Dans Homs assiégé, les rebelles syriens tournaient des clips satiriques – par Thomas Abgrall

Article  •  Publié sur Souria Houria le 23 mai 2014

carte homs syrieJuste avant d’évacuer le centre historique de Homs, les rebelles sont parvenus in extremis à mettre en ligne la dernière vidéo de leur série satirique Un rayon de lumière de Homs. L’épisode, intitulé «Communiqué officiel», retrace deux ans de siège et de désillusions dans la «capitale» de la révolution, désormais passée sous contrôle du régime baasiste. Un orateur, un turban noir autour de la tête, enchaîne des déclarations sur un air martial, entouré d’une dizaine de combattants

Dans la première séquence, censée avoir été tournée au début de la révolte armée, le chef des insurgés annonce fièrement la création de la «brigade de résistance de Homs», pour «défendre les civils et les affaiblis et faire chuter le régime baasiste criminel». Mais au fil des mois, la condition et le moral des rebelles se détériorent avec le blocus de l’armée syrienne. Le commandant lance alors des appels à l’aide à ses «frères moudjahidines», d’abord d’une manière amicale, puis nettement plus pressante. «Nous vous donnons quarante-huit heures pour nous soutenir. Levez-vous de vos chaises, de vos minbars (chaires des imams, ndlr) et de vos laptops. Homs n’est pas à ma mère, elle est à nous tous ! […] Si nous avions fait appel aux bouddhistes au nom de l’humanité, ils ne nous auraient pas abandonnés.» A chaque nouveau communiqué, le nombre de militants se réduit comme peau de chagrin, et le réalisateur est obligé de leur souffler le «Allahu Akbar», qui conclut traditionnellement les communiqués des groupes islamistes.

«IL NE RESTAIT PLUS QUE L’AUTODÉRISION»

Dans l’avant-dernière séquence, certains, las du manque d’aide, désertent en plein tournage. A la fin, il ne reste plus qu’un combattant, la tête couverte de bandages, pour tenir la chandelle au commandant. «Nous vous annonçons que nous n’annoncerons plus rien, car nous n’avons plus de fioul et ne pouvons plus lire de communiqués[…]. Il nous reste notre résistance. Il vous reste vos promesses et vos trahisons. L’histoire nous en est témoin, préparez-vous au jugement de Dieu», conclut le chef rebelle.

Posté sur YouTube, le clip a déjà été visionné plus de 21000 fois en dix jours. Il constitue en fait le cinquième épisode d’une série tournée depuis un an par des combattants de la brigade Khaled ibn el Walid. L’unité, affiliée à l’Armée syrienne libre, a été fondée en 2011 par Abderrazak Tlass, un ancien lieutenant déserteur. Mohammad Abou Hamza, le réalisateur de la série, est un ancien étudiant à l’Université du Baath à Homs, à la fois journaliste citoyen et combattant. «Les vidéos ont été réalisées dans différents quartiers de la ville assiégée. C’était une manière de divertir les combattants, mais aussi de faire passer leur message de façon drôle pour mieux sensibiliser l’opinion. Il ne restait plus que l’autodérision après que tout le monde ait abandonné la rébellion», raconte Mahmoud, un ami du réalisateur et jeune reporter de l’agence de presse d’opposition Masar News, basé à Rastan, près de Homs.

COLLECTIONNEUR DE ROQUETTES ET CHEF JE-M’EN-FOUTISTE

Dans chaque clip, les combattants prennent le parti de se moquer de leur situation désespérée. La première séquence, tournée en avril 2013, montrait un combattant collectionneur de roquettes parcourant frénétiquement les rues désertes de Homs, suppliant les MIG syriens de l’atteindre :

Un autre épisode, tourné quelques mois plus tard, dénonçait lui le désengagement d’une partie des insurgés, en mettant en scène un chef rebelle je-m’en-foutiste peu soucieux de la survie de la révolution :

«Une quinzaine d’épisodes a été tournée, mais par manque de connexion internet, seuls cinq ont pu être mis en ligne. Pendant le blocus, on pouvait difficilement diffuser des vidéos de plus de trente secondes», précise Mahmoud, joint par Skype en Syrie. Suite à l’accord négocié avec le régime il y a dix jours – qui a permis l’évacuation d’un millier d’insurgés syriens – les acteurs combattants ont quitté Homs pour rejoindre la banlieue nord de la ville. Un rayon de lumière de Homs est désormais suspendu.

Thomas ABGRALL (à Beyrouth)

source : http://www.liberation.fr/monde/2014/05/13/dans-homs-assiegee-les-rebelles-syriens-tournaient-des-clips-satiriques_1016046

date : 13/05/2014