Cyrille Pomès : «La petite histoire dans la grande, c’est ce qui me touche le plus»
Petit, je passais la moitié de mon temps à dessiner, l’autre à jouer avec mes figurines. Dès 5-6 ans, je fabriquais des cahiers dans lesquels je racontais toutes sortes d’histoires. Ma voie semblait déjà tracée. Vers 20 ans, je suis entré à l’École européenne supérieure de l’image d’Angoulême et j’ai ensuite intégré dans cette même ville, la maison des auteurs. C’est lors de cette résidence que j’ai réalisé mon premier album «A la lettre près», qui a été publié en 2005 chez Albin Michel.
Et à travailler avec Jean-Pierre Filiu ?
Tout a commencé lorsque j’ai soumis «Sorties de route» aux éditions Futuropolis. Ils ne l’ont pas retenu mais m’ont dit qu’ils gardaient mon nom sous le coude. Plus tard, j’ai reçu une proposition pour faire un test avec Jean-Pierre Filiu. Cela tombait très bien car j’en avais assez de travailler seul et j’avais envie de me plonger dans le réel. Je suis arrivé avec les quatre premières pages sur la Tunisie, réalisées d’après photos, ça leur a plu et je suis reparti avec une proposition de contrat.
Comment avez-vous construit «Le printemps des Arabes» ?
Jean-Pierre m’a fourni les chapitres, écrits au fil de l’actualité et avec le recul que lui donnent ses connaissances et son expérience sur place. Il m’a apporté des photos, j’en ai cherché d’autres de mon côté. Ces documents m’ont inspiré un tiers de mes dessins, le reste est venu de mon imagination, une invention du réel. Je ne suis pas intervenu sur le scénario mais en revanche j’ai eu une marge suffisante dans la mise en scène. Jean-Pierre a du respect pour la part créative que je peux apporter et il a vu que j’étais fidèle à ce qu’il voulait raconter c’est pourquoi il m’a ensuite proposé de faire La Dame de Damas. De mon côté, je suis touché par la bienveillance qu’il manifeste pour son sujet. Il est optimiste et reste l’un des derniers à voir une voie de sortie pour la Syrie. J’ai appris beaucoup à son contact.
Cette collaboration vous a aussi ouvert d’autres portes ?
Oui, depuis ces albums avec Filiu, on me fait confiance, on me laisse carte blanche. Après avoir diffusé mon récit dessiné «Un rabbin dans les cités», Arte Reportage m’a proposé l’automne dernier de passer Noël dans la jungle de Calais. Durant six jours, je suis allé dans cet «entre-deux mondes» à la rencontre des migrants pour faire leur portrait. Au milieu de cette horreur absolue, j’ai vu les bénévoles qui se démenaient, je leur ai donné la parole, tout comme aux habitants de la ville avec lesquels je discutais le soir en rentrant. Cette BD interactive qui s’appelle No man’s land fera l’objet d’un sujet de 27 pages dans la Revue dessinée de septembre.
Calais, la Syrie, vous suivez la marche du monde ?
C’est vrai mais j’ai toujours un temps de décalage qui me permet de traiter l’actualité correctement. Je suis né en France, je n’ai jamais eu faim ni froid. Je sais aussi que le reste du monde existe. La bande dessinée me donne un moyen de traduire cette réalité-là. J’aime l’idée de donner la parole à des gens que l’on n’entend pas. Je n’ai pas la prétention d’être utile mais au moins je ne me sens pas inactif. Il faut aller contre cette forme de fataliste qui fait dire «certains ont de la chance, d’autres pas».
Quels sont vos projets ?
Je voudrais aller outre-Manche pour suivre un migrant ou une famille et voir ce qui se passe après Calais. La petite histoire dans la grande, c’est ce qui me touche le plus. J’ai aussi un projet de fiction autobiographique dans lequel je revisite mon enfance. Cela pourrait être le rendez-vous de mes 40 ans. J’ai envie de reprendre l’écriture, de remettre mes mots sur des histoires.