D’anciens réfugiés de la Seconde Guerre mondiale écrivent à des enfants syriens

Article  •  Publié sur Souria Houria le 18 mars 2016

« Je sais ce que c’est de perdre sa maison et de devenir réfugié. »

C’est par ces quelques mots délicatement rédigés sur du papier couleur ivoire que Helga Kissell, 87 ans, a débuté sa lettre. Sa destinataire ? Sajeda, une réfugiée syrienne vivant actuellement en Jordanie, et que la vieille femme n’a jamais rencontrée.

Malgré leur 70 ans de différence d’âge, Sajeda et Helda partagent une expérience commune : vivre en tant que réfugiées.

En 1945, Helga Kissell avait 16 ans quand, avec sa mère, elle a été forcée de fuir sa maison à Berlin à la fin de la Seconde Guerre mondiale. 70 ans plus tard, l’Europe connaît de nouveau l’une des pires crises de réfugiés de son histoire.

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CAREY WAGNER, CARE

La lettre de la vieille femme fait partie du projet de l’association d’aide humanitaire CARE, qui entend mettre en relation des refugiés de la Seconde Guerre mondiale avec des enfants syriens. Alors qu’aujourd’hui, CARE apporte un soutien matériel aux personnes ayant été obligées de fuir la Syrie, l’association avait vu le jour dans les années 1940 pour aider les réfugiés européens pendant le conflit.

« Entendre les histoires et recevoir des lettres de réfugiés qui ont vécu la même chose, ça les aide beaucoup », explique Eman Ismail, l’assistant du directeur du programme de CARE en Jordanie.

   
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CAREY WAGNER, CARE

De Helga, pour Sajeda 

« Je peux seulement espérer que Sajeda soit en paix avec elle-même, et qu’elle parvienne un jour à surmonter le choc terrible d’avoir dû quitter son chez-soi », a confié Helga Kissell à Mashable. Pour cause, c’est un sentiment qu’elle ne connaît que trop bien.

Helga et sa mère ont fui leur maison à Berlin quand l’armée soviétique était aux portes de la ville. Son père a été tué quelques semaines auparavant dans un raid aérien. Sa maison a été bombardée, et la plupart des objets que possédait la famille réduits en poussières. La jeune fille et sa mère ont aussitôt décidé de rassembler les quelques affaires qui leur restaient et d’embarquer dans le premier train qui quittait la ville en direction de la Bavière, où habitaient des proches.

« Ce n’est jamais facile de quitter sa terre natale », a écrit Helga à Sajeda dans sa lettre. Et pourtant, il y a aussi eu de bons moments. Comme ce jour où un soldat américain, un dénommé Leo, est entré dans le magasin où travaillait Helga. Quand Leo est retourné aux États-Unis, il a continué à écrire des lettres à Helga et a envoyé des colis via l’association CARE pour venir en aide à sa famille même après la guerre.

Leo et Helga sont tombés amoureux, et la jeune Allemande a émigré aux États-Unis pour se marier avec l’Américain. Ils sont restés ensemble pendant 67 ans. Sans la guerre, ils ne se seraient jamais rencontrés. « Rappelle-toi toujours des bons moments et garde espoir dans ce que le futur pourra t’apporter », conseille Helga Kissell à Sajeda dans sa lettre.

   
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Helga Kissell, 87 ans
CAREY WAGNER, CARE
   
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Sajeda, 16 ans
CAREY WAGNER, CARE

Sajeda a versé quelques larmes quand elle a reçu le colis de CARE dans sa maison de Zarka en Jordanie, à une cinquantaine de kilomètres de la frontière syrienne. Comme Helga, Sajeda a été contrainte de quitter la maison où elle a grandi quand des bombes ont rasé son village. Quelques affaires fourrées dans un sac, et la famille de Sajeda était partie.

« Quand quelqu’un m’a demandé ‘Quelle est la chose la plus précieuse que tu as laissée en Syrie ?’, j’ai répondu : moi-même' », confie la jeune réfugiée. L’une des choses qui lui manque le plus en Syrie? Observer les fleurs de son jardin éclore. Elle se demande si elle les reverra un jour.

« Helga comprend ma situation et les sentiments que je peux éprouver », explique Sajeda. « Même si je ne l’ai jamais rencontrée, elle joue désormais un rôle important dans ma vie. » Pour l’adolescente, qui a tout perdu dans le conflit syrien, cette simple lettre lui a fait montré que le monde ne l’avait pas totalement oubliée. « Helga me fait sentir que j’existe », confesse Sajeda.

   
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Gunter Nitsch, 78 ans, rédige sa lettre pour Zaher, huit ans.
CAREY WAGNER, CARE

De Gunter, pour Zaher 

Gunter Nitsch vit à Chicago depuis longtemps. À 78 ans, certains des souvenirs qu’il a gardé de sa vie de réfugié en Allemagne sont encore si saillants qu’ils le poussent parfois à verser quelques larmes.

Gunter a grandi à Langendorf, en Prusse orientale (alors une province allemande). Après la guerre, les Russes ont envahi sa ville natale. « Quand l’hiver est arrivé, j’ai commencé à mendier », raconte t-il à Mashable. Autour de lui, beaucoup sont morts de faim. Il se rappelle avoir été tellement désespéré de n’avoir rien à se mettre sous la dent que, quand un soldat russe lui a tendu un ragoût dans un pot de chambre, il n’a pas hésité une seule seconde à l’engloutir.

En 1948, Gunter Nitsch et sa famille ont été mis dans des trains avec des milliers d’autres refugiés pour être relocalisés dans la partie Est de Berlin. Ils ont ensuite fui en Allemagne de l’Ouest, où ils ont vécu dans un camp de réfugiés. C’est là que Gunter a reçu un colis de l’association CARE et une lettre d’une famille mennonite vivant en Pennsylvanie. Empaqueté avec la lettre, des produits de première nécessité, dont de la nourriture provenant de la ferme de la famille américaine.

« On a reçu un ouvre-boîte et ouvert la conserve de salade de fruits qui était dans le colis. Sur le moment j’ai pensé : ‘C’est la nourriture que les anges mangent au paradis’ », confie le vieil homme, des trémollos dans la voix.

   
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Gunter Nitsch, enfant, pendant la Seconde Guerre mondiale
GUNTER NITSCH

Faire l’expérience de recevoir de l’aide de parfaits inconnus a changé sa vie. C’est la raison pour laquelle il s’est décidé à écrire à Zaher, un petit garçon syrien âgé de huit ans. « Peu importe les choses terribles qui arrivent, il y a toujours des gens dans ce monde qui veulent faire le bien », a-t-il écrit dans sa lettre à Zaher. Il a ajouté dans son colis des jouets et des avions en papier pour le petit garçon.

« J’espère que ta vie va bientôt changer. Peu importe l’endroit où tu te trouves, essaie toujours d’apprendre le plus possible en lisant des livres », a écrit l’ancien réfugié. « Un jour viendra où tous tes efforts paieront. »

   
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Gunter Nitsch,78 ans
CAREY WAGNER, CARE
   
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Zaher, huit ans
CAREY WAGNER, CARE

Zaher veut devenir docteur. Mais pour l’instant, il vit dans un petit appartement étriqué avec ses parents et ses cinq frères et sœurs à Irbid, en Jordanie. Quand le paquet de Gunter Nitsch est arrivé, le petit garçon a vécu, l’espace d’un instant, un petit moment de bonheur.

« Ce que j’aime le plus dans le colis de Gunter, c’est la photo de lui qu’il m’a envoyé. Il me rappelle mon grand-père », a confié Zaher quand il a ouvert le carton coloré rempli de photos de Gunter enfant. Avec l’aide de son père, Zaher a prévu de répondre à Gunter pour lui raconter sa vie.

« J’adorerais raconter à Gunter ma vie en Syrie. Quand on avait une maison, des arbres, un jardin et quand mes oncles étaient toujours avec nous », raconte le petit garçon. « J’adorerais lui parler de mon école, de mes amis et de mon professeur préféré. »

   
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Entouré de sa famille en Jordanie, Zaher, au centre, lit la lettre de Gunter.
CAREY WAGNER, CARE
   
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Dans le colis de Gunter Nitsch, des photos de lui-même et des jouets.
CAREY WAGNER, CARE

Le père de Zaher, qui a demandé à rester anonyme, raconte que son fils a radicalement changé depuis qu’ils ont quitté la Syrie : « Vivre cette guerre a profondément affecté Zaher », explique-t-il. « Il est silencieux, il n’interagit plus vraiment avec les gens. J’ai les mains liées ici et je n’ai plus rien à lui donner. »

Alors que des dizaines de milliers de Syriens ont trouvé refuge dans des camps dans le pays, la vaste majorité d’entre eux (83%) habitent dans des zones urbaines avec un accès limité aux aides humanitaires. Leur statut de réfugiés ne leur permettant pas de travailler dans le pays, les parents se démènent pour offrir à leurs enfants le minimum pour vivre.

La plupart des réfugiés parviennent difficilement à payer le loyer de maisons modestes en Jordanie, bien souvent composées d’une unique petite pièce dans laquelle une famille entière habite, d’une cuisine et d’une salle de bain. Certains parents ont pris la décision difficile d’envoyer leurs enfants travailler ailleurs, ou même mendier dans les rues.

« Ils n’ont pas la possibilité d’imaginer leur futur, de rêver, comme le reste des enfants peut le faire », explique Eman Ismail. « Les familles syriennes sont vraiment sous pression. »

   
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Duha, 13 ans, a reçu une lettre de Renata Senter.
CAREY WAGNER, CARE

De Renata, pour Duha 

Renata Senter se souvient encore du moment où elle est devenue une refugiée.

Avec sa mère et ses deux sœurs, Renata, alors âgée de sept ans, a fui l’Allemagne de l’Ouest avec une simple valise en montant dans le dernier train qui quittait la ville. Elles ont rejoint la maison de ses grands-parents, où elles se sont cachées sous les escaliers alors que des bombes tombaient à quelques mètres seulement.

Renata Senter a reçu un paquet d’un étranger aux États-Unis – c’était l’un des tous premiers colis envoyés par des Américains via l’association CARE vers l’Europe en guerre – contenant un bloc de papier sur lequel elle pouvait désormais griffonner. Ces quelques feuilles de papier ont changé la vie de Renata. Quand elle a écrit sa lettre à un enfant syrien, c’est la première chose qu’elle a ajouté au colis.

« J’aimerais pouvoir te connaitre », a-t-elle écrit à Duha, 13 ans, « et j’espère que je serai capable de t’aider un petit peu à réaliser tes rêves. »

   
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À droite, Renata Senter enfant. À l’extrême gauche, Duha avec sa famille en Jordanie.
CAREY WAGNER, CARE

Duha, qui habite à Irbid en Jordanie, sort précieusement le carnet du colis que lui a envoyé Renata. Quand la famille de Duha a fui la Syrie pour la Jordanie, ils vivaient dans une tente plantée dans un camp situé à la frontière, où ils ont dû endurer la chaleur étouffante d’étés interminables et le froid des hivers rigoureux.

Mais Duha a de grands projets et travaille bénévolement dans une école depuis que sa famille a emménagé à Irbid. Elle espère retourner un jour chez elle et aider son pays à se reconstruire. « La lettre de Renata m’encourage vraiment. Elle me dit de garder espoir », confie Duha.

   
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Shadi, 12 ans
CAREY WAGNER, CARE

De Joe, pour Shadi

Shadi est un petit garçon syrien de 12 ans qui veut devenir docteur. Sa famille a fui leur ville natale de Damas il y a quatre ans, et vit maintenant dans un petit appartement en Jordanie. Leur maison en Syrie a été rasée par les bombes. La bicyclette préférée de Shadi, qu’il conduisait chaque jour dans son quartier après l’école, a été détruite.

Il y a peu de temps, Shadi a reçu un colis rempli de stylos et d’un carnet sur lequel il a dessiné sa maison et sa bicyclette. Dans le paquet, une lettre écrite par un étranger à l’autre bout du monde. À première vue, on dirait que Joe Wernicke, docteur dans l’Indiana aux États-Unis, n’a rien en commun avec le petit Shadi. Mais il se trouve que Joe a aussi été réfugié un jour.

   
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À gauche, Shadi et à droite, Joe.
CAREY WAGNER, CARE

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Joe et sa famille ont été déplacés en Allemagne. Alors qu’il n’avait que huit ans, il se souvient quand sa famille a reçu un colis des États-Unis rempli de nourriture et de produits de première nécessité. Il ne se rappelle plus exactement ce que contenait le paquet, mais le sentiment qu’il a éprouvé à sa réception est, lui, resté à jamais gravé dans sa mémoire.

« Toi et ta famille, vous n’êtes pas seuls », a-t-il écrit dans sa lettre à Shadi. « Même si maintenant, tu pourrais croire que tu n’iras jamais à l’école et que tu ne pourras jamais devenir docteur, un jour viendra où, après beaucoup d’efforts, ton rêve se réalisera », a écrit Joe. « Je le sais, je suis docteur. »

Adapté par Chloé Rochereuil. Retrouvez la version originale sur Mashable.