Contre Al-Assad, des mots pour condamner sans s’engager – par Hala Kodmani

Article  •  Publié sur Souria Houria le 21 mai 2017

ÉDITO «Crématorium», un mot pour faire frémir, a été choisi pour indiquer le moyen utilisé par le régime syrien pour faire disparaître les corps des prisonniers exécutés ou morts sous la torture. Le département d’Etat américain a voulu marquer les esprits en dévoilant lundi les photos satellites déclassifiées du tristement célèbre centre de détention de Sednaya, au nord de Damas. En précisant qu’elles ont été prises à plusieurs dates, entre août 2013 et avril 2017, il met en avant la persistance de cette horreur. Ces révélations viennent compléter les enquêtes publiées par Amnesty International, en août 2016 puis en février, dénonçant une «politique d’extermination» des détenus. Au moins 13 000 d’entre eux auraient été pendus entre 2011 et 2015, accusait l’organisation de défense des droits humains.

Ce «crématorium» s’ajoute aux «pendaisons», «tortures et exécutions de masse» ou au «gazage» de femmes et d’enfants, comme en 2013, et, plus récemment, en avril dernier. Un nouveau mot pour des crimes anciens. Une nouvelle atrocité dans le catalogue des abominations documentées, répétées, mais toujours impunies, commises par le régime de Bachar al-Assad. On ne compte plus les «crimes de guerre et crimes contre l’humanité» retenus ces dernières années par des organisations les plus sérieuses et impartiales. Chaque découverte et chaque révélation suscite des réactions «indignées», «consternées», «horrifiées» dans les chancelleries.

Même en pleine passation de pouvoirs, la France a ainsi marqué mardi son «inquiétude et son horreur». Elle a réclamé une «enquête internationale dans les meilleurs délais». Mais chaque fois, dans la foulée, l’émotion retombe. Et le crime reste. Comme s’il s’agissait seulement de soulager les consciences ou d’enregistrer des mots et des positions pour l’histoire. Comme si l’indignation intermittente voulait, ou pouvait, remplacer une démarche cohérente.

Car derrière le régime criminel et hors la loi, il y a bien une puissance responsable. Dans tous les sens du terme. «Ces atrocités ont été perpétrées avec, semble-t-il, le soutien inconditionnel de la Russie et de l’Iran», a condamné le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères français, lui, «appelle les soutiens du régime, en particulier la Russie, à utiliser ses leviers sur Damas».

Une suite logique à la dénonciation a bien été amorcée en direction du grand protecteur d’Al-Assad. Mais il en faut sans doute plus pour impressionner Moscou. Plus qu’un autre coup de semonce comme celui adressé par les frappes de missiles ordonnées par Trump après l’attaque chimique d’avril, il s’agirait de rivaliser plutôt avec l’intérêt, l’énergie et l’esprit d’initiative infatigables déployés par la Russie pour faire triompher son allié. Car l’absence d’initiative et de volonté politique de ceux qui le condamnent garantissent à Bachar al-Assad l’impunité.

Bachar al-Assad, le 12 avril à Damas.Bachar al-Assad, le 12 avril à Damas. Photo HO. Syrian Presidency Press Office. AFP