « révolution » pour y voir une « entreprise terroriste dirigée depuis l’extérieur », ce processus traduisait une « philosophie politique » différente de celle qui prévalait jusqu’alors dans l’esprit des responsables. Durant des décennies, la monopolisation du pouvoir avait reposé sur une division claire de la scène politique. Il y avait d’un côté les dirigeants en place, seule autorité légitime, dont les alliés devaient faire montre d’une allégeance sans faille. Il y avait en face les ennemis, une catégorie fourre-tout englobant, quels que soient les moyens utilisés par eux, les individus, les partis et les groupes qui rejetaient le principe d’un parti unique et qui refusaient de se placer sous son joug. Désormais, le régime paraissait reconnaître l’existence d’une troisième catégorie, l’opposition, même si, dans sa pratique et son discours, il précisait aussitôt que seule méritait d’être reconnue comme telle « l’opposition de l’intérieur« . Faisant comme à son habitude de son comportement l’unique critère d’évaluation, lui qui avait offert un asile non désintéressé aux opposants de la majorité des pays arabes, de l’Irak à la Mauritanie, en passant par l’Arabie saoudite, le Yémen, le Soudan et la Somalie, il considérait que, forcément manipulés par ceux qui leur donnaient abri, « l’opposition extérieure » en général et les Frères Musulmans en particulier servaient des intérêts étrangers et étaient disqualifiés.
Lors de sa promulgation, la nouvelle loi sur les partis politiques n’avait pas suscité l’enthousiasme populaire. D’une part, les Syriens descendus dans les rues pour réclamer liberté, justice et dignité, attendaient moins du régime qu’il leur fasse la générosité de nouveaux textes concoctés par ses fidèles pour servir ses intérêts, que d’être enfin associés en tant que citoyens et par le biais de véritables représentants à la rédaction des lois. D’autre part, au milieu de l’été 2011, la priorité n’était plus au cadre législatif d’une réforme politique à laquelle les révolutionnaires, échaudés par plusieurs initiatives aussitôt vidées de sens et par des promesses présidentielles jamais tenues, ne croyaient déjà plus. Ils réclamaient en préalable à toute réforme le retrait des villes des militaires et de leurs blindés, le contrôle des agissements des moukhabarat et des chabbiha et l’arrêt immédiat des massacres.
Avec l’approbation de près de 90 % des votants, le référendum auquel les Syriens avaient été convoqués quelques mois plus tard, le 26 février, pour se prononcer sur un projet de nouvelle Constitution avait été présenté par les autorités syriennes comme une immense victoire. Il n’y a pas lieu de mettre ce chiffre officiel en doute. Mais il ne faut pas se leurrer pour autant sur sa signification : les Syriens ne se rendent aux urnes que lorsqu’ils ont l’intention de répondre favorablement ou qu’ils souhaitent apporter leur soutien au régime. Dans le cas contraire, ils restent prudemment chez eux, préparant les excuses qu’ils pourraient avoir à fournir à leur chef, leur directeur ou leur patron. En revanche, on ne peut que douter du chiffre de la participation – près de 60 % des électeurs – annoncé par le ministre de l’Intérieur, qui reflète surtout le déni de la réalité qui prévaut à la tête du pouvoir. Plusieurs villes d’importance ayant été tenues à l’écart du vote par l’insécurité qui y régnait alors, un tel score signifierait que, dans certains endroits, la participation aurait atteint les 80 % ! On en rêve dans les démocraties…
Quelle qu’ait été la participation, encore une fois sujette à débat, les législatives du mois de mai n’ont pas donné les résultats escomptés en terme d’ouverture. Alléchés par l’opportunité qui paraissait s’offrir à eux de disposer de représentants à l’Assemblée du Peuple, quelques mois et parfois quelques semaines à peine après leur création, la plupart des nouveaux partis autorisés avaient élaboré des listes de candidats. Mais ils n’ont pas tardé à déchanter et, constatant la totale fermeture d’un jeu qu’on leur avait fait croire ouvert, ils ont annoncé, avant la date du scrutin, qu’ils renonçaient à concourir dans ces conditions.
Ceux qui ont persévéré, s’efforçant de croire contre toute espérance, n’ont pas été récompensés. La promulgation des résultats a montré que, si l’ouverture faisait désormais partie du discours politique, elle n’était pas encore entrée dans les mœurs du parti Baath, et que celui-ci, privé de ses prérogatives par la nouvelle Constitution, entendait bien récupérer dans les urnes ce qui lui avait été enlevé sans qu’il ait eu son mot à dire. Son secrétaire régional adjoint, Mohammed Saïd Bakhitan, l’avait laissé entendre dès le 31 mai 2011, lorsqu’il avait déclaré que, « si l’opposition veut supprimer l’article 8 de la Constitution, elle n’a qu’à gagner les élections. Elle aura alors la majorité et elle fera ce qu’elle voudra »… Or, comme l’échéance du 7 mai 2012 l’a démontré par l’absurde, une telle éventualité était tout simplement impossible. Elle se heurterait – et elle s’est effectivement heurtée – non seulement aurefus assumé de l’ex-parti dirigeant de renoncer à son hégémonie, mais également au silence hypocrite des dirigeants qui ont laissé le parti qu’ils sont censés contrôler contredire leurs nobles intentions et qui ne sont intervenus que pour sauver la mise de leurs alliés les plus utiles, les hommes d’affaires, dont ils ont plus que jamais besoin pour faire marcher une économie désormais vacillante.
Mise en place du nouveau gouvernement
Selon des sources bien informées du quotidien Al Khalij, si le régime avait renoncé, le 23 avril 2012, à remanier le gouvernement d’Adel Safar qui n’avait pas donné satisfaction, c’est parce qu’il entendait le remplacer « au lendemain des législatives, par un gouvernement élargi qui comprendrait des opposants et des jeunes et qui reflèterait le résultat des élections« . Mais, bien que ces résultats aient davantage confirmé la mainmise du Baath sur l’Assemblée du Peuple qu’elles n’ont reflété les aspirations au changement de la population, les choses se sont révélées plus compliquées que prévues. Il aura fallu un mois au chef de l’Etat pour choisir le nouveau Premier ministre (6 juin 2012), et deux semaines supplémentaires pour annoncer la composition du nouveau gouvernement (23 juin 2012).
La liste protocolaire se présente ainsi (en caractères gras les ministres du gouvernement sortant, en gras et italique les ministres ayant changé d’attribution) :
1. Dr Riyad HIJAB
(Premier ministre, ex Agriculture)
2. Gal Dawoud RAJIHA
(vice-PM + Défense)
3. Walid AL MOALLEM
(vice-PM + Affaires étrangères et Emigrés)
4. Ing. Omar Ibrahim GHALAWANJI
(vice-PM pour les Services + Administration locale)
5. Dr Qadri JAMIL
(vice-PM affaires économiques, Commerce extérieur, Protection consommateurs)
6. Dr Imad Abdel-Ghani AL SABOUNI
(Communications et Technologie)
7. Dr Mohammed Abdel-Sattar AL SAYYED
(Awqafs)
8. Mansour Fadlallah AZZAM
(Affaires de la Présidence)
9.Dr Radwan HABIB
(Justice, ex Affaires sociales et Travail)
10. Gal Mohammed Ibrahim AL CHAAR
(Intérieur)
11. Dr Mohammed AL JOULAYLATI
(Finances)
12. Dr Wa’el Nader AL HALQI
(Santé)
13. Ing. Hala Mohammed AL NASER
(Tourisme, ex Habitat)
14. Ing. Imad Mohammed Dib KHAMIS
(Electricité)
15. Ing. Bassam HANNA
(Ressources hydrauliques)
16. Ing. Soubhi Ahmed AL ABDALLAH
(Agriculture et Réforme agraire)
17. Dr Mohammed Yahya MOALLA
(Enseignement supérieur)
18. Dr Hazwan AL WIZZ
(Education)
19. Dr Mozaffer Zafer MOHABBAK
(Economie et Commerce extérieur)
20. Dr Fouad Choukri KURDI
(Industrie)
21. Dr Mahmoud Ibrahim SAÏD
(Transport)
22. Dr Safwan AL ASSAF
(Habitat et Développement urbain)
23. Ing. Yaser AL SIBA’I
(Travaux publics)
24. Ing. Saïd Mou’adhi HOUNAYDI
(Pétrole et Richesses minières)
25. Dr Loubana MOUCHAWWAH
(Culture)
26. Dr Jasem Mohammed ZAKARIYA
(Affaires sociales et Travail)
27. Omran ‘Ahed AL ZOBI
( Information)
28. Dr Ali HAYDAR
(Ministre d’Etat pour la Réconciliation nationale)
29. Dr Nazira Farah SARKIS
(Ministre d’Etat pour l’Environnement)
30. Ing. Huseïn Mahmoud FARZAT
(ME / Projets vitaux et Commission Contrats et Coûts)
31. Joseph Georgi SOUEÏD
(ME / Croissant rouge et Commission Droit de la Mer)
32. Mohammed Turki AL SAYYED
(ME / Affaires de l’Assemblée du Peuple)
33. Najmeddin KHIRRIT
(ME / Projets Développement du Nord-est)
34. Abdallah Khalil HUSEÏN
(ME / Développement administratif)
35. Jamal Chaaban CHAHIN
(ME / Investissements et Développement de la Région sud)
Pour faire patienter les Syriens, qui s’étonnaient de ce délai, la presse officielle a longuement développé l’idée que le pouvoir était en quête de la perle rare. Elle devait être capable tout à la fois de conduire les réformes annoncées par le chef de l’Etat dans le contexte particulier créé par l’imposition à la Syrie de sanctions économiques, et, personnalité elle-même au-dessus de tout soupçon, d’améliorer les conditions économiques et de lutter contre la corruption qui restaient les demandes prioritaires de la population. A cette date, Bachar Al Assad n’avait pas encore déclaré que son pays était « en état de guerre ».
Riyad Hijab ayant été choisi, les mêmes médias ont expliqué l’accouchement difficile du gouvernement par le fait que le Premier ministre désigné avait exigé et obtenu contrairement à ses prédécesseurs, dont la voix était faiblement entendue lors des tractations entre décideurs… dont ils ne faisaient pas partie, de « consulter et (de) choisir lui-même » les membres de son équipe. Certes l’intéressé siège parmi les instances du parti au pouvoir, ayant intégré, lors du 10ème congrès de juin 2005, son Comité central. Mais on n’en laissera pas moins à ces médias la responsabilité d’une telle affirmation, aucun Premier ministre, y compris une personnalité aussi puissante en son temps qu’Abdel-Raouf Al Kasm (Premier ministre de janvier 1980 à novembre 1987, puis chef du bureau de la Sécurité nationale au Commandement régional du parti Baath de 1987 à 2000), n’ayant été en mesure d’imposer à ses pairs, sous Hafez comme sous Bachar Al Assad, ses désidératas en la matière.
Analyse du gouvernement
La seule originalité de ce gouvernement, unique concession du régime à plus de 15 mois de contestation de sa légitimité par une partie de la population, est de comprendre parmi ses membres, pour la première fois dans l’histoire de la Syrie baathiste, des ministres appartenant à « l’opposition de l’intérieure ». Ayant démontré, lors de la campagne électorale et dès leur accession à l’Assemblée du Peuple que s’ils parlaient haut ils savaient aussi avaler des couleuvres et courber bas l’échine, deux représentants de cette opposition, le communiste Qadri Jamil et le nationaliste syrien Ali Haydar, siègent désormais à côté de ministres baathistes, de représentants des divers partis du Front National Progressiste et d’indépendants.
La nouvelle équipe est forte de 35 personnes, Premier ministre compris, ce qui constitue en Syrie une moyenne. Elle compte 20 nouveaux visages. Elle montre donc un pourcentage de renouvellement plus important que celui du gouvernement d’Adel Safar, qui avait conservé dans son équipe 17 des 31 ministres de son prédécesseur Mohammed Naji Otri. Parmi les 15 ministres membres du gouvernement sortant, 12 conservent le même maroquin, dont 3 (Dawoud Al Rajiha, Défense, Walid Al Moallem, Affaires étrangères, et Omar Ibrahim Ghalawanji, Administration locale) sont également promus à la fonction honorifique de vice-Premier ministre. Les 3 derniers sont nommés soit à la tête du gouvernement (Riyad Hijab), soit à la direction d’un autre ministère (Radwan Habib, passé des Affaires sociales et du Travail à la Justice, et Hala Mohammed Al Naser, mutée de l’Habitat au Tourisme).
La liste protocolaire est conforme à l’usage. Elle regroupe en tête les 4 vice-Premiers ministres, une catégorie absente de l’équipe ministérielle d’Adel Safar, parmi lesquels figurent 3 membres du gouvernement sortant et un ministre entrant. Cette promotion permet de placer discrètement un militaire, le général Dawoud Al Rajiha, ministre de la Défense depuis moins d’un an (8 août 2011), avant les civils plus anciens, en l’occurrence ses collègues des Affaires étrangères, Walid Al Moallem (membre du gouvernement depuis 2006), et de l’Administration locale, Omar Ibrahim Ghalawanji (entré au gouvernement comme ministre de l’Habitat et de la Construction en 2009). Le quatrième vice-Premier ministre, Qadri Jamil, est à sa place dans une liste qui accorde toujours la priorité aux anciens sur les nouveaux. C’est cette règle qui justifie le positionnement de tous les ministres précédemment en exercice dans la première moitié du tableau.
En revanche, s’agissant des nouveaux ministres, la règle observée, elle aussi traditionnelle, est la suivante : apparaissent en premier les ministres baathistes ; ils sont suivis des ministres appartenant au FNP, s’il s’en trouve ; viennentensuite les indépendants ; enfin, nouveauté induite par la modification de la « philosophie politique », pourront être mentionnés le ou les ministres de « l’opposition intérieure ». Tout en fin de tableau figurent les ministres d’Etat, qui sont de deux sortes : les uns ont la responsabilité d’un portefeuille précis ; les autres doivent attendre, avant de connaître leur champ de compétence, le décret du chef du gouvernement qui leur confiera – cela a été fait le 27 juin – le ou les dossiers qu’ils auront à gérer sous son autorité. Sauf cas exceptionnel, les ministres d’Etat, qu’on qualifierait ailleurs de secrétaires d’Etat, appartiennent toujours à l’un ou l’autre des partis du Front National Progressiste. Comme les sièges de députés à l’Assemblée du Peuple, il s’agit de fonctions sans grandes prérogatives, destinées à remercier – d’aucuns diraient dédommager… – ces alliés fidèles. La cote d’amour de chaque parti du FNP se mesure à un moment donné au nombre des postes honorifiques ainsi octroyés.
Proposés par les partis auxquels ils appartiennent, ces ministres d’Etat sont souvent de parfaits inconnus. Ainsi, lors de la diffusion par SANA de la liste et de la biographie du gouvernement Riyad Hijab, l’Agence officielle de presse s’est trouvée dans l’incapacité de fournir une simple photo de 7 d’entre eux et de donner sur l’origine et le parcours professionnel de 4 ministres d’Etat autre chose que leur date de naissance et le nombre de leurs enfants… Le problème est que, pour la plupart, ils ne sont pas davantage connus du public au terme de leur mission. La règle est pour eux le renouvellement, de manière à permettre la redistribution des prébendes entre les partis bénéficiaires dont les attentes, compte-tenu du nombre limité de portefeuilles qui leur sont réservés, ne peuvent pas être toutes satisfaites en même temps.
A l’examen, la composition du nouveau gouvernement fait apparaître les mêmes préoccupations que d’habitude en pareilles circonstances. Comme dans toutes les instances du « pouvoir virtuel », qui doivent refléter en direction de l’intérieur et de l’extérieur à la fois la diversité et l’unité des différentes composantes de la population, il réunit des représentants de l’ensemble des gouvernorats et des communautés. Toute négligence ou omission pouvant être interprétée dans ces circonstances comme un message de défiance, si ce n’est plus, adressé par le pouvoir aux habitants d’un gouvernorat ou aux membres d’une communauté en particulier, le régime ne prend jamais un tel risque, sauf lorsqu’il entend leur adresser un message de réprobation.
Dans le présent gouvernement, Damas se taille la part du lion. La chose est habituelle. Mais elle a peut-être une signification particulière en cette période où le régime, malmené dans plusieurs régions par la contestation, doit absolument convaincre les Damascènes qu’il veille à leurs intérêts et les considère à leur juste valeur. Ils détiennent à eux seuls le tiers des 29 maroquins, dont ceux de ministères de souveraineté, la Défense et les Affaires étrangères, et de plusieurs ministères essentiels : les Finances, le Pétrole et les Ressources minières, les Communications, l’Education, la Culture et l’Information. Alep suit, mais loin derrière, avec 5 portefeuilles uniquement, tous dans le secteur des services ou dans les domaines techniques : la Justice, l’Eau et l’Irrigation, l’Industrie, l’Economie et le Commerce extérieur, et l’Environnement.
Viennent ensuite le gouvernorat de Lattaquié, qui est particulièrement bien serviavec les 3 ministères de l’Intérieur, de l’Enseignement supérieur et des Transports, et celui de Hama, qui en compte le même nombre, mais d’importance moindre : l’Habitat et le Développement urbain, le tout nouveau ministère d’Etat à la Réconciliation nationale et un ministère d’Etat aux Grands projets. Pourvoyeur historique de hauts responsables du Parti Baath, le gouvernorat de Daraa obtient, en dépit de son rôle dans le déclenchement de la contestation, deux portefeuilles importants : celui de la Santé et celui de l’Information. Ce dernier a plus haut été attribué à la ville de Damas, lieu de naissance de son titulaire, l’avocat Omran Al Zobi. Mais celui-ci est membre de l’une des familles les plus connues et les plus puissantes de ce gouvernorat. Tartous bénéficie aussi de deux fauteuils à la table du conseil : l’Administration locale, dont le titulaire est également vice-Premier ministre, et les Affaires religieuses (Awqafs). A l’exception de Quneitra, oublié de la distribution, tous les autres ont un seul et unique représentant : Homs (Travaux publics), Idlib (Agriculture et Réforme agraire), Soueïda (Affaires de la Présidence de la République), Damas-campagne (Electricité), Raqqa (Tourisme), Hassakeh (Affaires sociales et Travail) et Deïr al Zor, qui peut se targuer pour la première fois d’avoir donné à la Syrie un chef du gouvernement. Ce n’était pas acquis. Il y a quelques années, la perspective de voir le ministre des Finances Mohammed Al Huseïn, lui aussi originaire de Deïr al Zor, accéder à cette haute fonction avait suscité des commentaires, les uns moqueurs et les autres insultants, pour les habitants de cette ville.
Avec trois femmes uniquement, le gouvernement de Riyad Hijab se situe là aussidans la moyenne des gouvernements en Syrie. Ministre de l’Habitat dans l’équipe d’Adel Safar, Hala Mohammed Al Naser est désormais ministre du Tourisme. Deux nouvelles venues, Loubana Mouchawwah et Nazira Farah Sarkis, gèreront respectivement la Culture, un portefeuille auquel plusieurs femmes, dont l’actuelle vice-présidente Najah Al Attar, l’ont précédée, et l’Environnement, qui a naguère été entre les mains de Kawkab Sabah Al Dayeh. L’entrée au gouvernement de Nazira Sarkis, une chimiste originaire d’Alep, a été saluée comme il convient par la communauté arménienne de Syrie. Elle attendait un tel évènement depuis plus de 70 ans… Considérant comme une parenthèse ridicule la double casquette des Affaires sociales et du Travail et de la Culture et de l’Orientation nationale portée du 16 août 1961 au 28 septembre de la même année par leur compatriote et coreligionnaire Thabet Al ‘Aris, ils souhaitaient depuis longtemps voir reconnus les mérites de l’un des leurs, comme l’avaient été jadis ceux d’Henri Hindiyeh, ministre des Finances… entre mars 1934 et février 1936.
Avec au moins quatre membres de différentes églises et confessions, les chrétiens sont plutôt bien représentés dans le nouveau gouvernement. Outre Nazira Sarkis, ils comptent en effet le général Dawoud Al Rajiha, vice-Premier ministre et ministre de la Défense, le ministre des Ressources hydrauliques Bassam Hanna, et le ministre d’Etat chargé du Croissant rouge et de la Commission du Droit de la Mer, l’avocat Joseph Soueïd. Les Druzes ont conservé leur unique représentant, le diplomate Mansour Fadlallah Azzam, qui est de par sa fonction de ministre des Affaires de la Présidence, l’un des plus proches collaborateurs du chef de l’Etat. Si les sunnites sont évidemment majoritaires, comme ils le sont dans le pays… et dans toutes les structures du « pouvoir apparent », les alaouites semblent plus nombreux que dans la plupart des gouvernements précédents. L’Information, qui est un ministère de souveraineté en Syrie et dont ils ont longtemps été les détenteurs habituels, a été attribuée à un sunnite, mais ils détiennent plusieurs ministères importants, dont la présidence du Conseil des ministres avec Riyad Hijab, l’Enseignement supérieur, désormais confié à Mohammed Yahya Moalla, ou les Transports, aux mains du Dr Mahmoud Ibrahim Saïd. Auxquels il faut ajouter le docteur en ophtalmologie Ali Haydar, ministre d’Etat à la Réconciliation nationale.
Sorti grand vainqueur des législatives… largement boycottées par une majorité de la population pour les raisons que l’on sait, le parti Baath est représenté par 17 membres (sur 35) dans le nouveau gouvernement. Il en comptait 19 (sur 31) dans le gouvernement sortant. Les 18 ministres restant se répartissent entre 10 ministres indépendants et 8 membres des divers partis associés au Baath dans le Front National Progressiste. Le trait marquant de ce gouvernement est que, si les deux représentants de partis censés incarner « l’opposition intérieure », Qadri Jamil, président du Parti de la Volonté populaire, et Ali Haydar, président d’une branche du Parti syrien national social, ont été apparemment bien lotis – mais apparemment seulement, car le poste de vice-Premier ministre, ministre du Commerce extérieur et de la Protection des consommateurs attribué au premier, et celui de ministre d’Etat à la Réconciliation nationale confié au second, ont toutes les chances de se révéler des cadeaux empoisonnés – les alliés traditionnels du Baath n’ont pas été gâtés. Ils doivent se satisfaire, cette fois-ci, de postes de ministres d’Etat.
La moyenne d’âge de ce gouvernement est relativement élevée. Le doyen est Walid Al Moallem (né en 1941) qui a 71 ans, et le benjamin Jasem Mohammed Zakariya (né en 1968) qui en a 44. Le chef du gouvernement n’est guère plus âgé. Né en 1966, il a 46 ans. Si l’on peut comprendre que, né en 1945 et âgé de 67 ans, Mohammed Al Joulaylati ait été maintenu à son poste de ministre des Finances, on comprend moins que les responsables syriens n’aient pas trouvé un ministrable plus jeune que Mohammed Zafer Mouhabbak, né la même année, pour lui confier le portefeuille de l’Economie et du Commerce extérieur… Au total, près de 30 % des ministres ont plus de 60 ans, 55 % s’échelonnent entre 50 et 59 ans, et 15 % seulement ont moins de 50 ans.
En revanche, près de la moitié des ministres, 42 %, sont titulaires d’un doctorat, à commencer par le chef du gouvernement. Il s’agit dans la majorité des cas de doctorats dans des disciplines techniques (agronomie, électricité, mécanique, hydrocarbures, architecture et urbanisme, environnement, économie, planification, communication, droit…), et quelques fois de sciences humaines (linguistique, sciences religieuses…). Les autres ministres sont détenteurs de diplômes divers. On compte parmi eux des docteurs en médecine, des juristes, des ingénieurs civils… et deux militaires. Une dizaine d’entre eux ont effectué une partie de leurs études supérieures à l’étranger, 6 en France, 4 dans l’ex-URSS, 1 en Tchécoslovaquie et 1 aux Etats-Unis.
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La suite de cet article abordera en détail la personnalité et le parcours des personnalités les plus en vue de ce nouveau gouvernement, et elle tentera d’évaluer ce que les Syriens sont en droit d’en attendre dans des circonstances en rapide évolution et à plus d’un titre exceptionnelles.
Source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2012/07/01/comment-se-presente-le-nouveau-gouvernement-en-syrie/